Exigez avec nous la protection sans condition des populations civiles
© Steve Russell/Toronto Star via Getty Images
Canada
Chaque année, nous publions notre Rapport annuel sur la situation des droits humains dans le monde. Un an d’enquête, 155 pays analysés. Voici ce qu’il faut savoir sur les droits humains au Canada en 2023.
Les personnes noires et les autres personnes racisées restaient confrontées à un racisme et une discrimination systémiques. Le territoire de la nation Wetʼsuwetʼen était toujours menacé par la construction d’un gazoduc. Les violences à l’égard de femmes autochtones ont persisté et le sort d’enfants autochtones portés disparus n’a pas été élucidé. Les droits fondamentaux des personnes demandeuses d’asile ou migrantes n’étaient pas respectés. Les personnes deux esprits, lesbiennes, gaies, bisexuelles, transgenres, queers, en questionnement, intersexes et asexuelles (2ELGBTQQIA+) étaient en butte à la discrimination et à la violence. Le Canada n’a pas atteint ses objectifs de réduction des émissions carbone. Plusieurs grandes entreprises canadiennes étaient impliquées dans des atteintes présumées aux droits humains perpétrées à l’étranger.
DISCRIMINATION
À la suite d’un grief déposé par des travailleurs et travailleuses noirs et racisés, il a été reconnu en mars que la Commission canadienne des droits de la personne faisait preuve de racisme, de discrimination et de sexisme systémiques.
En juin, le gouvernement québécois a déposé le projet de loi 32, qui devait obliger les établissements de santé et les services sociaux à adopter une « approche de sécurisation culturelle » à l’égard des personnes autochtones. Ce texte ne reconnaissait cependant pas l’existence d’un racisme et d’une discrimination systémiques. Le gouvernement québécois n’avait toujours pas adopté le Principe de Joyce, dont l’objectif était que les personnes appartenant à des peuples autochtones aient toutes accès aux services sociaux et de santé sans subir de discrimination.
Le gouvernement québécois a adopté le projet de loi 14 pour lutter notamment contre le profilage ethnique par la police ; le ministre québécois de la Sécurité publique a toutefois affirmé qu’il n’y avait « pas de racisme érigé en système ». Selon un rapport indépendant, les personnes racisées risquaient davantage d’être arrêtées par la police que les personnes blanches.
Une procédure judiciaire pour discrimination systémique engagée par des employé·e·s noirs de la fonction publique fédérale était toujours en cours à la fin de l’année.
Le Tribunal canadien des droits de la personne a approuvé en juillet un accord d’indemnisation portant sur un montant de 23,3 milliards de dollars canadiens, en faveur de plus de 300 000 enfants autochtones victimes de discrimination de la part des autorités.
DROITS DES LESBIENNES, DES GAYS ET DES PERSONNES BISEXUELLES, TRANSGENRES OU INTERSEXES
Les violences contre les personnes 2ELGBTQQIA+ étaient très répandues. Un certain nombre d’incidents préoccupants motivés par la haine se sont produits, tels que des actes de vandalisme dirigés contre des drapeaux des fiertés, ou des manifestations hostiles lors de séances de lecture de contes pour enfants par des personnes travesties, notamment.
Des manifestations de grande ampleur ont eu lieu en septembre pour demander la suppression, dans les programmes scolaires, des enseignements relatifs à l’orientation sexuelle ainsi qu’à l’identité et à l’expression de genre. Les manifestant·e·s demandaient également l’abandon par les établissements des politiques prenant en compte ces questions.
La Saskatchewan et le Nouveau-Brunswick ont adopté des lois interdisant aux jeunes 2ELGBTQQIA+ de faire reconnaître sans l’accord de leurs parents leur genre et les pronoms par lesquels elles et ils souhaitaient être désignés.
DROITS DES PEUPLES AUTOCHTONES
La construction du gazoduc de Coastal GasLink s’est poursuivie, en l’absence du consentement préalable, libre et éclairé des chefs héréditaires des Wet’suwet’en. La Gendarmerie royale du Canada et des compagnies de sécurité privées se sont livrées à des actes de harcèlement et d’intimidation à l’égard de défenseur·e·s des terres wet’suwet’en. Plusieurs défenseur·e·s des terres ont comparu en justice en mai et en octobre pour avoir tenté de protéger le territoire des Wet’suwet’en menacé par la construction du gazoduc. Une femme a été déclarée non coupable en novembre. Les autres défenseur·e·s étaient toujours en attente d’une décision à la fin de l’année ; en cas de condamnation, ces personnes étaient passibles de peines d’emprisonnement.
Le rapporteur spécial des Nations unies sur les droits des peuples autochtones a instamment prié le Canada de trouver une solution à « l’épidémie » de violence à l’égard des femmes autochtones, attirant l’attention sur l’augmentation des cas de disparition et de meurtre de femmes et de filles autochtones dans le pays, ainsi que sur le nombre élevé d’agressions sexuelles et de situations d’exploitation dont étaient victimes des femmes, filles et personnes 2ELGBTQQIA+ autochtones à proximité des chantiers de construction de pipelines. Quatre ans après la remise du rapport final de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées, seuls deux des 231 appels à la justice qui y figuraient avaient reçu une réponse concrète.
Le Plan d’action national du Canada au titre de la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones ne prévoyait ni mécanisme d’obligation de rendre des comptes, ni procédure destinée à obtenir le consentement préalable, libre et éclairé des personnes autochtones concernées par les projets envisagés.
L’Interlocutrice spéciale indépendante pour les enfants disparus et les tombes et les sépultures anonymes en lien avec les pensionnats indiens a recommandé la mise en place d’un cadre juridique destiné à protéger les tombes anonymes et à aider les communautés autochtones dans leur recherche d’enfants disparus. Malgré un accord juridique, signé en avril, qui définissait un cadre de travail permettant la recherche de sites d’inhumation, les Kanien’kehá:ka Kahnistensera (Mères Mohawks) avaient beaucoup de mal à accéder aux archives nécessaires et se heurtaient à un manque de collaboration de la part des différentes parties prenantes.
DROITS DES PERSONNES RÉFUGIÉES OU MIGRANTES
Le champ d’application de l’Entente sur les tiers pays sûrs a été étendu à toute la frontière entre les États-Unis et le Canada, y compris les voies navigables. Les demandeurs et demandeuses d’asile pénétrant sur le territoire canadien par des points de passage non officiels étaient renvoyés aux États-Unis, à moins de parvenir à ne pas être découverts pendant 14 jours. En juin, la Cour suprême a décidé de ne pas invalider cette Entente.
L’Agence des services frontaliers du Canada a cette année encore placé des demandeurs et demandeuses d’asile et des migrant·e·s en détention administrative pour une durée indéterminée. Un rapport d’enquête judiciaire dont les conclusions ont été rendues publiques en février a recommandé de mettre un terme au recours à la prison pour placer en détention des personnes arrêtées au titre de la législation sur l’immigration. Cette enquête avait été diligentée après le décès d’un réfugié présentant des problèmes de santé mentale et qui avait passé plusieurs années en détention au titre de la législation sur l’immigration. L’Ontario, le Québec, la Saskatchewan et le Nouveau-Brunswick ont annoncé avoir mis fin aux accords qu’ils avaient passés avec l’Agence des services frontaliers du Canada en matière de détention liée au statut migratoire ; à l’horizon de juillet 2024, plus personne ne devait être incarcéré dans une prison de ces provinces uniquement en raison de son statut migratoire.
Le statut précaire des personnes migrantes les exposait aux atteintes aux droits humains. Le gouvernement québécois a continué d’exclure les familles demandeuses d’asile des services de garde d’enfants subventionnés par l’État. En outre, des migrant·e·s en situation irrégulière se sont vu refuser l’accès à des soins de santé.
RESPONSABILITÉ DES ENTREPRISES
Plusieurs grandes entreprises canadiennes ont été impliquées dans des atteintes présumées aux droits humains à l’étranger (travail forcé, déplacements de populations, agressions sexuelles, atteintes à l’environnement et homicides, notamment). Le Bureau de l’ombudsman canadien de la responsabilité des entreprises (OCRE) a ouvert en juillet une enquête sur l’implication d’entreprises canadiennes dans des atteintes présumées aux droits humains commises en Chine contre des membres de la population ouïghoure.
de l’OCRE restait toutefois préoccupante. Le rapporteur spécial des Nations unies sur les droits des peuples autochtones a signalé que cet organisme souffrait d’un certain nombre de lacunes. Il ne prévoyait notamment pas de mécanisme de protection pour les personnes qui déposaient une plainte et n’avait pas la capacité de contraindre les entreprises à lui fournir les témoignages et les documents nécessaires.
L’entreprise canadienne Ivanhoe Mines était impliquée dans des atteintes aux droits humains commises dans le cadre de l’expansion de mines de cuivre exploitées en République démocratique du Congo.
Le projet de loi S-211 a été promulgué en mai. Ses dispositions restaient toutefois insuffisantes en ce qui concerne la lutte contre le travail forcé et le travail des enfants dans les chaînes d’approvisionnement.
Le Canada n’a pas adopté de dispositions légales obligeant les entreprises canadiennes à respecter le principe de diligence requise en matière de droits fondamentaux et d’environnement pour toutes leurs activités, sur le territoire national comme à l’étranger.
TRANSFERTS D’ARMES IRRESPONSABLES
Le Canada a continué d’exporter des armes vers des pays où il existait un risque important qu’elles soient utilisées pour commettre ou faciliter de graves violations du droit international humanitaire ou relatif aux droits humains. Des armes pour une valeur de 1,2 milliard de dollars des États-Unis, soit 57 % des exportations d’armes du Canada, ont ainsi été envoyées en Arabie saoudite.
Entre février et la fin de l’année, les autorités ont approuvé l’exportation vers le Pérou de fournitures militaires pour une valeur d’environ un million de dollars des États-Unis, dont des « agents de lutte antiémeute », alors que ce pays était le théâtre de manifestations sévèrement réprimées.
Le Canada avait accordé 315 permis d’exportation d’armes et de technologies militaires à destination d’Israël en 2022, et a approuvé pour plus de 21 millions de dollars d’exportation de matériel militaire vers ce même pays entre octobre et décembre 2023.
DROIT À UN ENVIRONNEMENT SAIN
Le Canada a été fortement touché par des incendies de forêt, qui ont ravagé 18,4 millions d’hectares. Ces feux ont eu de graves conséquences en matière de droits humains et ont entraîné le déplacement de nombreuses communautés autochtones, dont celle de Fort Chipewyan, dans l’Alberta, et celle de Uashat mak Mani-utenam, au Québec.
Le Bureau du vérificateur général du Canada a indiqué que le pays n’atteindrait pas son objectif de réduction de 40 à 45 % de ses émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 et de bilan carbone neutre d’ici 2050, le secteur pétrolier et gazier continuant d’être le principal émetteur de gaz à effet de serre.
Le Canada faisait partie des cinq pays prévoyant une augmentation de la production de combustibles fossiles et des subventions accordées à ce secteur en 2024, pour des projets aussi bien sur le territoire national qu’à l’étranger. Le Canada, qui projetait de forer 8 % de puits de pétrole et de gaz supplémentaires pour la seule année 2024, devrait enregistrer des niveaux d’émissions record en 2028.