Quelques mois après le début des manifestations déclenchées par la mort de Mahsa Amini, des écolières ont été empoisonnées et hospitalisées. Ces attaques au gaz dans des écoles primaires, des collèges et des lycées pour filles se multiplient. Les autorités nient toute implication. Nous alertons sur les risques de nouveaux empoisonnements et demandons l’ouverture d’enquêtes indépendantes.
La première attaque au gaz signalée dans une école de filles en Iran a eu lieu le 30 novembre 2022 dans la ville de Qom, où 18 écolières ont été empoisonnées. Deux semaines plus tard, 51 écolières ont été empoisonnées dans la même école.
Détresse respiratoire, palpitations cardiaques, nausées, vomissements… Des milliers de jeunes filles ont été victimes d’empoisonnement au gaz depuis novembre 2022. Les attaques ont d'abord été signalées dans la province de Qom, puis se sont étendues à d'autres provinces et sont devenues plus fréquentes. Plus de cent écoles ont été visées, certaines plusieurs fois. Selon les médias indépendants et les organisations de défense des droits humains, les attaques les plus récentes ont eu lieu les 15, 16 et 17 avril 2023 dans plusieurs écoles.
Ces empoisonnements, non revendiqués, semblent s’inscrire dans le cadre d’une campagne coordonnée et organisée qui vise à punir les écolières pour leur participation aux manifestations qui ont éclaté à la mi-septembre, en 2022. Depuis le début du soulèvement, les autorités iraniennes usent de méthodes de répression violentes qui visent à étouffer le mouvement.
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Déni total des autorités
Depuis les premières attaques au gaz dans les écoles, les autorités ont cherché à dissimuler les informations et à déformer les faits pour minimiser les attaques. Elles ont par exemple attribué les symptômes ressentis par les écolières à du « stress » ou à une « contagion mentale » plutôt qu'à un empoisonnement. Un médecin iranien nous a informé que le ministère de la Santé avait publié un protocole à l'intention des centres médicaux du pays, qui ordonne au personnel médical d'attribuer au stress les symptômes dont souffrent les écolières à la suite des attaques au gaz chimique.
Les autorités ont aussi tenté de réduire au silence les médias qui traitaient du sujet. Un journaliste a été arrêté pour son reportage sur les attaques au gaz dans les écoles.
Malgré le dépôt de plainte de plusieurs familles, les autorités ne communiquent aucune information sur le suivi des enquêtes. Certains parents ont retiré leurs filles de l'école, craignant pour leur sécurité.
Mort d'une fillette de 11 ans
En février, des journalistes indépendants hors d'Iran ont rapporté qu'une fillette de 11 ans était morte après avoir été empoisonnée lors d'une attaque dans son école, à Qom. Les autorités ont réfuté ces informations, et les médias d'État ont publié des articles citant une maladie virale respiratoire et une maladie rénale comme causes du décès. Les membres de la famille ont confirmé publiquement cette thèse. Nous craignons que la famille n'ait été contrainte de faire ces déclarations, étant donné les pressions qu'exercent depuis longtemps les autorités iraniennes sur les familles des victimes pour leur extorquer des aveux forcés et publics confirmant les récits de l’État.
Par ces attaques au gaz chimique, visant délibérément les écoles de filles en Iran, ce sont les droits à l'éducation, à la santé et à la vie de millions d'écolières qui sont menacés. Nous demandons une enquête indépendante et approfondie.
Comment agir ?
Pour appuyer notre demande d’enquête indépendante et alerter sur la multiplication des attaques au gaz dans les écoles de filles, nous vous proposons un modèle de courrier adressé au procureur général iranien Mohammad Jafar Montazeri qui sera envoyé l’Ambassade d’Iran pour l'Union européenne. Vous pouvez aussi relayer l’information sur vos réseaux sociaux. En parler, c’est déjà agir.
Cher Monsieur Montazeri,
Je suis gravement préoccupé.e pour les droits à l'éducation, à la santé et à la vie de millions d'écolières en Iran, alors que des attaques au gaz visent délibérément des écoles de filles dans tout le pays, dans le cadre d'une campagne qui semble particulièrement coordonnée et organisée. Depuis novembre 2022, plus de 100 écoles ont été visées, certaines plusieurs fois. Les attaques ont d'abord été signalées dans la province de Qom, puis se sont étendues à d'autres provinces et sont devenues plus fréquentes, plusieurs écoles étant attaquées chaque jour. Des écolières ont été hospitalisées en raison de symptômes tels que toux, difficultés respiratoires, irritation du nez et de la gorge, palpitations cardiaques, maux de tête, nausées, vomissements et engourdissement des membres.
Certains parents ont retiré leurs filles de l'école, craignant pour leur sécurité. Depuis que la nouvelle de ces attaques est apparue, les autorités ont cherché à dissimuler leur gravité et leur ampleur et n'ont toujours pas mené d'enquêtes efficaces et indépendantes ni pris de mesures significatives pour y mettre un terme. En mars, les autorités ont annoncé l'arrestation de plus de 118 personnes pour leur implication présumée dans la "contrebande de boules puantes", qu'elles considèrent comme la principale cause des empoisonnements. Le 14 avril, malgré les statistiques officielles selon lesquelles 13 000 écolières ont reçu des soins médicaux pour empoisonnement, le ministre de la santé a annoncé qu'il n'y avait "aucune preuve tangible" que les écolières étaient empoisonnées et a déclaré que "plus de 90 % des problèmes de santé étaient dus au stress et à la malveillance". D'autres fonctionnaires ont également rejeté les symptômes ressentis par les écolières en les qualifiant d'"anxiété", d'"excitation" et/ou de "contagion mentale". Les autorités ont également tenté de faire taire les appels publics à la responsabilité en soumettant les parents en détresse, les écolières, les enseignants, les journalistes et d'autres personnes à la violence, à l'intimidation et à l'arrestation pour avoir protesté pacifiquement ou dénoncé l'incapacité des autorités à mettre un terme aux empoisonnements.
Ces empoisonnements semblent être une campagne coordonnée visant à punir les écolières pour leur participation pacifique aux manifestations nationales qui ont éclaté à la mi-septembre 2022, notamment par des actes de résistance tels que le retrait de leur hijab obligatoire et le fait de montrer leurs cheveux en public alors qu'elles portaient l'uniforme de l'école. De nombreuses personnes en Iran soupçonnent des acteurs liés à l'État ou des groupes d'autodéfense pro-gouvernementaux, qui ont été renforcés par les lois et les politiques discriminatoires et dégradantes de l'Iran qui perpétuent la violence contre les femmes et les filles, d'être impliqués dans les attaques, en particulier compte tenu de l'incapacité des autorités à prendre des mesures significatives et de leurs tentatives pour faire taire les critiques du public.
Je vous demande de mener immédiatement une enquête indépendante, approfondie et efficace sur l'empoisonnement des écolières et de traduire en justice toute personne jugée responsable dans le cadre de procès équitables, sans recourir à la peine de mort. Les autorités doivent également veiller à ce que les filles aient un accès égal et sûr à l'éducation et soient protégées contre toute forme de violence. Une délégation internationale indépendante chargée d'enquêter sur les attentats, comprenant le Rapporteur spécial des Nations unies sur la situation des droits humains en Iran, la Rapporteuse spéciale des Nations unies sur le droit à l'éducation, la Rapporteuse spéciale des Nations unies sur la violence contre les femmes et les filles, la Rapporteuse spéciale des Nations unies sur le droit à la santé et le Comité des droits de l'enfant, doit également être autorisée à se rendre dans le pays.
Veuillez agréer, l’expression de ma haute considération
Destinataire et adresse :
Procureur général, Mohammad Jafar Montazeri aux soins de l'Ambassade d'Iran pour l'Union européenne,
15, avenue Franklin Roosevelt,
1050 Bruxelles, Belgium