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URGENCE PROCHE ORIENT

Exigez avec nous la protection sans condition des populations civiles

© Joseph Eid/AFP/Getty Images

© Joseph Eid/AFP/Getty Images

Liban

Chaque année, nous publions notre Rapport annuel sur la situation des droits humains dans le monde. Un an d’enquête, 155 pays analysés. Voici ce qu’il faut savoir sur les droits humains au Liban en 2023.

Les hostilités transfrontalières opposant le Hezbollah, groupe armé opérant au Liban, et les forces israéliennes se sont intensifiées à la suite des attaques perpétrées par des groupes armés palestiniens dans le sud d’Israël le 7 octobre. Alors que la crise économique persistait dans le pays, le gouvernement libanais n’a pas suffisamment protégé les droits à la santé, à la sécurité sociale et au logement de sa population. Cette inaction a eu des effets particulièrement dévastateurs sur les groupes marginalisés. L’impunité demeurait généralisée, profitant notamment aux responsables de l’explosion meurtrière survenue en 2020 dans le port de Beyrouth. Les autorités ont eu de plus en plus recours à la législation relative à la diffamation et à l’outrage pour réprimer la liberté d’expression et exercer des représailles contre les voix critiques, prenant en particulier pour cibles des journalistes, des syndicalistes et des militant·e·s. Elles ont systématiquement porté atteinte aux droits des personnes LGBTI. Certains pouvoirs publics ont attisé l’hostilité à l’égard des réfugié·e·s.

CONTEXTE

Les effets de la crise économique qui avait éclaté en 2019 se sont aggravés. Du fait de l’incapacité des autorités à résoudre cette crise, des millions de personnes n’ont pas pu jouir de leurs droits, en particulier à l’alimentation, à l’eau, à l’éducation et à la santé. D’après l’UNICEF, 86 % des foyers n’avaient pas les moyens de se procurer des produits de première nécessité. Le 15 septembre, le Fonds monétaire international a critiqué l’« inaction » des autorités libanaises, qui n’ont pas engagé les réformes économiques urgentes qui conditionnaient le déblocage d’un programme d’aide de plusieurs milliards de dollars.

Les prises de décision étaient entravées par l’impasse politique dans laquelle se trouvait le pays : le gouvernement s’en tenait toujours à la gestion des affaires courantes et le Parlement a échoué à élire un président.

À partir du 7 octobre, les hostilités à la frontière sud du Liban se sont considérablement intensifiées. Des bombardements des forces israéliennes ont tué au moins 20 civil·e·s, tandis que des munitions tirées en direction du nord d’Israël par le Hezbollah et d’autres groupes armés opérant au Liban ont fait au moins quatre morts parmi la population civile israélienne.

VIOLATIONS DU DROIT INTERNATIONAL HUMANITAIRE

FORCES ISRAÉLIENNES

Entre le 10 et le 16 octobre, l’armée israélienne a tiré des obus d’artillerie contenant du phosphore blanc lors d’opérations militaires menées le long de la frontière sud du Liban. Amnesty International a demandé qu’une enquête soit menée sur l’attaque du 16 octobre contre la ville de Dhayra, qui pourrait constituer un crime de guerre.

Trois journalistes libanais ont été tués alors qu’ils étaient en train de couvrir les hostilités dans le sud du pays. Le 13 octobre, des tirs d’artillerie israéliens visant le sud du Liban ont tué le journaliste de Reuters Issam Abdallah et blessé six autres journalistes. Amnesty International a vérifié une centaine de vidéos et photographies, analysé des fragments d’armements retrouvés sur le site et interrogé neuf témoins. D’après ses conclusions, le groupe de journalistes était identifiable comme tel et l’armée israélienne savait ou aurait dû savoir qu’il s’agissait de civil·e·s, mais elle a malgré tout procédé à l’attaque, lançant deux frappes à 37 secondes d’intervalle. Amnesty International en a déduit que ces deux frappes étaient probablement une attaque directe contre la population civile, devant à ce titre faire l’objet d’une enquête pour crime de guerre.

Le 21 novembre, deux journalistes de la chaîne de télévision locale Al Mayadeen – la reporter Farah Omar et le caméraman Rabih Maamari – et leur guide local Hussein Akil ont été tués lors d’une frappe sur le village de Teir Harfa, dans le district de Tyr.

DROIT À LA SANTÉ

L’État n’a pas atténué les répercussions de la crise économique sur le droit à la santé de la population. La suppression, en 2021 et 2022, des subventions sur la plupart des médicaments a provoqué une envolée des prix. La demande de médicaments gratuits ou peu coûteux fournis par des centres publics de soins primaires a alors considérablement augmenté, mais le gouvernement a réduit les fonds alloués à ces centres, privant la population d’un accès à des médicaments vitaux. Les groupes marginalisés subissaient de manière disproportionnée les effets de cette situation.

Selon une enquête d’Amnesty International publiée en juin, la hausse rapide du nombre de morts en détention observée entre 2019 et 2022 était en partie attribuable à un manque de soins de santé adéquats. Les prisons étaient insuffisamment dotées en personnel médical et manquaient de médicaments de base. Comme l’État ne payait pas aux hôpitaux privés et publics les soins prodigués aux détenu·e·s, les établissements refusaient parfois d’admettre ces personnes, même en cas d’urgence médicale.

DROIT À LA SÉCURITÉ SOCIALE

Le gouvernement n’avait toujours pas adopté de programme de protection sociale universelle ni pris les mesures nécessaires pour financer un tel programme. Une part non négligeable de la population, en particulier les personnes travaillant dans le secteur informel, n’était couverte par aucune protection sociale, et le montant des prestations versées aux personnes qui pouvaient en bénéficier n’était souvent pas suffisant pour satisfaire leurs besoins élémentaires. Limités, les programmes d’aide pécuniaire proposée par le Liban pour lutter contre la pauvreté ne suffisaient pas à venir en aide à de nombreuses personnes qui en avaient cruellement besoin.

DROITS EN MATIÈRE DE LOGEMENT

Les effets des séismes qui ont frappé en février la Turquie et la Syrie ont été ressentis dans tout le Liban. De nombreuses personnes, en particulier dans la ville côtière de Tripoli, vivaient déjà dans des immeubles qui menaçaient de s’effondrer. Alors que le gouvernement s’était engagé à évaluer l’intégrité structurelle des bâtiments et à couvrir pendant trois mois les frais de relogement des personnes vivant dans des habitations considérées comme à risque, ces promesses n’ont pas été suivies d’effet. Le 16 octobre, un bâtiment de la ville de Mansourieh, dans le district de Metn (gouvernorat du Mont-Liban) s’est écroulé, coûtant la vie à huit personnes.

IMPUNITÉ

L’impunité restait généralisée.

L’enquête sur l’explosion survenue en août 2020 dans le port de Beyrouth restait au point mort depuis décembre 2021, car les juges d’instruction étaient visés par des plaintes déposées par des responsables politiques qui avaient été convoqués pour interrogatoire ou inculpés dans cette affaire. Le 25 janvier, deux jours après la réouverture de l’enquête par Tarek Bitar, principal juge chargé de l’affaire, le procureur général a engagé des poursuites contre lui, notamment pour « usurpation de pouvoir », et a ordonné la libération de toutes les personnes détenues en lien avec l’explosion. La décision de libérer toutes les personnes qui restaient soupçonnées dans cette affaire a été déclarée illégale par l’ordre des avocats de Beyrouth et l’association des juges libanais. En mars, l’Australie a présenté devant le Conseil des droits de l’homme [ONU] une déclaration commune au nom de 38 États exprimant leur crainte que l’enquête sur l’explosion menée au niveau national n’ait été « entravée par une obstruction, des interférences et des intimidations systémiques, ainsi que par une impasse politique ».

L’enquête sur l’assassinat du militant et intellectuel Lokman Slim, retrouvé tué par balle dans sa voiture le 4 février 2021 dans le sud du Liban, n’a guère progressé. Le 2 février, des spécialistes des droits humains des Nations unies ont vivement regretté que si peu ait été fait pour amener les responsables présumés de ce crime à rendre des comptes.

LIBERTÉ D’EXPRESSION

Les autorités ont eu de plus en plus recours aux lois relatives à la diffamation et à l’outrage pour étouffer les critiques et exercer des représailles contre leurs adversaires, les harceler ou les intimider.

Amnesty International a recensé 10 cas de journalistes, syndicalistes et militant·e·s convoqués pour être interrogés dans le cadre de procédures pénales pour outrage et diffamation engagées contre eux par des personnes puissantes en raison de leurs positions critiques. Les droits à une procédure régulière des personnes ainsi prises pour cible ne leur étaient pas garantis par les forces militaires et de sécurité qui les convoquaient et les interrogeaient. Celles-ci avaient un comportement intimidant à leur égard. Elles menaçaient de les placer en détention, par exemple, ou exerçaient des pressions pour leur faire signer des déclarations dans lesquelles elles s’engageaient à ne plus critiquer la personne à l’origine de la plainte. Les dispositions relatives à la diffamation et à l’outrage, énoncées dans le Code pénal, la Loi relative aux publications et le Code de justice militaire, prévoyaient des peines allant jusqu’à trois ans d’emprisonnement pour ces infractions.

Le 11 juillet, la journaliste Dima Sadek a été condamnée à un an de prison et à une amende pour diffamation et incitation à commettre une infraction après avoir publié sur Twitter (devenu X) des critiques contre des membres d’un parti politique.

DROITS DES LESBIENNES, DES GAYS ET DES PERSONNES BISEXUELLES, TRANSGENRES OU INTERSEXES

Les autorités se sont systématiquement attaquées aux droits humains des personnes LGBTI et ont incité à la violence contre elles.

En juillet, neuf parlementaires ont présenté une proposition de loi visant à abroger l’article 534 du Code pénal, qui punissait d’un an d’emprisonnement et d’une amende « tout rapport sexuel contraire à l’ordre de la nature » En réaction, en août, un député et le ministre de la Culture ont présenté chacun de leur côté une proposition de loi érigeant explicitement en infraction les relations consenties entre personnes de même sexe et la « promotion de l’homosexualité ».

Le 23 août, des membres des « Soldats de Dieu », un groupe extrémiste chrétien, s’en sont pris à des personnes qui assistaient à une performance de drag-queens dans un bar de Beyrouth et ont menacé de commettre d’autres violences contre des personnes LGBTI. Les Forces de sécurité intérieure sont arrivées sur place pendant l’attaque, mais n’ont arrêté personne.

Le 25 août, 18 médias ont publié une déclaration commune contre la répression des libertés et les attaques contre les personnes LGBTI.

Le 5 septembre, la Coalition pour la défense de la liberté d’expression au Liban, composée de 15 organisations libanaises et internationales, dont Amnesty International, a exhorté les autorités à abandonner immédiatement toutes les propositions de loi anti-LGBTI et à mettre fin aux attaques contre les droits et les libertés.

DROITS DES PERSONNES RÉFUGIÉES OU MIGRANTES

Le Liban, qui abritait sur son sol environ 1,5 million de réfugié·e·s syriens, dont 795 322 étaient enregistrés auprès du HCR, ainsi que 13 715 réfugié·e·s d’autres nationalités, était toujours le premier pays d’accueil au monde au regard du nombre de réfugié·e·s par habitant. Selon le HCR, 90 % des personnes réfugiées originaires de Syrie vivaient dans une pauvreté extrême.

Au premier semestre, le climat hostile à l’égard des réfugié·e·s a été envenimé par une hausse alarmante des discours contre ces populations, parfois alimentés par les autorités locales et par des responsables politiques.

En avril et en mai, sur tout le territoire libanais, notamment dans le Mont-Liban, à Jounieh, à Qob Elias et à Bourj Hammoud, les forces armées libanaises ont fait irruption dans des habitations de personnes syriennes réfugiées, pour la plupart enregistrées auprès du HCR ou connues de ses services, et ont immédiatement procédé à l’expulsion de la majorité d’entre elles. À leur retour en Syrie, certaines ont été arrêtées ou ont disparu. Des personnes expulsées ont dit à Amnesty International qu’elles n’avaient pas eu la possibilité de contester la légalité de leur expulsion ou de faire valoir leurs droits à la protection.

Le 11 mai, 20 organisations nationales et internationales ont prié les autorités de « mettre fin aux expulsions sommaires vers la Syrie, qui bafouent le principe de non- refoulement ». Elles ont aussi demandé à la communauté internationale d’accroître l’aide apportée au Liban et de permettre la réinstallation de davantage de réfugié·e·s vivant dans le pays.

En septembre, les forces armées libanaises ont fait des descentes dans des camps de réfugié·e·s du gouvernorat de la Békaa et de la ville d’Ersal, où elles ont confisqué des modems, des panneaux solaires et des batteries.

DROIT À UN ENVIRONNEMENT SAIN

Les autorités libanaises n’ont rien fait pour cesser progressivement de faire fonctionner leurs usines au fioul lourd, comme le prévoyait le Plan 2022 du gouvernement relatif à l’électricité. En parallèle, des coupures d’électricité s’étendant sur tout le territoire ont contraint la population à recourir à des générateurs diesel privés, à la fois chers et extrêmement polluants.

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