Amnesty International France et quatre autres ONG* appellent les députés à "élever" le débat lors des discussions à venir sur la politique migratoire de la France et de l'Europe. Tribune parue dans le Journal du Dimanche du 28 septembre.
"Madame la Députée, Monsieur le Député, le 7 octobre prochain, à l'initiative du gouvernement, vous allez débattre de la politique migratoire de la France et de l'Europe. Nous, associations humanitaires et de défense des droits des migrants et réfugiés, sommes inquiets de l'orientation que pourrait prendre ce débat. Trop de responsables politiques, en France comme ailleurs en Europe, ont malheureusement pris l'habitude d'instrumentaliser ce sujet notamment à des fins électoralistes, alimentant en cela les sentiments de peur et les divisions au sein des sociétés.
Ce qui devrait être un sujet d'inquiétude, ce sont d'abord les faiblesses de l'Union européenne, voire ses renoncements à apporter une protection aux personnes vulnérables et/ou en danger et son incapacité à aborder les questions migratoires de façon solidaire, apaisée et respectueuse des valeurs universelles qu'elle proclame par ailleurs. Le débat du 7 octobre 2019 ne doit pas être une fois de plus le théâtre d'un affrontement construit sur des simplifications mensongères et outrancières.
Nous en appelons à votre responsabilité afin d'élever ce débat à celui qu'il devrait être en traitant quelques questions clés : comment la France et l'Europe remplissent-elles leurs obligations concernant l'accueil et la protection des personnes migrantes et réfugiées? Comment garantir le respect des droits fondamentaux et la dignité de chaque personne? Comment, pour y parvenir, faire évoluer les dispositifs politiques et sociaux et assurer que cet accueil se passe sans attiser les sentiments de rejet ou de division?
Nos cinq associations travaillent ensemble depuis plusieurs années sur la question spécifique des droits des personnes migrantes et réfugiées aux frontières intérieures françaises. Ces zones frontalières sont en effet le théâtre de violations quotidiennes de leurs droits. Les résultats de nos recherches et observations convergent tous vers un diagnostic assez sombre : une insuffisance, voire parfois une absence, de dispositifs sanitaires et sociaux nécessaires pour répondre aux besoins fondamentaux des personnes exilées.
Nous avons documenté de très sérieux manquements des pouvoirs publics quant à la protection des mineurs isolés et des entraves systématiques à la demande d'asile. Nous avons également recueilli des preuves de pratiques illégales de refoulement aux frontières et de comportements brutaux et violents de la part de certains services de police. Enfin, nous avons pu constater des tentatives d'intimidation par les forces de l'ordre à l'encontre de personnes offrant une aide humanitaire.
La liste des lieux où sont constatées ces atteintes aux droits et libertés fondamentales est longue : entre Vintimille et Menton, dans la vallée de la Roya, dans le Briançonnais, sur le littoral nord, de Grande-Synthe à Ouistreham en passant par Calais, et désormais à la frontière avec l'Espagne.
Nous vous appelons donc à entamer avec le gouvernement un examen approfondi de la situation aux frontières intérieures françaises, afin que soient élaborés et mis en œuvre les dispositifs et les mesures nécessaires pour que les droits fondamentaux des personnes migrantes et réfugiées y soient effectivement respectés. La création d'une commission d'enquête parlementaire visant cet objectif serait le cadre adapté à cette démarche, et nous vous invitons à soutenir le principe d'une telle initiative.
* ONG signataires : Amnesty International France, la Cimade, Médecins du monde, Médecins sans frontières, Secours catholique-Caritas France.
Tribune parue dans le Journal du Dimanche du 28 septembre.