Depuis plusieurs mois, quelques milliers de personnes sont bloquées à la frontière entre la Pologne et la Biélorussie. Dans une tribune publiée sur France Info, Cécile Coudriou, notre présidente, dénonce "un voyage vers l'enfer" sciemment organisé par le président biélorusse Alexandre Loukachenko et appelle au respect par tous des droits humains universels.
Aux portes de l’Europe, jusqu’à ces derniers jours, des êtres humains n’ont eu que de l’herbe pour seule nourriture et ont dû boire de l’eau trouvée dans des flaques. Piégés, avec femmes et enfants, dans le froid glacial des forêts bélarusses, sans assistance ni témoin. Au moins 11 personnes sont mortes d’hypothermie. Devant la condamnation internationale, 2 000 d’entre eux auraient – le conditionnel est de rigueur, l’information ne provenant que des seules autorités biélorusses - été mis à l’abri dans un hangar depuis. Au moins 430 personnes irakiennes ont été refoulées vers Erbil et Bagdad.
Un sommet d'inhumanité
Comment en est-on arrivé à un tel sommet d’inhumanité aux frontières entre la Pologne, la Lettonie, la Lituanie et la Biélorussie ? D’abord parce que le dirigeant bélarusse Loukachenko a sciemment décidé d’organiser un voyage direct vers l’enfer pour des personnes déjà en détresse dans leur propre pays, en Syrie ou en Afghanistan par exemple. Ensuite parce que la Pologne, la Lettonie, la Lituanie mais aussi les autres pays de l’Union européenne choisissent de renier les valeurs fondatrices de l’Europe et leurs engagements internationaux en faveur du respect des droits humains. Face à l’arrivée de quelques milliers de personnes à leurs frontières, ils ont réagi comme s’il s’agissait d’une invasion !
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L’instauration d’un état d’urgence en Pologne, Lettonie et Lituanie, est une mesure ridiculement disproportionnée. Il doit être levé car il ne s’agit en rien d’un "péril pour la nation". Peu de voix s’élèvent au sein même de l’Union européenne contre les conséquences concrètes d’une telle décision : l’entrave à la liberté de la presse et à l’aide humanitaire. L’état d’urgence permet en effet d’interdire l’accès à la frontière aux journalistes, à la société civile et aux ONG. Il est donc quasiment impossible de documenter la situation sur le terrain. Nous avons malgré tout pu enquêter, notamment grâce à des moyens numériques sur un groupe de 32 Afghans et nous avons alerté, dès le 2 septembre, sur les refoulements illégaux opérés par la Pologne.
Pologne, Lettonie et Lituanie ont agi et agissent encore comme si elles étaient en guerre contre des ennemis, alors qu’il s’agit de familles démunies, poussées par les soldats bélarusses à tenter de passer cette frontière.
Mur et barbelés avec lames de rasoirs, gardes armés, traques de jour comme de nuit, mauvais traitements, voilà aujourd’hui à quoi sont confrontées ces personnes exilées. Les mesures prises par ces États sont à la fois indignes des valeurs de l’Europe et contraires au droit international des droits humains. Ce droit, construit au fil des décennies pour mieux protéger la personne humaine, est sabordé par de tels agissements, avec la complicité des autres pays de l’Union européenne.
Notre position est claire : les refoulements forcés, qui ont déjà coûté tant de vies, sont interdits par le droit international en mer Méditerranée comme dans les forêts polonaises ou bélarusses. Les personnes prises au piège à la frontière doivent donc pouvoir entrer sur le territoire de l’Union européenne, afin que leur situation individuelle soit examinée. La Commission européenne doit faciliter une série de mesures de solidarité, notamment la relocalisation des personnes exilées dans d'autres pays de l'UE et l’ouverture de voies légales et sûres pour éviter ces situations de danger extrême. Il est par ailleurs indispensable de réviser profondément le règlement de Dublin, qui oblige à déposer une demande d’asile dans le premier pays d’arrivée et va donc à l’encontre d’une répartition équitable de l’accueil au sein de l’Europe.
Des enfants migrants jouent dans la neige dans un centre de transport et de logistique près de la frontière biélorusse-polonaise, dans la région de Grodno, en Biélorussie, le 23 novembre 2021. REUTERS/Kacper Pempel
"La stratégie du bouc émissaire nous éloigne de nos valeurs"
En France, la campagne présidentielle à venir est propice à toutes les dérives sur la question migratoire et certains candidats ou responsables politiques, ainsi que certains médias, participent à une surenchère de déclarations toujours plus dures et indignes. Désigner un bouc émissaire comme responsable de tous nos maux, cibler des personnes fragiles et incapables de se défendre avec les mêmes armes médiatiques, est une stratégie vieille comme le monde en politique. Mais celle-ci nous éloigne toujours plus de nos valeurs et du respect du droit international, elle abîme nos sociétés.
Il est urgent là encore de revenir à la raison et d’appeler au calme. Cette situation est loin d’être une crise migratoire. Non, la migration vers l’Europe n’est pas une menace ingérable. Non, nous ne sommes pas en guerre mais dans des états de droit qui doivent pouvoir proposer des solutions concrètes sans attiser les peurs. Les responsables politiques feraient bien de s’inspirer de la société civile qui se mobilise en soutien aux personnes exilées dont les droits sont aujourd’hui piétinés, à Calais, à Briançon, en Pologne, en Grèce, en Méditerranée et ailleurs.
Cette instrumentalisation et ce mépris de vies humaines n’ont que trop duré. Nous ne pouvons tolérer que des personnes exilées soient utilisées comme des pions sur un échiquier politique. À nos frontières comme partout ailleurs, les droits humains universels ne sont pas négociables.
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