Nous avons enquêté sur quatre frappes aériennes menées par les forces israéliennes au Liban entre le 29 septembre et le 21 octobre 2024. Bilan : ces frappes qui ont tué au moins 49 civil·es, dont des familles entières, doivent faire l’objet d’une enquête pour crimes de guerre.
L’escalade de la violence n’a fait que s’empirer entre Israël et le Hezbollah dans les mois qui ont précédé le 27 novembre 2024, date du cessez-le-feu.
depuis le 8 octobre 2023
Si le cessez-le-feu du 27 novembre est un soulagement pour les populations civiles après plus d’une année d’intensification du conflit, les crimes ne doivent pas rester impunis.
Dans notre rapport The sky rained missiles’: Israeli airstrikes in Lebanon must be investigated as war crimes, nous avons étudié quatre frappes aériennes menées par l’armée israélienne au Liban. Ces frappes, qui constituent des attaques aveugles, disproportionnées et directes contre des civil·es ou des biens de caractère civil, doivent faire l’objet d’une enquête en tant que crimes de guerre.
Ces quatre attaques illustrent le mépris d’Israël à l’égard de la vie des civil·es au Liban et sa volonté de bafouer le droit international.
Erika Guevara Rosas, directrice générale de la recherche, du plaidoyer, des politiques et des campagnes à Amnesty International.
Comment avons-nous enquêté ?
Nous avons analysé quatre frappes illégales menées par les forces israéliennes :
29 septembre : immeubles d’habitation dans le village d’al Ain, dans le nord de la Békaa
14 octobre : village d’Aitou, dans le nord du Liban
16 octobre : siège de la municipalité de Nabatiyé, dans le sud du Liban
21 octobre : ville de Baalbek
Nous nous sommes entretenus avec 35 rescapé·es et témoins de ces attaques. Nous avons étudié les sites des frappes à Nabatiyé, Aitou et Baalbek, et nous nous sommes rendus dans un hôpital où certains blessés sont soignés.
Nos chercheurs ont photographié des fragments des munitions utilisées lors des attaques afin de les faire identifier par des experts, examiné des dizaines de vidéos et de photos provenant de sources locales et disponibles sur les réseaux sociaux, et examiné des images satellite des lieux.
Nous avons adressé un courrier aux autorités israéliennes le 11 novembre pour leur demander des informations sur les objectifs militaires visés dans ces endroits et sur les mesures prises pour éviter ou réduire au minimum les pertes civiles. A ce jour, nous n’avons pas reçu de réponse.
Enquête sur quatre frappes aériennes d’Israël au Liban
Le 29 septembre, vers 4h50 (heure locale), en périphérie d’al Ain, une frappe israélienne a détruit la maison de la famille syrienne al Shaar, tuant les neuf membres qui dormaient à l’intérieur.
Ibrahim al Shaar, le seul survivant de la famille qui n’était pas chez lui cette nuit-là, a déclaré qu’il ignorait pourquoi sa maison avait été touchée.
Youssef Jaafar, le moukhtar du village, a expliqué que la famille al Shaar vivait dans le village depuis des années : « C’est une habitation civile, il n’y a aucune cible militaire à l’intérieur. Elle est pleine d’enfants. Cette famille est bien connue par ici. »
Les images satellite du 21 mai 2024 montrent la maison de la famille al Shaar, dans le village d’al Ain, dans la Békaa, au Liban. Le 30 septembre, le bâtiment est complètement détruit et on voit sur le sol des traces d’incendie dues à l’explosion. Des traces de déblaiement sont visibles dans la zone des débris, ce qui concorde avec les vidéos montrant la présence de pelleteuses après la frappe.
Le 21 octobre vers 5h45 (heure locale), les forces israéliennes ont frappé le quartier de Nabi Inaam à Baalbek, détruisant un bâtiment qui abritait 13 membres de la famille Othman.
Cette frappe a fait six morts, deux femmes et quatre enfants, et sept blessés.
Fatima Drai, qui a perdu ses deux fils Hassan, 5 ans, et Hussein, 3 ans, a déclaré : « Mon fils m’a réveillée ; il avait soif et voulait boire. Je lui ai donné de l’eau et il s’est rendormi en serrant son frère dans ses bras. [...] En les voyant ainsi, j’ai souri et je me suis dit qu’au retour de leur père, je lui raconterai comment est notre fils. Je suis allée prier, et c’est alors que tout a explosé autour de moi. Une bonbonne de gaz a explosé, me brûlant les pieds, et en quelques secondes, la chambre de mes enfants a été consumée. »
Toutes les victimes de ces deux attaques qui ont touché les maisons des familles al Shaar et Othman étaient des civil·es. Nous n’avons trouvé aucune preuve de la présence d’objectifs militaires dans les maisons ni à proximité immédiate.
Ces frappes constituent des attaques directes contre des civils et des biens de caractère civil. Elles doivent faire l’objet d’une enquête en tant que crimes de guerre.
Qu’est-ce qu’un crime de guerre ?
Les crimes de guerre sont des violations du droit international humanitaire, et plus particulièrement de ce que l’on appelle des « lois et coutumes de la guerre » définies par les Conventions de Genève et les Conventions de la Haye. Il s’agit de crimes commis à l’encontre de civil·es, et plus largement à l’encontre de toutes les personnes ne participant pas directement aux hostilités, à l’occasion d’un conflit armé international ou non international.
Les crimes de guerre comprennent notamment les attaques délibérées contre des civil·es, la torture, le meurtre ou les mauvais traitements infligés aux prisonniers de guerre, les pillages et les destructions de biens civils, la prise d’otages, ou encore les violences sexuelles.
Un crime de guerre est une violation grave du droit international humanitaire, pour laquelle les auteurs encourent une responsabilité pénale personnelle au regard du droit international.
Lire aussi : Crime de guerre, crime contre l’humanité, conflit armé, terrorisme,… Que dit le droit international ?
Le 14 octobre, une frappe aérienne israélienne a détruit un bâtiment à Aitou, tuant 23 civil·es déplacé·es du sud du Liban, ainsi qu’Ahmad Fakih. Ceux qui se trouvaient dans le bâtiment pensent que cet homme était la cible de l’attaque, qui a eu lieu quelques minutes après son arrivée.
La plus jeune victime est Aline, un bébé de cinq mois : elle a été projetée hors de la maison dans un pick-up situé à proximité et n’a été retrouvée que le lendemain par des secouristes.
L’armée israélienne n’a pas commenté publiquement l’attaque et n’a pas précisé l'objectif de cette frappe à Aitou, au cœur de la région chrétienne du Liban et à plus de 115 kilomètres de la frontière avec Israël.
Un expert en armements d’Amnesty International a analysé un fragment de munition retrouvé sur le site. Au regard de sa taille, de sa forme et des bords festonnés du lourd cylindre en métal, il l’a identifié comme étant très probablement une bombe aérienne de la série Mk-80, soit une bombe d’au moins 250 kilos. Les États-Unis sont le principal fournisseur de ce type de munitions à Israël.
L’une des survivantes, Jinane Hijazi, qui a perdu son bébé de 11 mois, Ruqayya Issa, a déclaré : « J’ai tout perdu, toute ma famille, mes parents, mes frères et sœurs, ma fille. J’aurais préféré mourir ce jour-là. »
Même si l’objectif d’Israël était de cibler Ahmad Fakih, qui d’après les survivants était affilié au Hezbollah, les moyens et la méthode employés contre une maison remplie de civils font qu’il s’agit probablement d’une attaque aveugle, possiblement disproportionnée compte tenu de la présence d’un grand nombre de civils au moment de l’attaque. Elle doit faire l’objet d’une enquête en tant que crime de guerre.
Nos chercheurs se sont rendus sur les lieux des frappes à Aitou et ont trouvé des livres pour enfants, des jouets, des vêtements et des ustensiles de cuisine dans les décombres de la maison.
L’attaque aérienne a eu lieu sans avertissement, au moment même où la cellule de crise de la municipalité se réunissait pour coordonner l’acheminement de l’aide – nourriture, eau et médicaments notamment – aux habitant·es et aux personnes déplacées qui avaient fui les bombardements dans d’autres zones du sud du Liban.
Après la frappe, l’armée israélienne a déclaré que ses forces avaient attaqué des dizaines de cibles du Hezbollah dans la région de Nabatiyé, sans faire explicitement référence à cette frappe en particulier. Or, nous n'avons trouvé aucune preuve de l’existence d’une cible militaire au siège de la municipalité au moment de l’attaque.
Sur ces images satellite, on peut voir le bâtiment de la municipalité de Nabatiyé le 15 octobre 2024 à 6h28 TU. Le 16 octobre à 7h06 TU, le bâtiment n’est plus visible et un grand panache de fumée s’élève de la zone. L’image semble avoir été prise juste après la frappe aérienne.
Israël présente un triste bilan en matière de frappes aériennes illégales à Gaza et lors de précédentes guerres au Liban, qui ont eu des effets dévastateurs pour la population civile. Au regard des dernières preuves de frappes aériennes illégales lors de la récente offensive israélienne au Liban, il importe que tous les États, en particulier les États-Unis, suspendent les transferts d’armes vers Israël, car elles risquent de servir à commettre de graves violations du droit international humanitaire.
Erika Guevara Rosas, directrice générale de la recherche, du plaidoyer, des politiques et des campagnes à Amnesty International.
Nos demandes :
Israël doit respecter les obligations qui lui incombent en vertu du droit international humanitaire, notamment l'interdiction des attaques directes contre des civil·es et des biens de caractère civil ainsi que des attaques aveugles et disproportionnées. Israël doit prendre toutes les précautions possibles pour éviter ou réduire au minimum les dommages causés aux civil·es et aux biens de caractère civil.
Ces frappes aériennes menées par l’armée israélienne doivent faire l’objet d’une enquête en tant que crimes de guerre
Le gouvernement libanais doit demander la tenue d’une session extraordinaire du Conseil des droits de l’homme des Nations unies afin de mettre sur pied un mécanisme d’enquête indépendant sur les violations et les crimes présumés commis par toutes les parties à ce conflit.
Le gouvernement libanais doit également accorder à la Cour pénale internationale la compétence pour les crimes relevant du Statut de Rome commis sur le territoire libanais.
Les alliés d'Israël, comme les États-Unis, doivent suspendre tout transfert d’armes en raison des risques d'utilisation pour violer le droit international.
Nous demandons également la suspension des transferts d'armes au Hezbollah et aux autres groupes armés du Liban.
Les yeux du monde sont rivés sur Gaza. Tous les Etats, dont la France, ont un rôle majeur à jouer : ils ont l’obligation de prévenir et de punir le génocide.
Faites pression sur Emmanuel Macron pour qu’il agisse !