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URGENCE PROCHE ORIENT

 Exigez avec nous la justice pour toutes les victimes et la protection sans condition des populations civiles

Un portrait du président syrien Bashar al-Assad est photographié avec son cadre brisé, dans un bâtiment de la Direction de la sécurité politique du régime syrien à la périphérie de la ville centrale de Hama, après la prise de la zone par les forces anti-gouvernementales, le 7 décembre 2024. Omar Haj Kadour / AFP
Un portrait du président syrien Bashar al-Assad est photographié avec son cadre brisé, dans un bâtiment de la Direction de la sécurité politique du régime syrien à la périphérie de la ville centrale de Hama, après la prise de la zone par les forces anti-gouvernementales, le 7 décembre 2024. © Omar Haj Kadour / AFP

Chute de Bachar al-Assad : entre espoir et défi pour la population syrienne

Après 50 ans de règne sanglant, le régime totalitaire du clan Assad s’est effondré dans la nuit du samedi 7 au dimanche 8 décembre 2024. Après des décennies de brutalité et de répression, un vent d’espoir souffle sur la population syrienne : l’espoir de vivre enfin à l’abri de la peur et dans le respect de ses droits fondamentaux. Dans cette quête de justice et de paix, une priorité s’impose : l’ouverture d’enquêtes contre les auteurs présumés des crimes commis. 

Une nouvelle ère commence pour la population syrienne. La prise de contrôle de Damas par les groupes armés d’opposition a mis un terme à 25 ans de règne de Bachar al-Assad, successeur de son père, Hafez al-Assad.  

Le pays sort profondément marqué par des décennies d’atrocités et de graves violations des droits humains, qui ont causé des souffrances indescriptibles.  

Il est maintenant temps de refermer ce chapitre sombre de l’histoire du pays. 

L’heure est à la justice

Avec la chute de Bachar al-Assad, des enquêtes sur les crimes du régime peuvent enfin avoir lieu sur le terrain. Il y a un besoin impérieux de sécuriser, protéger et préserver les preuves des atrocités commises pour déterminer ce qu’il est advenu des dizaines de milliers de Syriens et de Syriennes soumis à une disparition forcée par les tristement célèbres services de sécurité et de renseignement de l’ancien gouvernement. Ces preuves sont aussi indispensables pour enquêter sur les auteurs de crimes de droit international, notamment de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité, et pour engager des poursuites à leur encontre.

Entre le 10 et le 20 décembre, nos chercheurs et enquêteurs ainsi que ceux de Human Rights Watch et de l'Association des détenus et des disparus de la prison de Saidnaya (ADMSP), se sont rendus à Damas, où ils ont visité 10 centres de détention, sept sites de fosses communes et le tribunal militaire. Nos enquêteurs ont constaté que des documents officiels étaient souvent laissés sans protection, avec de nombreuses pièces pillées ou détruites. Ces documents peuvent contenir des informations primordiales sur la structure de l’appareil de sécurité et de renseignement de l’État syrien sous le régime Assad, sur l’identité des responsables des crimes et sur les noms des détenus.

Il s’agit d’un moment crucial pour les autorités de transition syriennes qui doivent agir de manière décisive et garantir la préservation des preuves, pierre angulaire de la responsabilisation et de la réconciliation.

Aya Majzoub, directrice régionale adjointe pour le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord à Amnesty International

Notre chercheuse Aya Majzoub est en Syrie où elle récolte des preuves, sur des lieux longtemps inaccessibles, des crimes commis par le régime Assad. Les premières images de centres de détention qu'elle publie révèlent l'enfer que subissaient les prisonniers syriens.👇

Les groupes armés d'opposition doivent s'affranchir de la violence du passé. La priorité est désormais la justice, et non la vengeance. Cela nécessite l’ouverture d’enquêtes sur les crimes graves et les violations des droits humains, afin que leurs auteurs soient traduits en justice dans le cadre de procès équitables, sans recours à la peine de mort. 

Pour soutenir le peuple syrien dans cet effort, la communauté internationale a un rôle à jouer, notamment en lançant des poursuites devant des juridictions internationales, en soutenant :

➡️le Mécanisme international, impartial et indépendant pour la Syrie (MIII créé en 2016),

➡️ l’institution internationale indépendante des Nations Unies créée en 2023 pour retrouver les personnes disparues. 

Il est impératif que les justices nationales, au moyen de la compétence universelle, poursuivent les auteurs des crimes commis comme en Allemagne. 

Un traumatisme national 

Dès 2011, nous avons documenté les attaques répétées du gouvernement syrien, perpétrées avec le soutien de la Russie, contre des zones contrôlées par des groupes armés d’opposition. Ces offensives incluaient des frappes aveugles et ciblées sur des habitations, des hôpitaux et des centres médicaux.  

Parmi ces crimes, figurent des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité : recours à des armes chimiques contre des civil·es, utilisation de bombes barils, meurtres, tortures, disparitions forcées et détentions arbitraires généralisées et systématiques. Ces actes ont laissé des populations entières assiégées et soumises à des bombardements incessants. 

Prison militaire de Saidnaya : la fin de l’horreur ?  

Dans ce contexte de terreur, la prison militaire de Saidnaya s’est imposée comme un symbole des horreurs du régime. Lieu de milliers d’exécutions et d'extermination, elle reste une cicatrice profonde dans la mémoire nationale. 

Alors que les portes de nombreuses prisons s’ouvrent à travers le pays, les proches des dizaines de milliers de disparu·es reprennent espoir. À Saidnaya, tristement célèbre pour ses pendaisons de masse, des détenus ont déjà été libérés, ravivant l’espoir pour les familles de découvrir enfin le sort de leurs proches. 

Écouter l'épisode 'Syrie : le système de Saidnaya' de notre podcast WE MADE IT👇

Dans notre rapport de 2017 intitulé "L’abbatoir humain”, nous révélions que les autorités syriennes sous la présidence de Bachar al Assad s’étaient livrées à des homicides, des actes de torture, des disparitions forcées, des pendaisons de masse et l’extermination de prisonniers dans la prison militaire de Saidnaya. Ces crimes, organisés dans le cadre d’une attaque généralisée et systématique contre la population civile, constituaient des crimes contre l’humanité.

Lire aussi : À l’ombre des regards : la reconstitution 3D de la prison de Saidnaya 

Une situation humanitaire préoccupante  

Depuis le début du conflit en 2011, le gouvernement syrien a délibérément restreint l’accès à l’aide humanitaire dans les zones contrôlées par l’opposition, utilisant la faim comme arme de guerre. Privant la population civile de nourriture, de médicaments et d’autres produits essentiels, ce blocus a exacerbé la crise humanitaire. Après le tremblement de terre de 2023, des millions de personnes dépendaient entièrement de l’aide transfrontalière de l’ONU pour survivre, soulignant l’urgence d’un soutien international renforcé. 

Un manque criant de solidarité par le passé 

Depuis 2011, la solidarité internationale envers les réfugié·es syrien·nes a été largement insuffisante. Alors que des centaines de milliers de Syriens ont fui la violence et la répression, de nombreux pays, notamment en Europe, ont mis en place des politiques restrictives, refusant d’accueillir ceux qui fuyaient des atrocités.

→ En 2021, le Danemark révoquait déjà les permis de séjour de réfugié·es syrien·nes, les exhortant de retourner vers un pays toujours en guerre, malgré les risques de torture et de persécution.  

→ En 2022, des préfectures françaises ont tenté d’expulser deux personnes vers la Syrie, violant le principe de non-refoulement, pilier du droit d’asile.

Ce manque de solidarité a exacerbé la souffrance des personnes réfugié·es, les forçant à vivre dans l'incertitude dans des centres de retour, sans droits ni protections. 

Soutenir la population syrienne : une responsabilité internationale

Au lendemain de la chute de Bachar al-Assad, il est essentiel d’écouter les voix syriennes et de soutenir une population qui a souffert des décennies de répression et de violences. La quête de justice et de réconciliation doit être accompagnée d’un soutien actif de la communauté internationale, indispensable pour éviter que cette période de transition ne plonge le pays dans une instabilité encore plus grande. 

Malgré ce contexte fragile, plusieurs gouvernements européens, dont l’Autriche, la Belgique, la France, l’Allemagne, et le Royaume-Uni, ont annoncé leur intention de réexaminer leurs politiques d’asile. Certains envisagent même de suspendre les demandes d’asile déposées par des Syrien·nes.

Ces décisions risquent d’aggraver la précarité des personnes réfugiées et des demandeurs d’asile, alors même que la situation en Syrie reste chaotique. 

En France, lundi 9 décembre, l’AFP a fait savoir que le ministère de l’Intérieur français avait indiqué “travailler sur une suspension des dossiers d’asile en cours provenant de Syrie”. Une annonce à nuancer toutefois, au vu du communiqué de réponse de l’Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides (OFPRA), précisant que: “comme toujours en cas de situation évolutive dans un pays d’origine de demandeurs d’asile, cela peut conduire à suspendre provisoirement la prise de décision sur certaines demandes d’asile.” 

À ce jour, il manque des informations fiables sur les conditions de sécurité dans le pays, notamment sur les groupes armés qui contrôlent les différentes régions.

Dans un tel contexte, il est impératif de privilégier la sécurité et la dignité des personnes réfugié·es, tout en évitant des mesures hâtives qui pourraient exposer davantage cette population vulnérable à de nouveaux dangers.