La non- ingérence ne signifie pas qu'un pays peut faire ce qu'il veut avec sa population. L'Association des nations de l’Asie du Sud-Est peut agir. Un billet de Usman Hamid, le directeur d’Amnesty International Indonésie
Les violences récentes au Myanmar présentent toutes les caractéristiques du nettoyage ethnique. Les forces de sécurité birmanes mènent une campagne féroce et disproportionnée, incendiant des villages entiers et tirant au hasard sur les Rohingyas qui essaient de s’enfuir.
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Mais au-delà de l'urgence humanitaire immédiate, nous pouvons tirer de la situation des enseignements importants sur la non-ingérence et les droits humains.
Le principe de « non-ingérence dans les affaires intérieures », qui tient une place prépondérante dans les discours des dirigeants de l'ASEAN [Association des nations de l’Asie du Sud-Est], est établi de longue date en droit international. Cependant, le point de vue selon lequel il s’agit d’un principe absolu, primant sur tous les autres, a été abandonné par la communauté internationale il y a de nombreuses décennies, une fois que la gravité et l'ampleur des atrocités massives commises pendant la Seconde Guerre mondiale ont été connues.
En 1970, le secrétaire général des Nations unies de l'époque a déclaré, en substance, que les obligations du secrétaire général en vertu de la Charte des Nations unies devaient inclure toute action humanitaire qu'il pouvait engager pour sauver la vie d’un grand nombre d'êtres humains. Ce secrétaire général s’appelait U Thant et venait de Birmanie, un État aujourd’hui connu sous le nom de Myanmar.
La non-ingérence ne signifie pas qu’un pays peut faire à sa propre population tout ce qu'il lui chante, notamment s’en prendre à des civils. Un État qui se respecte ne saurait rester passif et garder le silence au nom de la non-ingérence quand le pays voisin commet des actes illégaux constituant des crimes contre l'humanité.
Les violations massives des droits humains et les crimes contre l'humanité ne sont jamais une affaire intérieure.
Le droit à la vie, à la liberté et à l'absence de discrimination, ainsi que les autres droits humains fondamentaux, doivent être défendus par tous les pays du monde.
Ce à quoi nous assistons, de part et d'autre de la frontière entre le Myanmar et le Bangladesh, est une catastrophe humanitaire, et tout doit être mis en œuvre pour empêcher qu’elle n’empire.
Le Myanmar, cependant, continue à se cacher derrière le principe de non-ingérence pour justifier ces crimes au nom de la « lutte contre le terrorisme ». Le gouvernement fait tout son possible pour se soustraire à la surveillance de la communauté internationale, refusant par exemple de donner son feu vert pour qu’une mission d'enquête des Nations unies, établie cette année, se rende sur place afin d’examiner ce qui se passe réellement dans l'État de l’Arakan et dans le reste du pays. Les autres membres de l'ASEAN ne peuvent permettre au Myanmar de continuer à jouer ce jeu.
Même la Charte de l'ASEAN, si elle fait de la non-ingérence dans les affaires intérieures de ses États membres un principe essentiel, place celui-ci sur le même plan que le principe du respect des libertés fondamentales, de la promotion et de la protection des droits humains, et de la promotion de la justice sociale – et non au-dessus. Ainsi, la non-ingérence est un bon principe tant qu'un État respecte ses obligations en matière de droits humains – à défaut, il n’empêchera pas qu’un État fasse l’objet d’une surveillance, de critiques et d'autres actions de la part d’autres États, qu’ils soient membres de l'ASEAN ou non.
En réalité, la Charte de l'ASEAN donne la clé de ce que les autres États membres peuvent faire pour apporter une réponse pertinente à la crise au Myanmar. L'article 20(4) dispose en effet qu’en cas de grave violation de la Charte ou de non-respect, la question sera soumise au Sommet de l'ASEAN pour décision.
Le Myanmar a clairement violé l’obligation en matière de droits humains qu'il est tenu de respecter en vertu de la Charte de l'ASEAN.
Les dirigeants de l'ASEAN devraient donc convoquer un sommet extraordinaire sur les moyens à mettre en œuvre pour faire cesser les violations, veiller à ce qu’une aide humanitaire soit apportée aux réfugiés rohingyas dans l’État de l’Arakan et à ceux déplacés au sein du Myanmar, assurer le retour en toute sécurité de tous les Rohingyas souhaitant regagner leur foyer, et remédier aux causes principales de la crise, qui sont notamment la discrimination profondément ancrée à l’égard des Rohingyas ainsi que la pauvreté, la médiocrité des infrastructures et la nécessité d’un développement durable dans l'ensemble de cet État.
Le combat du Myanmar contre le groupe armé rohingya ne peut aucunement justifier les attaques contre la population civile. Il faut que ces attaques donnent lieu à une enquête, au lieu d’être ignorées ; les auteurs présumés doivent être traduits en justice, dans le cadre de procès équitables, et des réparations doivent être apportées aux victimes.
La crise de l’Arakan a également affecté d'autres pays. En Indonésie, par exemple, les violences ont envenimé le débat sur les groupes majoritaires et minoritaires, donnant aux tenants d’une ligne dure tels que le Front des défenseurs de l'islam (FPI) un prétexte pour menacer d'assiéger le temple bouddhiste de Borobudur, à Magelang (Java central), en représailles aux souffrances des musulmans rohingyas, qui sont un groupe minoritaire au Myanmar, pays à majorité bouddhiste.
L'Indonésie, et c’est fort louable, a adressé une aide humanitaire de 2 millions de dollars au peuple rohingya dans l’Arakan et au Bangladesh. Cependant, il est nécessaire qu’elle continue à demander que les acteurs humanitaires aient un accès total et sans entraves à l’ensemble du territoire de l’Arakan.
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De plus, l'Indonésie devrait également faire pression sur le Myanmar pour qu’il se conforme aux récents appels du Conseil de sécurité de l'ONU l’engageant à mettre fin immédiatement aux violences dans l’Arakan.
En définitive toutefois, la seule solution à la crise de l’Arakan se trouve du côté birman de la frontière. L'Indonésie et la communauté internationale doivent mettre de côté le principe de non-ingérence, et faire pression sur le Myanmar pour que cet État mette tout en œuvre afin de remédier à la discrimination systématique exercée de longue date dans l’Arakan, qui a piégé la population de cet État dans un cercle vicieux de violence et de pauvreté.
Au nom de l'équité, après les appels qu’elle a lancés pour la crise des Rohingyas, l'Indonésie devrait également se conformer au principe de non-ingérence dans ses affaires intérieures en ne s’opposant pas à un examen international des violations récurrentes des droits humains commises en Papouasie.
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