Six associations et 16 collectivités territoriales ont lancé dès 2020 une procédure accusant la multinationale TotalEnergies de ne pas respecter son devoir de vigilance sur l’environnement. Le 6 juillet 2023, cette action en justice a été une nouvelle fois jugée irrecevable. Après plusieurs années de procédure, le tribunal refuse toujours d’examiner les impacts de la multinationale énergétique sur le climat et les droits humains.
Notre demande reste inchangée : face à l’urgence climatique, TotalEnergies doit faire des choix en adéquation avec les engagements de la France lors de l’Accord de Paris.
La pression était pourtant montée d'un cran contre TotalEnergies. Mercredi 31 mai, nous assistions à la première audience de procédure au tribunal judiciaire de Paris dans le contentieux climatique engagé par des associations et collectivités territoriales contre TotalEnergies. En tant qu’intervenant volontaire accessoire, nous soutenions et appuyions cette coalition pour faire valoir la défense des droits humains et de l’environnement.
Après son passage devant la justice pour défendre son mégaprojet pétrolier Tilenga-Eacop en Ouganda et en Tanzanie, c’était la deuxième fois que TotalEnergies était entendue sur une affaire liée au climat. Survenant quelques jours seulement après la forte mobilisation contre l’Assemblée générale deTotalEnergies, cette audience s’inscrivait dans la première action en justice française dont l’objectif était de rehausser les ambitions climatiques d’une entreprise.
Selon les associations et collectivités, TotalEnergies est responsable de 0,8% à 1% des émissions mondiales de gaz à effet de serre et prévoit de continuer à investir d'ici à 2030 à 70% dans les énergies fossiles. Le groupe a reconnu que l’usage de ses produits dans le monde génère 0,8% des émissions mondiales.
Lancée début 2020, la procédure a été retardée par la multinationale énergétique qui contestait la compétence du tribunal judiciaire au profit du tribunal de commerce. Durant l'audience, l’entreprise a développé ses nombreux moyens de défense pour contester la recevabilité de l’action judiciaire, y compris notre rôle d’intervenant volontaire.
Au regard de l’urgence climatique et des engagements de la France sur une trajectoire 1,5°C, la coalition a demandé au juge de contraindre TotalEnergies à adopter des mesures provisoires telles que la suspension de ses nouveaux projets pétro-gaziers et la réduction des émissions de gaz à effet de serre liées à ses activités mondiales.
Pourquoi l’action a-t 'elle été jugée irrecevable ?
Le juge a considéré que les demandes faîtes dans le courrier de mise en demeure délivrée en 2019 par les associations et collectivités n’étaient pas strictement identique à celles formulées dans l’assignation et ne constituaient donc pas une interpellation suffisante. Pourtant, la condition de la strice identité entre les demandes de la mise en demeure et celles de l’assignation n’existe pas dans la loi sur le devoir de vigilance.
Certaines associations et collectivités ont été déclarées irrecevables faute d’intérêt à agir en justice au titre de la prévention du préjudice écologique. Alors que l’action au titre du préjudice écologique est ouverte à « toute personne ayant intérêt ou qualité à agir », telles que « les associations » et « les collectivités territoriales », cette décision vient restreindre la possibilité des associations et des collectivités de saisir la justice pour prévenir les risques de dommages graves faits au vivant provoqués par l’inaction climatique des entreprises.
Quelles conséquences si nous dépassons la barre des +1,5°C ?
Les experts du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) sont unanimes. Dans leurs rapports, ils estiment que 420 millions de personnes pourraient échapper à une exposition à des vagues de chaleur extrêmes si la hausse de la température moyenne de la planète n’excédait pas le seuil critique de 1,5°C au lieu de 2°C.
420 millions de personnes pourraient échapper à une exposition à des vagues de chaleur extrêmes si la hausse de la température moyenne de la planète n’excédait pas 1,5°C, selon les experts du GIEC.
Le nombre de personnes exposées au stress hydrique serait également réduit de 50%. Le changement climatique impacte et continuera d’impacter les conditions de vie sur terre. Ne pas s’aligner sur la trajectoire 1,5°, conformément à l’Accord de Paris, et continuer d'investir dans des projets pétro-gaziers sont autant d’éléments qui représentent une menace pour le respect et la protection des droits humains. Le changement climatique constitue une crise de droits humains sans précédent dans laquelle nous nous engageons.
Les effets dramatiques du changement climatique mettent en évidence, de façon affreusement claire, le fait qu’un environnement sain est indispensable pour l’exercice de tous nos autres droits.
Agnès Callamard, secrétaire générale d’Amnesty International
Le devoir de vigilance en France
Votée en 2017, la loi sur le devoir de vigilance correspond à l’obligation faite aux entreprises multinationales de prévenir les risques d’atteintes aux droits humains et à l’environnement causées par leurs activités. Cette loi, pour laquelle Amnesty International France a beaucoup œuvré, est la première de ce genre dans le monde, et marque une avancée historique vers le respect des droits humains et environnementaux par les entreprises multinationales. La loi permet d’obliger les entreprises à prévenir et réparer les violations des droits humains et les dommages environnementaux engendrés par leurs activités et par les activités de leurs filiales, de leurs sous-traitants ou fournisseurs avec lesquels est entretenue une relation commerciale établie.
Lire aussi : Qu'est-ce que le devoir de vigilance ?
Abandonner les énergies fossiles : une priorité dans la lutte contre le réchauffement climatique
Nous vivons une crise climatique qui est une véritable crise des droits humains. Pour lutter contre le réchauffement, les producteurs et fournisseurs d’énergie doivent abandonner dès maintenant la production et l’utilisation des énergies fossiles.
TotalEnergies est en première ligne en tant que “major carbon”, et grand producteur d'énergie et émetteur d’émissions de gaz à effet de serre. L'entreprise doit respecter ses obligations au titre du devoir de vigilance et de la prévention des préjudices écologiques. C’est la raison pour laquelle nous soutenons l’action de ces associations et collectivités.
Sabine Gagnier, responsable du programme Justice climatique à Amnesty International France.
Les associations et collectivités étudient les suites judiciaires à donner à cette ordonnance et restent convaincue que la voie judiciaire est indispensable pour lutter contre l’impunité des multinationales en matière de dérèglement climatique et de droits humains.