En 2019, les gouvernements ont orchestré une répression implacable pour réduire au silence toute forme d’opposition. Violences contre les manifestants, arrestations, défenseurs des droits pris pour cible. Retrouvez notre bilan d’un an d’enquêtes au Moyen-Orient et en Afrique du Nord.
Notre nouveau rapport régional"Les droits humains au Moyen-Orient et en Afrique du Nord", extrait de Droits humains dans le monde : retour sur 2019 revient sur un an de répression étatique et de soulèvements populaires dans la région.
Tant dans la rue qu'en ligne, la liberté d’expression a été mise à mal. À l’image des mobilisations à Hongkong ou au Chili, les manifestations au Moyen-Orient et en Afrique du Nord ont été vivement réprimées par les autorités locales. Partout dans la région, des foules sont descendues dans les rues, parfois au risque de leur vie. Défiant les autorités et témoignant d'une formidable détermination, elles réclament le respect des droits humains, la dignité et la justice sociale ainsi que la fin de la corruption. Suite aux événements sanglants survenus après le printemps arabe en Syrie, au Yémen et en Libye, l’année 2019 a été une année de contestation mais aussi d’espoir.
Une manifestante en Algérie dénonce la répression, décembre 2019 ©REUTERS/Ramzi Boudina
Répression des manifestations
Les gouvernements du Moyen-Orient et d'Afrique du Nord ont fait preuve d'un mépris total à l'égard des droits des citoyens et citoyennes à la liberté de manifester et de s'exprimer pacifiquement. Ils ont utilisé tout un éventail de tactiques pour réprimer la vague de manifestations : arrestations arbitraires de milliers de personnes, torture, usage de la force excessive conduisant parfois à la mort.
Rien qu'en Irak et en Iran, des centaines de personnes ont été tuées et des milliers d'autres blessées lorsque les forces de sécurité ont tiré à balles réelles sur les protestataires. En Irak, au moins 500 personnes sont mortes durant des manifestations en 2019. Malgré cela, les manifestants ont fait preuve d'une formidable résilience en défiant les balles et les tirs à bout portant de grenades lacrymogènes militaires. Les forces de sécurité iraniennes ont également fait de nombreux morts et des milliers de blessés : plus de 300 morts en seulement quatre jours, entre le 15 et le 18 novembre 2019. Plusieurs milliers de personnes ont par ailleurs été arrêtées, et beaucoup ont fait l'objet d'une disparition forcée ou ont été torturées.
En septembre 2019, des femmes palestiniennes sont descendues dans la rue en Israël et dans les territoires palestiniens occupés pour protester contre les violences liées au genre et l'occupation militaire israélienne. Les forces israéliennes ont aussi tué des dizaines de Palestiniens et Palestiniennes durant des manifestations à Gaza et en Cisjordanie.
En Algérie, où des manifestations de grande ampleur ont entraîné la chute du président Abdelaziz Bouteflika, au pouvoir depuis vingt ans, les autorités ont cherché à réprimer les manifestations en arrêtant arbitrairement et en poursuivant en justice de très nombreux manifestants.
Au Liban, les manifestations largement pacifiques au départ ont débuté en octobre 2019 et ont conduit à la démission du gouvernement. Mais elles se sont heurtées à un usage illégal et excessif de la force. En outre, les forces de sécurité ne sont pas intervenues efficacement pour protéger les manifestants pacifiques des attaques de sympathisants de groupes politiques rivaux. En Égypte, la vague de manifestations qui a éclaté en septembre, dans un pays où les mouvements de protestation sont rares, a pris les autorités par surprise et a donné lieu à des arrestations arbitraires massives ; plus de 4 000 personnes ont ainsi été arrêtées.
Une manifestante en Irak dénonce la répression, février 2020 ©REUTERS/Thaier al-Sudani
La répression s’attaque aux réseaux sociaux
Outre la répression des manifestations pacifiques dans la rue, les gouvernements de la région ont continué tout au long de 2019 à s'en prendre aux personnes qui exerçaient leur droit à la liberté d'expression en ligne. Des journalistes, des blogueurs et blogueuses et des militants qui avaient publié sur les réseaux sociaux des déclarations ou des vidéos jugées critiques à l'égard des autorités ont été arrêtés, interrogés et poursuivis en justice.
Dans douze pays de la région, des personnes ont été détenues en tant que prisonnières d'opinion, pour la seule expression d'opinions en ligne et 136 personnes ont été arrêtées.
Durant les manifestations en Iran, le gouvernement a imposé une fermeture presque totale d'Internet afin d'empêcher le partage de vidéos et de photos montrant des membres des forces de sécurité en train de tuer illégalement ou de blesser des manifestants. En Égypte, les autorités ont suspendu des applications de messagerie en ligne pour empêcher la tenue d’autres manifestations. Les autorités égyptiennes et palestiniennes ont également censuré des sites Internet, dont des sites d'actualités. En Iran, des réseaux sociaux, tels que Facebook, Telegram, Twitter et YouTube ont été bloqués.
Certains gouvernements ont aussi utilisé des techniques plus sophistiquées de surveillance en ligne à l'encontre de défenseurs des droits humains. Nos recherches ont ainsi montré que des logiciels espions de l’entreprise israélienne NSO avaient pris pour cible au moins deux défenseurs des droits humains marocains. Cette même technologie avait déjà été utilisée contre des militants en Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis ainsi que contre un salarié d'Amnesty International.
Plus globalement, selon nos recherches, au moins 367 défenseurs des droits humains ont été placés en détention (dont 240 arrêtés arbitrairement rien qu'en Iran), et 118 ont fait l'objet de poursuites judiciaires en 2019. Les chiffres réels sont certainement plus élevés.
Un manifestant brandit une pancarte "Ici, c'est le peuple" lors d'un rassemblementcontre le gouvernement à Alger en Algérie, décembre 2019 ©REUTERS/Ramzi Boudina
Des avancées encore très superficielles
Malgré l'impunité persistante et généralisée qui règne dans toute la région, quelques petites avancées historiques ont eu lieu. L’ouverture possible d’une enquête de la Cour pénale internationale (CPI) sur des crimes de guerre commis en territoires palestiniens occupés en est un parfait exemple. Une occasion cruciale de mettre un terme à des décennies d'impunité. La CPI a indiqué que la mort de manifestants palestiniens tués par Israël à Gaza pourrait entrer dans le champ de cette enquête.
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De même, en Tunisie, l'Instance vérité et dignité (IVD), créée à la suite de la révolution de 2011, a pu publier son rapport final. Soixante-dix-huit procès se sont ouverts devant des chambres criminelles, offrant une chance rare de demander des comptes aux membres des forces de sécurité responsables de violations commises par le passé.
Malgré des années de campagne par les mouvements locaux, des progrès mineurs ont été réalisés en faveur des droits des femmes. Ces progrès ne suffisent pas à contrebalancer la répression dont les défenseurs des droits des femmes font l’objet ni la discrimination généralisée à l'égard des femmes dans la région. L'Arabie saoudite a réformé brièvement son système de tutelle masculine en introduisant des modifications attendues de longue date. Paradoxalement, cinq défenseures des droits humains sont restées injustement emprisonnées pour leur action militante durant toute l'année 2019.
Un certain nombre d'États du Golfe ont aussi annoncé des réformes destinées à améliorer la protection des travailleuses et travailleurs migrants. Le Qatar s'est notamment engagé à abolir son système de parrainage (kafala) et à améliorer l'accès des migrants à la justice. Les Émirats arabes unis et la Jordanie ont aussi annoncé des projets de réforme de leur système de parrainage. Pourtant, les travailleuses et travailleurs migrants étaient toujours très largement en proie à l’exploitation dans la région.
Le fait que les gouvernements du Moyen-Orient et d'Afrique du Nord appliquent une tolérance zéro à l'encontre de l'expression pacifique d'opinions en ligne montre combien elles craignent le pouvoir des idées qui remettent en cause les discours officiels. Les gouvernements du Moyen-Orient et d'Afrique du Nord doivent comprendre que la répression ne fera pas taire les revendications des populations en faveur des droits économiques, sociaux et politiques fondamentaux. Les populations devraient pouvoir demander des comptes à leurs dirigeants.
Une femme manifesta son désaccord avec la politique du président Al Sissi en septembre 2019, ©REUTERS/Shannon Stapleton
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