La terrible situation des enfants en Syrie, notamment illustrée par les images montrant le petit Omran Daqneesh, cinq ans, le visage ensanglanté et hagard, à l'arrière d'une ambulance alors qu'il vient d'être extrait des décombres de sa maison, permet de comprendre aisément pourquoi les parents emmènent avec eux leurs enfants quand ils entreprennent un périple dangereux et incertain vers l'Europe.
Par Gauri Van Gulik, directrice adjointe du programme Europe d’Amnesty International
La terrible situation des enfants en Syrie, notamment illustrée par les images montrant le petit Omran Daqneesh, cinq ans, le visage ensanglanté et hagard, à l'arrière d'une ambulance alors qu'il vient d'être extrait des décombres de sa maison, permet de comprendre aisément pourquoi les parents emmènent avec eux leurs enfants quand ils entreprennent un périple dangereux et incertain vers l'Europe. Or, les enfants qui survivent à ce voyage et atteignent les rivages de l'Europe ne sont pas pour autant au bout de leurs épreuves.
Lors d'une visite sur l'île de Lesbos, en Grèce, j'ai vu de mes yeux ce qui les attend.
LES CICATRICES DE LA GUERRE
Dans un centre de détention à Lesbos, j'ai fait la connaissance d'Ahmed, un bébé d'un an, malade quasiment depuis le début de sa vie en raison de ce que sa mère a décrit comme étant une attaque chimique. Elle m'a raconté qu'une bombe a détruit sa maison peu après la naissance d'Ahmed, qui a reçu un éclat d'obus dans le cou. Peu après, il a été atteint d'une forme aiguë d'asthme et a développé d'autres symptômes correspondant à l'inhalation de chlore gazeux. Quand j'ai vu ce bébé, un an environ après le bombardement, son petit corps présentait des cicatrices et il avait du mal à respirer
"Je ne voulais pas quitter la Syrie mais notre maison a été détruite" déclare Salwa, une professeure de 38 ans de Damas. Elle vient au camp Softex en Grèce avec Hadi son enfant de 3 ans. © Reichard Burton / Amnesty International
Sa famille, des Palestiniens de Syrie, a d'abord fui les horreurs du siège du camp de Yarmouk, à Damas, où les gens souffraient notamment de la faim. Mais la famille a été poursuivie par la guerre quand elle a fui à Idlib, dans le nord du pays. Quand un obus a frappé sa maison, la mère a emmené sa famille de l'autre côté de la frontière, en Turquie, où ils ont payé des passeurs pour effectuer une dangereuse traversée à bord d'une embarcation surpeuplée à destination des îles grecques.
DANS LES CENTRES DE DÉTENTION GRECS
Noura a 6 ans et vient de Syrie. Elle est coincée en Grèce avec sa mère, ses deux frêres et sa soeur. Noura n'est pas allé à l'école depuis un an et sa mère dit qu'elle a perdu 2 kilos depuis son arrivée dans le camps. © Giorgos Moutafis / Amnesty International
Quand ils ont débarqué, ils n'ont pas été accueillis à bras ouverts. Ils sont arrivés après l'entrée en vigueur, le 20 mars, de l'accord entre l'Union européenne et la Turquie, qui a de fait transformé ces îles en lieux de détention massive.
La famille d'Ahmed s'est retrouvée enfermée, avec plus de 3 000 autres personnes, dans le centre de détention de Moria, séparée du monde extérieur par des clôtures en fil de fer barbelé. Quand j'ai rencontré ces personnes, elles ne bénéficiaient d'aucune intimité et n'avaient aucune idée de ce qui allait leur arriver par la suite. Au lieu de prodiguer rapidement à Ahmed les soins médicaux dont il avait besoin d'urgence, un médecin a donné une boîte de paracétamol à la famille.
LA JOURNÉE N'EST PAS FINIE
Une famille s'abirant dans des tentes de fortune en Grèce © Fotis Filippou / Amnesty International
Elles ont depuis été déplacées hors du centre de détention mais restent bloquées en Grèce, tout comme près de 60 000 autres réfugiés et migrants. Les routes permettant de rejoindre les autres pays d'Europe sont pour la plupart coupées. Si cela ne tenait qu'à certains dirigeants européens, la majorité de ces personnes seraient tout simplement renvoyées en Turquie.
Cette situation critique se retrouve à travers toute l'Europe, en Hongrie, en Serbie, en Grèce et à Calais, entre autres.
LES ENFANTS NE SAVENT PLUS LIRE
Omran me rappelle tant d'enfants que nous avons rencontrés dans tout le continent, et les épreuves qu'ils doivent endurer.
Un tiers environ des réfugiés et des migrants qui traversent la méditerranée pour rejoindre l'Europe sont des enfants. La plupart d'entre eux voyagent seuls, exposés à l'exploitation, ou ont été séparés de leur famille en chemin, parfois par les autorités elles-mêmes.
. Tuba (en bas à droite) avait juste 20 jours quand sa famille a fuit la Syrie à bord d'une embarcartion. © Giorgos Moutafis / Amnesty International
Ceux qui ont été traumatisés par la guerre ne reçoivent quasiment pas de soutien psycho-social.
Il y a peu de lieux où ils peuvent jouer en toute sécurité, et encore moins étudier ou aller à l'école.
Certains des enfants que nous avons rencontrés ne vont plus à l'école depuis si longtemps qu'ils ne savent plus lire ni écrire.
Un adolescent de 16 ans, qui se trouve dans un camp en Grèce continentale, nous a dit : « Nous sommes ici depuis 423 jours et nous n'avons aucun espoir, nous ne recevons aucune éducation et n'avons pas d'écoles. J'ai besoin qu'on me donne la possibilité de terminer mes études. »
Ces enfants ont besoin de sécurité, de soins particuliers, d'éducation, et d'un toit au-dessus de leur tête. Ils ont besoin que les gouvernements permettent et facilitent le regroupement familial. Ils ont besoin que les pays respectent leurs engagements concernant la relocalisation et la réinstallation des familles comme celle d'Ahmed. En Europe, les gouvernements sont loin d'accéder à ces besoins. Par exemple, les dirigeants de l'Union européenne n'ont relocalisé que 5 % des réfugiés qu'ils avaient promis d'accueillir en juin dernier.
Le monde entier s'est ému du sort d'Omran, et de celui d'Alan Kurdi avant lui, mais la pitié et l'indignation ne suffisent pas. Ces images ont ému les gens à travers le monde, mais pas les dirigeants. Tant qu'ils n'agiront pas, des milliers d'enfants continueront de subir le même sort qu'Omran, Alan et Ahmed.
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