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URGENCE PROCHE ORIENT

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Le Parlement sur le banc de touche

Le gouvernement français décide seul des exportations d’armes. Et le Parlement n’exerce aucun contrôle sur son choix. Quand des députés essayent, on les en dissuade.

Pourquoi la France vend-elle si facilement des armes à l’Égypte du maréchal Abdel Fattah al-Sissi ou à l’Arabie saoudite, qui s’en servent pour commettre de graves violations des droits humains ? Selon une étude universitaire(1), la raison réside dans l’absence de débat démocratique. Un sondage de 2019(2) vient appuyer ce constat :

Sept Français sur dix veulent que le Parlement contrôle davantage les exportations d’armes. On en est loin.

En 2000, le député communiste Jean-Claude Sandrier a voulu introduire plus d’éthique, de transparence et de contrôle dans les ventes d’armes à l’étranger(3). Il propose alors que tous les ans, le gouvernement remette au Parlement un rapport sur ces ventes, détaillant pour chaque pays acheteur les raisons politiques et stratégiques du contrat. À droite, plusieurs élus s’inquiètent. Le député RPR de Seine-et-Marne, Charles Cova, redoute que la désignation des pays clients dans ce rapport annuel « décourage d’éventuels acheteurs » et fasse perdre à la France « parts de marché et emplois ». René Galy-Dejean (Paris) défend « une exigence de discrétion, qui rend difficile tout accroissement de la transparence du contrôle des exportations d’armes ». Les élus RPR de l’époque veulent que la décision des ventes d’armes reste aux mains du gouvernement seul. Mais la proposition passe.

Depuis, le gouvernement informe chaque année le Parlement sur les exportations d’armes(4). « Mais ce rapport annuel est trop vague, dénonce le député communiste du Puy-de-Dôme, André Chassaigne. Il ne dit pas ce que vend exactement la France, ni à quel pays. On ignore si les armes vendues vont à la police ou à une armée, si Paris a obtenu des garanties sur leur non utilisation contre des civils. Bref, il ne nous permet pas de savoir, et encore moins de contrôler, si des armes françaises servent à commettre, par exemple, des atrocités au Yémen ».

 

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Arguments de dissuasion massive

Autre problème. Quand ce rapport de 100 pages, rempli de chiffres et de graphiques savants, arrive au mois de juin sur le bureau des élus, combien le lisent ? Le député LREM du Finistère Jean-Charles Larsonneur, qui siège à la commission Défense de l’Assemblée nationale avoue, en 2019, ne l’avoir jamais lu (4). Le député LREM des Hauts-de-Seine, Jacques Maire, explique ce manque d’intérêt et de combativité : « Un parlementaire a beaucoup de choses à faire sur des masses de sujets. Il n’a pas le temps de se battre en plus pour conquérir un contrôle sur un domaine qui lui échappe ». Un fonctionnaire du ministère de la Défense l’exprime plus simplement : « Chez nous en France, les députés, ils s’en tapent » (5). Le 6 avril 2018, le jeune député macroniste de Haute-Garonne, Sébastien Nadot, essaye de réveiller ses confrères endormis. Troublé par le chiffre des civils tués dans la guerre au Yémen, il veut « un vrai contrôle démocratique sur les exportations d’armes »6. Il demande au Parlement une commission d’enquête sur les armes françaises utilisées au Yémen. Soixante députés signent la proposition. Aussitôt, le gouvernement s’active pour l’empêcher d’aboutir. Le cabinet du Premier ministre propose à Sébastien Nadot de venir à Matignon discuter avec des hommes et des femmes qui contrôlent les exportations d’armes (6). Une haute fonctionnaire, un général d’armée et plusieurs conseillers d’Édouard Philippe questionnent le député sur sa motivation.

Chez nous en France, les députés, ils s'en tapent.

— Un fonctionnaire du ministère de la Défense

« Je leur explique : je veux un Parlement qui les contrôle, pour être sûr que nos armes ne tuent pas des civils au Yémen. Ils me renvoient plusieurs types de réponses, plus ou moins audibles. J’entends que les informations que j’ai sur la guerre au Yémen ne me permettent pas de comprendre les décisions prises par le gouvernement. Que l’Arabie saoudite est un allié indispensable dans la lutte contre le terrorisme. Qu’une mission d’information large serait mieux qu’une enquête centrée sur les armes françaises au Yémen. Qu’un contrôle du Parlement n’est pas toujours possible à cause du secret militaire et que celui du gouvernement est déjà de haut niveau et très fiable. Que nous, députés, n’avons pas à mettre notre nez dans les Affaires étrangères qui appartiennent au pouvoir exécutif. J’ai même entendu que si on mettait tout sur la table, on ferait le jeu de La France insoumise… ».

Au palais Bourbon, des messagers du groupe LREM, dirigé par Richard Ferrand, abordent les élus qui soutiennent la demande de Nadot. La députée du Gard, Annie Chapelier : « On m’a fait bien comprendre que si je maintenais ma signature, je resterais toujours sur la touche. Que jamais on ne prendrait en considération mes remarques ou propositions futures, et que l’on ne me confierait plus aucun rapport, aucune responsabilité, aucune mission… C’était clair ! ». La députée a maintenu sa signature, avant de quitter LREM. D’autres, qui souhaitent rester anonymes, estiment que leur rôle « n’est pas de mettre en difficulté le gouvernement qu’ils soutiennent » ou que « l’Arabie saoudite est un allié important contre le terrorisme ».

 On m’a bien fait comprendre que si je maintenais ma signature, je resterais toujours sur  la touche.

— Annie Chapelier, députée du Gard

Enterrer le sujet

Les pressions sur les membres de l’Assemblée fonctionnent. Onze élus LREM retirent leur signature. Leur groupe refuse de porter la résolution de Sébastien Nadot au vote du Parlement.

Chez les socialistes, aucun élu ne signe. Auraient-ils aussi reçu des messages leur déconseillant de demander des comptes sur les exportations d’armes ? Le sénateur de l’Isère, André Vallini : « En avril 2019, je questionne le gouvernement sur les armes françaises dans la guerre au Yémen. Le collaborateur d’un ministre m’avertit : si je cherche trop la petite bête sur le sujet, certains se chargeraient de rappeler au public que j’ai participé à un gouvernement [ Valls, ndlr ] qui exportait des armes à l’Arabie saoudite. C’est assez malsain : on vous fait comprendre qu’il ne faut pas trop jouer au malin sur le sujet ».

Résultat, la volonté parlementaire d’en savoir plus sur les exportations d’armes liées à la guerre au Yémen dort depuis deux ans à l’Assemblée nationale. À la place, Marielle de Sarnez, qui préside la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale, annonce, en octobre 2018, la mise en place d’une mission d’information. L’objet n’est plus les armes françaises qui tuent au Yémen, mais le contrôle des exportations d’armes en général. « Une mission d’information, regrette Sébastien Nadot, c’est moins de pouvoirs d’investigation. Elle ne peut pas faire témoigner les décideurs sous serment, ni les obliger à témoigner ni exiger des documents classés secrets ; c’est une façon d’enterrer le sujet ». Le rapporteur de la mission, le député LREM du Val-d’Oise Jacques Maire, confirme que son rapport final – retardé par la crise du coronavirus – ne dira rien sur l’utilisation d’armes françaises au Yémen, mais « répondra à cette question : y a-t-il une valeur à ce que le Parlement contrôle les ventes d’armes de la France ? Vous verrez la réponse. Elle va vous surprendre. Il y aura des propositions fortes pour renforcer le contrôle du Parlement sur les exportations d’armes, et la protection des droits de l’homme ».

En attendant, le lobby de l’armement continue de demander aux députés de ne pas limiter les ventes d’armes de la France. « Le 23 avril, témoigne André Chassaigne, les trois plus gros représentants des industries françaises de l’armement sont venus nous expliquer en visioconférence qu’il était vital pour notre économie que la crise du coronavirus n’empêche pas les exportations d’armes de la France… ».

À l’étranger, le Parlement ne fait pas (toujours) de la figuration

Les pays qui vendent des armes à l’Arabie saoudite ont récemment débattu du bien-fondé de ces ventes. Pas la France. Ailleurs, les parlements disposent d’un plus vaste pouvoir de débattre, d’enquêter, ou de contrôler les exportations d’armes.

En Suède, le gouvernement doit consulter le parlement et obtenir son avis avant de décider d’une vente d’armes à risque. Il n’est pas tenu de suivre ces avis, mais les parlementaires exercent de cette façon un pouvoir de contrôle à priori.

Aux États-Unis, le Congrès peut bloquer une exportation d’armes sous un délai de 30 ou 15 jours (selon le pays acheteur). Mais l’influence des lobbys militaro-industriels sur les élus fait que ce contrôle parlementaire s’exerce peu. D’autant que le président peut opposer un « intérêt de sécurité nationale » à un blocage.

En Grande-Bretagne, les parlementaires reçoivent un rapport du gouvernement et lui opposent un contre-rapport, nourri de questions et recommandations auxquelles le gouvernement doit répondre dans les deux mois. Le Parlement ne décide pas, mais les exportations d’armes vers des pays autoritaires est souvent critiquée.

En Allemagne, le gouvernement doit informer le Bundestag de ses exportations et répondre à toute question sur le sujet posée par les députés. Aux Pays-Bas, le gouvernement doit informer le Parlement de toute exportation d’armement d’un montant supérieur à 2 millions d’euros.

1 — Réguler le commerce des armes par le Parlement et l’opinion publique, Politiques européennes, 2015. 2 — Sondage YouGov réalisé en ligne sur 1004 personnes représentatives de la population française (mars 2019). 3 — De 1999 à 2000, la mission d’information sur le contrôle des exportations d’armement interroge 50 personnalités (industriels de l’armement, chercheurs, responsables de la politique et de l’administration). 4 — Documentaire Mon pays fabrique des armes, sur LCP). 5 — Cité dans : Politiques européennes, 2015. 6 — Comme des membres de la Commission interministérielle pour l’étude des matériels de guerre (CIEEMG), où siègent des représentants des ministères de la Défense, des Affaires étrangères et de l’économie. Ils fournissent au Premier ministre des avis sur chaque vente d’armes de guerre à l’étranger.

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