Depuis le 14 novembre, la répression exercée contre les manifestants s'accroît.
Depuis le 14 novembre, une violente répression est exercée contre des manifestants largement pacifiques au Liban. Nous avons observé les manifestations sur le terrain. Nous nous sommes aussi entretenus avec sept témoins, dont deux blessés, et avons visionné des vidéos et des images de tirs de gaz lacrymogènes visant à disperser les manifestants.
Deux mois après le début des manifestations antigouvernementales, aucune enquête approfondie et indépendante n’a été ouverte par les autorités au Liban. Au contraire, l’usage de la force contre les manifestants s’accroît. Dimanche 15 décembre, la ministre libanaise de l’Intérieur par intérim Raya Al Hassan a mis en garde contre les « infiltrés » qui cherchent à se servir des manifestations pour déclencher des « affrontements » et a demandé aux manifestants pacifiques de quitter la zone « pour leur propre protection ». Elle a annoncé une enquête interne « rapide et transparente » sur les violences commises.
« Les grenades lacrymogènes pleuvaient. »
Samedi 14 décembre 2019, vers 18 heures, des manifestants pacifiques – hommes, femmes, personnes âgées et enfants – se sont rassemblés devant le Parlement, dans la capitale Beyrouth. Ceux qui se trouvaient en première ligne nous ont raconté que dès 19 heures, sans aucune provocation, de nombreux policiers antiémeutes ont foncé sur la foule, en pourchassant et frappant les manifestants. Ils été accompagnés d’hommes en civil armés de matraques. En quelques minutes, ils ont commencé à tirer des salves incessantes de grenades lacrymogènes. Des dizaines de personnes ont été blessées par les coups et l’inhalation des gaz.
Une fois dispersés, les manifestants ont été pourchassés par la police sur près de deux kilomètres le long de l’axe principal.
Les gaz lacrymogènes étaient tirés sans discontinuer. Au départ, quatre [grenades] à la fois, puis on aurait dit des feux d’artifice, comme quand on était petits. Certains vomissaient, d’autres disaient de boire de l’eau, de sentir des oignons et du vinaigre ; personne ne savait ce qui se passait.
Sara, une manifestante
Un autre militant a raconté qu’à son réveil le lendemain, il toussait encore à cause des gaz : « La quantité de gaz lacrymogènes était aberrante. On aurait dit des tirs à la mitrailleuse. Les grenades lacrymogènes pleuvaient. » D’après notre expert en armements, sur les images de grenades lacrymogènes retrouvées samedi, il s’agit de grenades CM4 de 56 mm fabriquées par l’entreprise française SAE Alsetex en octobre 2007.
Des manifestants finissent à l’hôpital
La Croix-Rouge libanaise a indiqué avoir soigné 33 personnes sur le terrain et transporté 10 blessés dans les hôpitaux samedi soir. Parmi les personnes traitées sur place, certaines souffraient de difficultés respiratoires, de vomissements et de toux en raison de l’exposition aux gaz lacrymogènes. La Défense civile libanaise a indiqué avoir soigné 72 blessés sur place et en avoir conduit 20 autres à l’hôpital.
Nous avons interrogé l’un des médecins urgentistes de garde dans un hôpital proche qui soigne les manifestants blessés. Selon lui, environ 25 ont été admis samedi soir. Les types de blessures décrits résultaient surtout de coups, notamment des contusions, des dents cassées et des coupures nécessitant des points de suture. Une jeune femme ayant été frappée avait du sang dans les poumons. Trois personnes sont arrivées aux urgences sans papiers d’identité. Selon le médecin : « Elles ont expliqué que les policiers ont pris leurs papiers d’identité, puis les ont passées à tabac ; elles ont été frappées sur tout le corps et étaient enflées de la tête aux pieds. »
Elles ont été frappées sur tout le corps et étaient enflées de la tête aux pieds.
Un médecin urgentiste
La police du Parlement a également traîné plusieurs manifestants sur la place derrière les barrières et les a frappés, insultés et menacés. Un manifestant blessé a raconté qu’il protégeait d’autres manifestants contre les coups, lorsque des policiers antiémeutes l’ont emmené derrière les barrières. Ils lui ont lié les mains derrière le dos et l’ont frappé pendant une vingtaine de minutes, jusqu’à ce qu’il n’y tienne plus. Il a déclaré : « Ils m’ont frappé là, derrière les barrières. C’est comme Guantanamo sur la place Nejmeh.
Les autorités libanaises doivent réagir
- Une enquête pénale indépendante menée par le bureau du procureur peut dissuader les forces de l'ordre de recourir à une force excessive. Les responsables de violations des droits humains doivent rendre des comptes.
- Les manifestants pacifiques ont le droit d’obtenir justice et de demander réparation pour ce qu’ils ont subi ce week-end, et le seul moyen d’y parvenir, c’est d’aller devant une cour de justice indépendante.