Pour la 8ème année consécutive, le festival d'Avignon s'associe à Amnesty International France du 7 au 26 juillet. Car comme le rappelle le directeur artistique du festival Olivier Py, "ce ne sont pas les idéologies qui créent le monde, ce sont les histoires". Ainsi, pendant dix-neuf jours, la cité des Papes va réinventer le monde à travers des spectacles, films et débats. Dans ce cadre, nous avons rencontré l'auteur et metteur en scène iranien, Amir Reza Koohestani qui présente "En transit". Un spectacle autour de l’attente et de l’arbitraire. Un entretien à retrouver dans notre magazine d'enquêtes et de reportages "La Chronique".
Vous êtes né à Chiraz en 1978, six mois avant le début de la révolution iranienne. Comment avez-vous découvert le théâtre ?
J’ai commencé à écrire de petits romans dès l’âge de 14 ans. Puis j’ai eu la chance de rencontrer le père d’un ami, écrivain, qui m’a aidé à progresser. Très vite, j’ai publié des nouvelles dans les journaux de Chiraz. Par la suite, au sein de la formation de cinéma à laquelle j’étais inscrit, il y avait un atelier de théâtre. À l’époque, je n’avais jamais vu de pièces. Vous savez, le théâtre n’a été introduit que tardivement en Iran, dans les années 1940. Nous avions plutôt l’habitude de représentations apparentées à des rituels religieux comme le Ta’ziyè qui met en scène des épisodes du chiisme, des récits historiques et mythiques. Certes, le shah et la šhabānu avaient créé, dans les années 1960-1970, un gigantesque festival des arts à Chiraz. Ils y invitaient des artistes étrangers d’avant-garde, tels que Peter Brooke, Iannis Xenakis, John Cage ! Mais c’était une bulle artificielle, complètement déconnectée de la société iranienne. D’ailleurs, je pense que ce festival de Chiraz compte parmi les événements déclencheurs de la révolution tant il tournait le dos aux réalités sociales de l’époque.
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Qu’est-ce qui vous a plu dans l’écriture et la mise en scène ?
D’abord, l’atelier de théâtre m’a permis d’interagir pour la première fois avec des filles. J’avais 17 ans, alors vous imaginez ! D’autant que, pendant toute notre scolarité, nous étions dans des classes non mixtes. Quand l’atelier de théâtre s’est terminé, notre groupe a décidé de créer une troupe : le Mehr Theatre Group. J’étais le seul à disposer d’une expérience de l’écriture, les autres étant tous acteurs. J’ai donc commencé à écrire mon premier spectacle à l’âge de 21 ans et, aujourd’hui, j’en suis à ma 26e production.
Le spectacle que vous présentez en Avignon est librement inspiré du roman Transit de l’Allemande Anna Seghers (1900-1983). Comment avez-vous découvert le livre ?
Le théâtre allemand Thalia, de Hambourg, m’avait suggéré de lire ce roman en vue d’une adaptation. Et tout de suite, j’ai été étonné par le caractère très contemporain du texte, même s’il se déroule à Marseille en 1940. Anna Seghers s’intéresse à la confusion que déclenche une guerre. Elle raconte l’attente, celle de Juifs, celle d’opposants allemands au nazisme, celle de déserteurs. Tous essaient de fuir l’avancée de l’armée allemande. Tous espèrent leur passeport pour la liberté : un visa, un billet de bateau, un permis de séjour… Et ils se retrouvent coincés dans un labyrinthe bureaucratique. En lisant le livre, j’ai d’ailleurs découvert un truc fou que j’ai repris dans mon adaptation : le certificat de moralité. À l’époque, si vous étiez femme célibataire et que vous vouliez obtenir un visa pour les États-Unis, il fallait qu’un citoyen américain écrive une lettre à l’ambassade attestant que vous étiez quelqu’un de bien !
Pouvez-vous nous raconter comment cette lecture a « percuté » votre expérience personnelle pour donner naissance au spectacle En transit ?
Quelque temps après la lecture du roman d’Anna Seghers, le 29 décembre 2018, je me suis retrouvé bloqué à l’aéroport de Munich. La police des frontières m’a empêché d’embarquer pour Santiago du Chili où je devais assister à un festival… Il s’agissait d’une erreur de l’ambassade allemande qui m’avait accordé un visa touristique au lieu d’un visa de travail. On me reprochait d’avoir dépassé de cinq jours la durée autorisée dans l’espace Schengen. La police a pris mon passeport et interdit l’utilisation de mon crayon, car c’est un outil pointu ! Puis ils m’ont renvoyé en Iran. Dans la salle « blanche » de l’aéroport, je me suis retrouvé avec d’autres personnes refoulées. Pour moi, c’était un incident, certes désagréable, mais pour eux, c’était dramatique, ils repartaient de zéro. Sans information, ils se sentaient piégés, comme s’ils devaient être punis. Dans ces situations, personne ne vous écoute ni ne vous propose les services d’un conseiller juridique. J’ai soudain compris ce que décrit Anna Seghers, cette espèce de passivité. À un moment, quelqu’un vous ordonne : « maintenant, vous sortez », mais vous ne savez pas où. Je me souviens que le policier m’a dit « vous pouvez aller chercher à manger, mais ensuite vous vous rasseyez exactement au même endroit ». Pourquoi devais-je m’asseoir exactement au même endroit !? C’est absurde, mais c’est une manière de casser la volonté, parfois de vous briser.
La distribution est exclusivement féminine. C’est donc une femme Mahin Sadri qui joue votre personnage Amir…
Ici, le genre n’était pas un enjeu. Pour jouer mon alter ego, j’ai fait confiance à quelqu’un qui me connaissait bien, Mahin Sadri. Qu’importe le sexe. Dans cette création, il fallait éviter de « remplir » un personnage de détails réalistes. Je ne voulais pas imiter la réalité mais l’imaginer, et j’ai fait confiance au théâtre.
En transit d’Amir Reza Koohestani, libre adaptation du roman Transit d’Anna Seghers
Comme d’autres personnes refoulées, Amir, un metteur en scène iranien, est retenu par la police des frontières pour des questions de visa. Parallèlement, en 1940, des déserteurs, des Juifs, des artistes et des opposants allemands pourchassés par la Wehrmacht errent dans le port de Marseille, dans l’espoir de franchir la Méditerranée et d’échapper aux nazis. Amir Reza Koohestani jette des ponts entre ces deux temporalités pour mieux faire ressentir l’arbitraire et l’absurdité bureaucratique.
Les 7, 8,10, 11, 12, 13, 14 juillet, à 18 heures au Gymnase du lycée Mistral, Festival d'Avignon
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