Amplification de discours politiques sécuritaires et xénophobes, mesures de vidéosurveillance intrusives, restriction des libertés d’expression et de manifestation... L’édition 2025 de notre rapport annuel sur la situation des droits humains dans le monde confirme une dégradation continue des droits fondamentaux en France.
Malgré l'avancée importante qu'a représenté l'inscription du droit à l'avortement dans la Constitution, l'année 2024 a été marquée par des reculs de plus en plus assumés concernant les droits humains, particulièrement inquiétants pour l’État de droit. La France pourrait cependant s’appuyer sur ses engagements internationaux en matière de droits humains pour mieux résister à l’offensive anti-droits.
Pas de flamme olympique pour les droits humains
Diversité, inclusion, défis sportifs... Les promesses des Jeux olympiques (JO) et paralympiques ont eu un goût amer pour beaucoup.
Les promesses non tenues des Jeux olympiques
Vidéosurveillance algorithmique (VSA) : quand l'exception devient la règle
Le recours à la vidéo surveillance algorithmique, expérimentée dans le cadre de l’organisation des JO, devait être une mesure provisoire. Pourtant, le gouvernement a cherché à la prolonger jusqu’en mars 2027, malgré les risques pour les droits humains et en dépit de l’absence de résultats probants. Cette mesure liberticide expérimentale pourrait devenir la norme. La reconnaissance faciale dans l’espace public, elle, pourrait être la prochaine étape - faisant basculer la France dans une société de surveillance généralisée.
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Des sportives discriminées et exclues de la compétition
La France a été le seul pays à interdire aux femmes portant le foulard de faire partie de sa délégation olympique. En marge de l’épreuve du marathon, des personnes issues de collectifs mobilisés contre l’interdiction discriminatoire du port du voile dans le sport ont été soumises à des contrôles d’identité et à des arrestations arbitraires. Aujourd’hui, l’interdiction discriminatoire du port du foulard dans le sport pourrait être généralisée au travers d’une proposition de loi actuellement débattue, privant de très nombreuses femmes et filles de l’accès à l’activité sportive de leur choix.
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✊ La France doit interdire l’utilisation de technologies permettant une surveillance de masse et une surveillance discriminatoire, comme la reconnaissance faciale. Garantir la sécurité ne peut se faire au détriment des libertés fondamentales.
✊ La France doit permettre l’accès au sport à toutes les femmes et filles, quelle que soit leur religion. Elle doit supprimer toutes les dispositions interdisant le port de vêtements religieux qui restreignent les droits des femmes et des filles à pratiquer une activité sportive, et s’abstenir d’en introduire de nouvelles.
Racisme systémique : le déni des autorités
En France, malgré la prolifération de plus en plus décomplexée de discours et actes racistes (antitsiganes, antisémites, islamophobes, négrophobes, anti-asiatiques, etc.), les autorités continuent de nier l’existence du racisme systémique. Or les Nations unies ont reconnu que le colonialisme et l’esclavage sont les principales sources des formes contemporaines du racisme, de la discrimination raciale et de la xénophobie.
Malgré cela, les autorités françaises refusent de s’attaquer à ses causes profondes et empêchent l’autorisation de collecte de données sur le sujet. Conséquence : en 2024, le gouvernement n’a fait aucun progrès sur la question, en particulier pour mettre fin aux contrôles d’identité dits « au faciès ».
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✊La France doit mettre fin à la discrimination raciale ancrée dans les lois et les pratiques, aborder la question des réparations pour l’esclavage et le colonialisme, et combattre l’héritage de ces injustices historiques qui se manifeste dans les formes contemporaines de racisme et d’inégalités.
Les exilés, bouc-émissaires bien commodes
Alors que l’année 2024 a été l’année la plus meurtrière jamais enregistrée pour les personnes qui traversaient la Manche sur des embarcations de fortune, l’obsession migratoire délétère a continué de prospérer. Bien que le Conseil constitutionnel ait largement censuré les mesures de la loi « asile et immigration », ce texte restera celui qui aura historiquement dégradé les droits des personnes exilées en France. Les discours xénophobes et de dénigrement qui ont imprégné les débats autour de cette question, ont continué d’être encouragés jusqu’au plus haut niveau, et relayés par les réseaux sociaux et certains médias.
En 2024, les discours sécuritaires et discriminatoires ont continué à occuper les agendas politiques et médiatiques, banalisant des positions et propositions qui fragilisent l’État de droit et menacent nos droits fondamentaux. Jusqu’à quand, et jusqu’où irons-nous ?
Anne Savinel-Barras, présidente d’Amnesty International France
En janvier 2024, le Conseil constitutionnel a invalidé un grand nombre de dispositions de la loi discriminatoire et xénophobe adoptée en novembre 2023, visant à « contrôler l’immigration ». Un des décrets d’application conditionne la délivrance d’un titre de séjour au respect des « principes de la République », une notion si large qu’elle ouvre la voie à des interprétations arbitraires ou discriminatoires.
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✊La France doit enfin cesser d’instrumentaliser la peur et adopter des politiques migratoires, plus humaines et respectueuses des droits des personnes exilées, quelle que soit leur situation.
Maintenir l’ordre, quoi qu’il en coûte
En matière de maintien de l’ordre, la doctrine de la France est restée inchangée : un recours disproportionné aux armes à létalité réduite. Le gouvernement a même lancé un appel d’offre d’un montant de 27 millions d’euros pour la fourniture de grenades de désencerclement, un matériel de guerre dangereux qui a déjà provoqué des blessures graves lors de manifestations.
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Pourtant, à plusieurs reprises, des experts des Nations unies ont exprimé leurs préoccupations quant aux techniques de maintien de l’ordre jugées excessives et au caractère disproportionné de la répression à l’égard de certains groupes.
En aout, des inquiétudes ont notamment été soulevées à la suite d’allégations d’usage excessif de la force, d’arrestations et de placements en détention arbitraires, et de disparitions forcées, lors des troubles survenus en Kanaky-Nouvelle Calédonie au printemps 2024.
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Les manifestations pacifiques continuent de faire l’objet de restrictions excessives et de réponses disproportionnées. Retour sur deux cas qui ont marqué l’année 2024.
La guerre des autorités contre les défenseur·e·s de l’environnement
Plusieurs manifestations contre des mégabassines ont été interdites en juillet par la préfecture dans la Vienne et les Deux-Sèvres. Le rapporteur spécial des Nations unies sur les défenseur·e·s de l’environnement s’est par ailleurs dit préoccupé par les méthodes de maintien de l’ordre utilisées contre des militant·e·s qui s’opposaient au chantier de l’autoroute A69 dans le Tarn.
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Les manifestations en soutien aux populations de Gaza violemment réprimées
Pour avoir exprimé leur simple solidarité avec le peuple palestinien, des manifestant·e·s ont subi des actes de répression excessifs et disproportionnés. Sous couvert de sécurité, des manifestations ont même été interdites dans plusieurs villes de France. De nombreuses personnes qui avaient exprimé leur solidarité avec le peuple palestinien ont aussi été visées par des enquêtes pour « apologie du terrorisme », une infraction d’une portée excessive et définie trop vaguement pour ne pas menacer la liberté d’expression.
✊ La France doit cesser de recourir illégalement à des armes meurtrières ou à létalité réduite contre les manifestants. Elle doit abroger les lois et mettre fin aux pratiques qui violent les droits à la liberté d’expression et d’association.
La France et le conflit à Gaza
Incohérence et ambiguïté : voilà comment s’est caractérisé le positionnement de la France sur le conflit en cours à Gaza. D’un côté, les autorités françaises ont appelé à mettre un terme aux crimes internationaux en cours ainsi qu’à lutter contre l’impunité. De l’autre, elles ont sapé l’autorité de la Cour pénale internationale (CPI) en invoquant le principe “d’immunité” à l’annonce de l’émission de mandats d’arrêt pour crimes de guerre et contre l’humanité à l’encontre de Benjamin Netanyahou et Yoav Galant – son ministre de la Défense jusqu’à l’automne. En parallèle, la France n’a pas cessé complètement ses exportations de matériel de guerre vers Israël, en dépit des nombreux appels de l’ONU et des annonces du président Emmanuel Macron.
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✊La France doit exprimer son soutien public et sans faille aux travaux de la CPI, la protéger des sanctions américaines et satisfaire à ses obligations en exécutant les mandats d’arrêt de la Cour. Elle doit également cesser tout transfert d’armes qui contribuerait à des violations graves du droit international humanitaire et des droits humains.
Des avancées timides pour les droits des femmes
La France est devenue le premier pays du monde à inscrire dans sa Constitution la liberté de recourir à l’interruption volontaire de grossesse. Une avancée importante.
Concernant les violences sexuelles, les femmes migrantes, nous avons documenté en 2024 que les travailleuses du sexe et les femmes transgenres se heurtent à des obstacles systémiques lorsqu’elles tentent de déposer une plainte dans les commissariats.
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✊La France doit mettre un terme aux discriminations et aux violences fondées sur le genre en levant les obstacles législatifs et en abrogeant les lois qui entravent l’accès à la justice. Elle doit garantir l’accès à des informations et des services complets en matière de santé sexuelle et reproductive sur l’ensemble du territoire.
Il est encore temps de résister
Alors que les impacts des décisions du président américain Donald Trump se font sentir partout dans le monde, le risque est de voir volontairement défait ce qui avait été conçu pour protéger les droits et libertés des personnes.
Parce que nous avons les outils pour identifier, étudier et comprendre les tendances à l’œuvre aujourd’hui contre les droits et libertés fondamentaux, nous devons nous battre. Face aux remises en cause des droits acquis, face aux attaques contre l’État de droit, il n’y qu’une seule voie possible : celle de la résistance.”
Anne Savinel-Barras, présidente d’Amnesty International France
Il est encore temps d’agir pour que les droits humains continuent de protéger. Il est encore temps d’inventer de nouvelles formes de résistance. Il est encore temps de mieux partager les clés qui permettent de se battre plus nombreux et nombreuses contre ces nouvelles menaces.
En France comme ailleurs, mobilisons-nous pour défendre l’essentiel : les droits humains.
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