« Le monde fait face à une abysse » alerte Agnès Callamard, secrétaire générale d'Amnesty International. À l'occasion de la sortie de notre rapport annuel, elle dresse un constat implacable de la situation des droits humains : elle dénonce « un droit international à genoux » et l’accélération « effrayante » des violations des droits humains depuis le retour de Donald Trump à la tête de la première puissance mondiale. Face à un « monde en grand danger », son appel est grave mais non résigné : « Nous devons résister »

L’humanité se trouve à un tournant de son histoire. Des forces d’une ampleur sans précédent veulent en finir avec l’idéal des droits humains pour tous et toutes, cherchant à détruire un système international forgé dans le sang et les souffrances de la Seconde Guerre mondiale et de la Shoah. La croisade religieuse, raciste et patriarcale qu’elles mènent, qui vise à mettre en place un ordre économique porteur d’iniquités toujours plus grandes entre les pays et en leur sein même, met en péril les avancées durement acquises ces 80 dernières années en termes d'égalité, de justice et de dignité.
La politique appliquée par Donald Trump depuis le début de son deuxième mandat ne fait qu’accélérer des tendances qu’Amnesty International et d’autres organisations de défense des droits humains avaient déjà dénoncées. Nous sommes face à une trajectoire qui atteint certes des sommets en 2025, mais qui se situe dans la continuité et est la conséquence de décisions systémiques, délibérées et sélectives prises ces 10 dernières années.
Ne nous trompons pas. Donald Trump n’est pas seul en cause. Les racines du mal sont beaucoup plus profondes. Et, à moins d’une résistance concertée et courageuse, ce tournant historique se transformera en une véritable mutation : il ne s’agira plus d’une époque de changement, mais d’un changement d’époque.
Une année inhumaine
En 2024, le monde assiste sur ses écrans à un génocide en direct à Gaza, à la télévision ou sur les réseaux sociaux. Depuis le 7 octobre 2023, date à laquelle le Hamas a commis des crimes terribles contre des citoyen·ne·s d’Israël et pris en otage plus de 250 personnes, le monde assiste à l’annihilation du droit international.
Les États ont regardé, comme s’ils étaient impuissants, Israël tuer des milliers de Palestiniennes et de Palestiniens, massacrant des familles entières sur plusieurs générations et détruisant des habitations, des moyens de subsistance, des hôpitaux et des établissements scolaires.
2024 restera dans les mémoires comme celle d’une occupation militaire israélienne plus éhontée et meurtrière que jamais, du soutien apporté à Israël par les États-Unis, l’Allemagne et quelques autres pays européens, du veto opposé à plusieurs reprises par le gouvernement du président Joe Biden aux résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies appelant à un cessez-le-feu, et de la poursuite des fournitures d’armes à Israël.
En 2024, Israël et ses puissants alliés, au premier rang desquels les États-Unis, ont prétendu que le droit international ne s’appliquait pas à eux, ou ont agi comme si tel était le cas, choisissant d’ignorer les injonctions de la Cour internationale de justice et les décisions de la Cour pénale internationale.
En 2024, le président russe, Vladimir Poutine, a poursuivi sa politique d’attaques systématiques des infrastructures civiles en Ukraine, faisant encore plus de victimes civiles qu’en 2023. Des enfants ont été déportés, des prisonniers torturés.
En 2024, la guerre et la famine ont fait des milliers de morts au Soudan, théâtre de la plus grande crise au monde en matière de déplacements forcés, dans l’indifférence quasi totale de la communauté internationale.
2024, c'est l'année la plus chaude de l'histoire de notre planète, au cours de laquelle la température moyenne mondiale a dépassé de plus de 1,5 °C. C'est aussi l'année où la COP29 s'est soldée par un échec.
Le super accélérateur Trump
L'élection de Donald Trump en novembre 2024 a été un accélérateur d'une vague de dérives constatées depuis plusieurs années déjà. Avec son élection et la mainmise de grandes entreprises sur une grande partie de son gouvernement, nous nous retrouvons projetés à grande vitesse dans une ère brutale où la puissance militaire et le pouvoir économique font irruption dans le domaine des droits humains et de la diplomatie.
Les 100 premiers jours du mandat du président des États-Unis, en 2025 ont notamment été marqués par une série d’attaques frontales contre le droit international, contre l’ONU, contre l’obligation de rendre des comptes en matière de droits fondamentaux.
Le droit international à genoux
Toutes les institutions qui pourraient protéger sont en train d'être détruites, soit très directement, très violemment, très rapidement, soit à petit feu.
Des pays qui avaient fermement soutenu la CPI lorsque celle-ci avait ouvert une procédure contre Vladimir Poutine concernant l’enlèvement d’enfants ukrainiens ont réagi très différemment lorsqu’il s’est agi d’Israël. Un certain nombre de membres du Sénat des États- Unis ont menacé le procureur de la CPI en 2024. La Cour pénale internationale a fait l’objet de sanctions de la part de Donald Trump en 2025.
Il n’est plus temps de se lamenter sur le "deux poids, deux mesures" dont ont fait preuve les architectes du système fondé sur des règles mis en place au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Avant même la fin de l’année 2024, de nombreux pays cherchaient activement à affaiblir les institutions de ce système et en piétinaient les valeurs, ne laissant en place guère plus qu’une coquille vidée de ses aspirations initiales.
La Cour pénale internationale (CPI), la Cour internationale de justice (CIJ) essayent de jouer leur rôle et il faut les en remercier.
La décision de la CPI de décerner des mandats d'arrêts contre le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou, son ancien ministre de la Défense Yoav Gallant et le chef militaire du Hamas Mohammed Al Masri pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité représente une avancée historique.
Il faut remercier l'Afrique du Sud qui est allée auprès de la Cour internationale de justice en introduisant une requête contre Israël pour violation de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide constitue une initiative déterminante en faveur de la justice, qui essaye de démontrer qu'il y a encore un système international sur lequel nous pouvons et nous devons compter.
Les grandes puissances font bien peu de cas de notre histoire. Elles prétendent que les leçons des années 1930 et 1940, qui ont donné naissance à la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, aux Conventions de Genève, à la Déclaration universelle des droits de l’Homme ou encore à la Charte des Nations unies, peuvent être désormais écartées, oubliées, effacées.
Face au précipice, résister
Notre avenir n’est pas scellé, mais l’humanité se trouve à un moment charnière de son histoire. Cent jours après l’arrivée au pouvoir de Donald Trump, certains États ont décidé de tenir tête, mais ils restent minoritaires.
Alors, nous devons répondre aux carences du système international pour que les droits humains soient respectés. Nous sommes cependant aujourd’hui confrontés à des forces qui se sentent toutes puissantes et qui aspirent à imposer un modèle totalement différent : non pas un système mieux à même d’assurer l’égalité et la justice et de servir l’État de droit, mais un système sans protection des droits fondamentaux, destiné à favoriser la recherche du profit plutôt que l’équité.
Organiser la résistance contre ces forces n’est pas seulement indispensable : c’est aussi la seule voie légitime dont nous disposons. Ne restons pas silencieux devant les exactions, devant les violences verbales, devant les violences physiques, devant l'indifférence, devant la complicité. Indignons nous et faisons avec force, faisons avec de la voix. Et ne travaillons pas seuls. La résistance, va devoir se construire collectivement.
Comme à chaque fois dans l’histoire, que les États manquent à leur devoir de faire respecter les droits humains, dirigeant·e·s associatifs et défenseur·e·s des droits humains se mobilisent. Ces femmes et ces hommes résistent face à des régimes irresponsables fondés sur le pouvoir et le profit, qui mettent en danger notre dignité commune. Ces personnes prouvent une fois de plus que la société civile est en première ligne de la défense des droits humains et des libertés fondamentales.
Nous devons résister. Et nous résisterons.
Soutenez notre indépendance
Aidez-nous à enquêter sur les violations des droits humains dans le monde et à rendre justice aux victimes.