La proposition de loi dite de « sécurité globale » menace toujours nos libertés. Elle est au cœur des débats depuis le mois d'octobre 2020. Décryptage en six questions pour tout comprendre.
Une victoire !
Sept articles de loi « sécurité globale », votée par le parlement le 15 avril, viennent d’être censurés par le Conseil constitutionnel. Une victoire pour nos droits fondamentaux.
Après un examen à l’Assemblée nationale puis au Sénat, des milliers de courriers envoyés aux élus et des mois de mobilisations qui ont conduit des dizaines de milliers de personnes dans les rues, partout en France, pour défendre les libertés : où en est-on avec la proposition de loi dite « de sécurité globale » ? On vous explique.
Est-ce que la loi a été adoptée ?
Pas tout à fait.
Elle a été adoptée par l’Assemblée nationale, le 24 novembre 2020, après quatre jours de débat et 1 418 amendements examinés. Ensuite, elle a été votée au Sénat, le 18 mars 2021, après trois jours de débats et 387 amendements débattus. Les deux assemblées doivent maintenant se mettre d’accord sur une version finale du texte (dans une « commission mixte paritaire » composée de députés et de sénateurs) avant une nouvelle lecture par les deux chambres. En cas de désaccord, c’est l’Assemblée nationale qui a le dernier mot. Et ce n’est pas fini: avant d’être promulguée, la loi peut faire l’objet d’une saisine du Conseil constitutionnel, pour vérifier qu’elle est conforme à la Constitution française.
Il reste donc quelques étapes avant que la proposition de loi (PPL) «Sécurité globale / pacte de sécurité respectueux des libertés » n’entre dans le droit.
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Peut-on encore parler de proposition de loi de « sécurité globale » ?
Non… car les sénateurs et sénatrices ont changé son nom !
Le 18 mars 2021 au soir, le Sénat a voté un ultime amendement, avant d’adopter la loi, pour changer son titre : elle s’appelle désormais « loi pour un nouveau pacte de sécurité respectueux des libertés ». Mis à part le changement d’intitulé, le passage de ce texte au Sénat a-t-il changé quelque chose au contenu ? Pas vraiment.
Certes, les sénateurs et sénatrices ont apporté quelques améliorations à la proposition de loi d’origine. Mais le texte contient toujours la menace d’une surveillance trop large de la population, tandis que l’article 24 crée un nouveau délit de « provocation à l’identification» qui risque de contribuer à masquer les violences policières.
Quels sont les principaux problèmes que soulève cette proposition de loi ?
Il y en a plusieurs qui menacent nos libertés !
La proposition de loi de « sécurité globale» continue de faire peser de graves menaces sur nos libertés fondamentales comme le droit à la vie privée, le droit de manifester ou encore la liberté d’informer.
En l’état, elle autorise par exemple :
- la surveillance par des drones équipés de caméras dans presque tout l’espace public (article 22). Filmer la population à l’aide de caméras mobiles est très intrusif : pour s’autoriser une telle atteinte au droit à la vie privée, les autorités doivent prouver que l’usage de drone est nécessaire et qu’il est proportionné.
Or, la proposition de loi « Sécurité Globale » autorise largement l’usage des drones : au-dessus des frontières, dans tout espace public pour constater des infractions, mais aussi lors de manifestations. Cela pourrait dissuader certaines personnes d’y participer si elles ne souhaitent pas être filmées.
- La proposition de loi vise également à généraliser l’usage des caméras piétons, des caméras embarquées (dans les voitures des forces de l’ordre) et ouvre l’accès aux images de vidéosurveillance à de nombreux agents. Elle n’interdit pas l’usage de la reconnaissance faciale. Rappelons que les sénateurs et sénatrices ont interdit l'utilisation des dispositifs de reconnaissance faciale uniquement pour les images filmées par drone. Toutefois une telle interdiction n'apparaît pas dans les dispositions régissant l'emploi des caméras piétons ou des caméras embarquées.
Une surveillance très large couplée à de la reconnaissance faciale s’apparenterait à de la surveillance de masse. Nous considérons cela comme une violation disproportionnée du droit à la vie privée. De plus, la reconnaissance faciale amplifie les risques discriminatoires contre des minorités lors des opérations policières.
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Est-ce que la réécriture de l’article 24 par le Sénat est une avancée ?
Hélas, non.
Nous avons été très mobilisés contre l’article 24 de la proposition de loi de « sécurité globale », comme beaucoup d’autres organisations de défenseurs des droits humains ou de journalistes : la Défenseure des droits en France, la Commission nationale consultative des droits de l’homme, cinq rapporteurs spéciaux des Nations unies, et la commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe ont tous vivement critiqué cette proposition de loi.
À l’origine, cet article visait à sanctionner la diffusion malveillante d’images de la police. Mais l’imprécision de cet article aurait pu entraver la diffusion de preuves de violences policières. Face à la contestation, les sénateurs l’ont complètement réécrit et transformé en « délit de provocation à l’identification » des policiers, dans le but qu’il ne soit pas porté atteinte à leur « intégrité physique ou psychique ».
Cette nouvelle rédaction pose d’autres problèmes : ce délit reste vague, visant une supposée intention de nuire aux policiers. Ainsi, les auteurs d’images ou de vidéos, dans lesquelles on pourrait apercevoir le visage ou le RIO (numéro d’identification) d’un membre des forces de l’ordre, seraient susceptibles de poursuites judiciaires. Nous avons déjà documenté que des lois avec une portée trop large ont pu être utilisées abusivement en France contre des manifestants ou des observateurs des droits humains.
Alors qu’il n’a pas été prouvé que créer un nouveau délit était nécessaire – le code pénal protège déjà les forces de l’ordre contre les menaces, le harcèlement, la diffamation, etc. – une nouvelle loi trop vague pourrait conduire à des abus et ainsi servir à entraver le travail de toutes celles et ceux qui documentent l’action de la police. Plutôt que d’adopter des lois pouvant être utilisées pour cacher les violences policières, les autorités devraient engager des réformes structurelles pour y mettre fin.
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Si cette proposition de loi était adoptée en l’état, l’affaire Cédric Chouviat aurait-elle pu être révélée ?
Pas sûr…
En janvier 2020, Cédric Chouviat, livreur, est mort à la suite d’une interpellation violente de la police lors d'un contrôle routier, à Paris. Des vidéos de son interpellation, filmées par les passants, démontrent un usage disproportionné de la force alors que rien n’indique que la personne interpellée représentait un danger. Ces vidéos ont été obtenues par son avocat à la suite d’un appel à témoins sur les réseaux sociaux.
Avec l’article 24 de la proposition de loi de « sécurité globale », les personnes ayant filmé la scène auraient pu craindre, en partageant les vidéos, d’être accusées de « porter atteinte à l’intégrité psychique » des policiers en les identifiant. Ces images ont permis l’ouverture d’une enquête judiciaire contre des policiers : on pourrait considérer que cela peut porter atteinte à leur intégrité psychique en leur causant un certain stress. Cette proposition de loi trop large et sa rédaction trop vague risqueraient de dissuader des personnes de filmer et d’agir face aux violences policières par crainte d’être poursuivies.
Les mobilisations ont-elles permis des avancées ?
Oui !
Les marches des libertés organisées par des dizaines d’associations et de syndicats, partout en France et depuis des mois, ainsi que les interpellations de députés et de sénateurs ont eu un impact.
Cette mobilisation a permis quelques avancées, comme l’interdiction d’utiliser les images des caméras piétons à des fins d’information du public. Autoriser les forces de l'ordre à utiliser des images d’interventions pour de la communication publique posait de graves problèmes de respect du droit à la vie privée. Nous rappelons que la question de la vie privée ne se pose de la même façon pour des policiers, dont la mission de service public suppose qu'ils soient exemplaires et qu’ils doivent rendre des comptes.
La mobilisation a également permis l’interdiction d’utiliser la reconnaissance faciale pour les images filmées par les drones. Mais c’est très loin d’être suffisant. Il va falloir rester vigilants pour que le gouvernement et les parlementaires ne reviennent pas sur ces garanties.
Cela montre aussi que nos alertes ont atteint leurs cibles. Plusieurs institutions de défense des droits humains se sont ainsi prononcées contre cette proposition de loi. Plus largement, des dizaines d’organisations, syndicales, de défense des libertés, des collectifs contre les violences policières, des sociétés de journalistes, des réalisateurs et documentaristes, des avocats, ont travaillé ensemble à sensibiliser et mobiliser les citoyens pour la défense des libertés.
Ces mois de mobilisation auront montré aux autorités qu’une partie importante de la population en France est prête à descendre dans la rue pour exiger une police respectueuse des droits humains, défendre la liberté d’informer, le droit à la vie privée. Pour défendre nos libertés, nous continuerons le combat.