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URGENCE PROCHE ORIENT

Exigez avec nous la protection sans condition des populations civiles

Bâtiments 429 et 429A qui ont été bombardés le 1er mars 2022 à Borodyanka. Crédit : Amnesty International.

Ukraine : les crimes de guerre des forces russes dans la région de Kiev

Après une enquête de terrain de douze jours, des dizaines d'entretiens menés et une analyse poussée de preuves matérielles, nos chercheurs publient un nouveau rapport intitulé He’s Not Coming Back’ : War Crimes in Northwest Areas of Kyiv Oblast. Il apporte de nouvelles preuves des crimes de guerre commis par les forces russes dans la région au nord-ouest de Kiev, la capitale de l'Ukraine.

À retenir

Des frappes aériennes illégales ont été menées contre la ville de Borodianka et des exécutions extrajudiciaires ont été commises dans d’autres villes et villages, notamment à Boutcha, Andriivka, Zdvyjivka et Vorzel.

À Borodianka, au moins 40 civils ont été tués dans des attaques aveugles et disproportionnées. Elles ont dévasté un quartier entier et ont laissé des milliers de personnes sans abri.

À Boutcha et dans d’autres villes et villages au nord-ouest de Kiev, 22 cas d’homicides illégaux commis par les forces russes ont été répertoriés. La plupart étaient des exécutions extrajudiciaires manifestes.

Au cours des 12 jours d’enquête, nos chercheurs se sont entretenus avec des habitants de Boutcha, de Borodianka, de Novyi Korohod, d’Andriivka, de Zdvyjivka, de Vorzel, de Makariv et de Dmytrivka, et se sont rendus sur les lieux de nombreux crimes.

Au total, ils ont récolté 45 témoignages de personnes sur l’homicide illégal de leurs proches et voisins perpétré par les forces russes, et 39 sur les frappes aériennes ayant visé huit bâtiments résidentiels.

Lundi 6 mai. En direct de Kiev, une délégation d’Amnesty International, menée par Agnès Callamard, notre secrétaire générale, présente les conclusions de notre nouveau rapport sur les crimes commis par les forces russes dans la région au nord-ouest de Kiev. « Les pratiques criminelles des forces russes que nous avons constatées comprennent des attaques illégales et des homicides volontaires visant des civils », explique Agnès Callamard.

Retrouvez notre conférence de presse du lundi 6 mai, en direct de Kiev, en Ukraine, pour présenter le rapport, ici 👇

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Ces derniers jours, la délégation s’est entretenue avec des survivants et des familles de victimes, et a rencontré des hauts fonctionnaires ukrainiens. « Nous avons rencontré des personnes dont les proches ont été tués dans de terribles attaques et dont les vies ont été bouleversées à jamais par l’invasion russe. Nous soutenons leurs appels à la justice et demandons aux autorités ukrainiennes, à la Cour pénale internationale et à d’autres entités de veiller à ce que les éléments de preuve soient préservés afin de permettre d’étayer de futures poursuites pour crimes de guerre. Il est essentiel que toutes les personnes responsables, notamment celles haut placées dans la chaîne de commandement, soient traduites en justice.» 

Une délégation d'Amnesty International, conduite par la secrétaire générale de l'organisation, Agnès Callamard, visite des bâtiments résidentiels détruits par les bombardements russes à Borodyanka, en Ukraine, le 2 mai 2022. Credit : Eduardo Quiros Riesgo

Des frappes aériennes illégales à Borodianka

Les 1er et 2 mars, plusieurs frappes aériennes russes ont touché huit bâtiments résidentiels de la ville de Borodianka, à environ 60 kilomètres au nord-ouest de Kiev, où vivaient plus de 600 familles.

Les frappes ont fait au moins 40 morts parmi les habitants et ont détruit les bâtiments ainsi que des dizaines d’autres bâtiments et maisons aux alentours. La plupart des victimes ont été tuées dans les sous-sols des bâtiments, où elles avaient cherché refuge. D’autres personnes sont mortes dans leur appartement. 

Le 2 mars au matin, une frappe unique a tué au moins 23 personnes dans le Bâtiment 359 de la rue Tsentralna. Parmi les victimes figuraient les proches de Vadim Zahrebelny : sa mère Lydia, son frère Volodymyr et son épouse Ioulia, ainsi que les parents de cette dernière, Loubov et Leonid Hourbanov.

Nous [Vadim Zahrebelny et son fils] avons quitté le Bâtiment 359 juste avant 7 heures du matin. Mais ma mère, mon frère et son épouse, ainsi que les parents de celle-ci ont insisté pour rester au sous-sol car ils avaient peur d’être abattus par des soldats russes s’ils sortaient dans la rue. Environ 20 minutes après notre départ, le Bâtiment 359 a été bombardé et ils ont été tués, avec d’autres voisins. 

Vadim Zahrebelny

Vasyl Iarochenko se trouvait à proximité du bâtiment lorsqu’il a été bombardé. Il a déclaré :

J’ai quitté mon appartement pour aller travailler au garage. Mon épouse était sur le point de conduire deux voisins plus âgés au sous-sol. Lorsque je suis arrivé au garage, à environ 150 mètres du bâtiment, il y a eu une énorme explosion. Je me suis baissé derrière le garage. Lorsque j’ai regardé, j’ai vu un gros trou dans le bâtiment. Toute la partie du milieu du bâtiment s’était effondrée, à l’endroit précis où les habitants s’étaient réfugiés au sous-sol. Mon épouse Halina fait partie des personnes qui ont été tuées. Je la revois à la porte de notre appartement, où nous avons vécu pendant 40 ans. 

Vasyl Iarochenko

Dimytro Sadofiev cherchant des objets dans le salon de son appartement détruit dans le bâtiment 353, qui a été bombardé par les forces russes le 2 mars 2022. Crédit : Amnesty International.

Le 1er mars, six autres bâtiments de la zone ont été la cible d’une série de frappes aériennes. Au moins sept personnes ont été tuées dans le Bâtiment 371 de la rue Tsentralna, dont Vitali Smichtchouk, un chirurgien de 39 ans, son épouse Tetiana et leur fille de quatre ans Eva.

La mère de Vitali Smichtchouk, Loudmila, a déclaré : « Avec la dégradation de la situation, il était devenu trop dangereux d’aller d’une partie de la ville à une autre. Il y avait des chars dans les rues… Les gens avaient peur de sortir. »

Je parlais avec mon fils et je lui disais de partir, mais il avait peur de sortir. Ils se sont réfugiés au sous-sol, mais la bombe a détruit la partie du milieu du bâtiment, où se trouvait le sous-sol. 

Loudmila, la mère de Vitali Smichtchouk

Aucune cible militaire ukrainienne ne se trouvait dans les bâtiments qui ont été frappés ou à proximité de ceux-ci, même si des personnes armées soutenant les forces ukrainiennes auraient parfois tiré depuis certains des bâtiments ou des lieux à proximité sur des véhicules militaires qui passaient. Mener en connaissance de cause des attaques directes sur des biens de caractère civil ou des attaques disproportionnées constitue un crime de guerre.

Aller plus loin : Entretien avec la chercheuse Donatella Rovera : plongée au coeur des enquêtes sur les crimes de guerre en Ukraine

 

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Des homicides illégaux au nord-ouest de Kiev

La ville de Boutcha, située à environ 30 kilomètres au nord-ouest de Kiev, a été occupée par les forces russes à partir de fin février. Cinq hommes ont été tués entre le 4 et le 19 mars dans des exécutions extrajudiciaires manifestes par les forces russes dans un complexe de cinq bâtiments implantés autour d’une cour, près du croisement entre les rues Iablounska et Vodoprovidna.

Evhen Petrachenko, responsable commercial de 43 ans et père de deux enfants, a été abattu dans son appartement de la rue Iablounska le 4 mars.

Tatiana, l’épouse d’Evhen Petrachenko, a déclaré qu’elle se trouvait au sous-sol du bâtiment alors que son mari était resté dans l’appartement. Il était allé aider un voisin lorsque des soldats russes ont fouillé les logements. Tatiana a perdu contact avec son mari, dont le corps a été retrouvé dans son appartement par un voisin le lendemain.

À sa demande, des soldats russes ont autorisé Tatiana à se rendre dans l’appartement.

Evhen était étendu, mort, dans la cuisine. Il avait reçu une balle dans le dos, [près de ses] poumons et [son] foie. Son corps est resté dans l’appartement jusqu’au 10 mars, lorsque nous avons pu l’enterrer dans une tombe peu profonde dans la cour. 

Tatiana, l’épouse d’Evhen Petrachenko

Nos chercheurs ont trouvé deux balles et trois cartouches sur le lieu de l’homicide. Le spécialiste des armes de l’organisation a identifié les balles comme étant des balles perforantes 7N12 à pointe noire de calibre 9x39 mm, qui ne peuvent être utilisées qu’avec des armes spécialisées employées par certaines unités d’élite russes, notamment les unités qui auraient été déployées à Boutcha à cette période.

Un ensemble de documents militaires russes retrouvés à Boutcha, que nos chercheurs ont pu consulter, donnent davantage d’éléments sur les unités impliquées. Ils comprennent des dossiers d’enrôlement et de formation appartenant à un chauffeur-mécanicien du 104e régiment des VDV, les troupes aéroportées de la fédération de Russie. Certaines unités des VDV sont équipées de fusils spécialisés tirant des balles perforantes de calibre 9x39 mm.

Le 22 ou le 23 mars, Leonid Bodnartchouk, un ouvrier du bâtiment de 44 ans qui vivait dans le même bâtiment qu’Evhen Petrachenko, a également été tué. Les habitants qui s’étaient réfugiés au sous-sol ont déclaré que des soldats russes avaient abattu Leonid Bodnartchouk alors qu’il montait les escaliers et qu’ils avaient ensuite lancé une grenade dans la cage d’escalier. Les habitants ont ensuite retrouvé son corps mutilé baignant dans une marre de sang dans les escaliers. Nos chercheurs ont constaté de grandes traces de sang sur plusieurs marches des escaliers menant au sous-sol, ainsi que des marques de brûlure et des dégâts sur les murs correspondant à une explosion de grenade.

Dans les villes voisines, ils ont recueilli des éléments de preuve supplémentaires et des témoignages sur des homicides illégaux, notamment des exécutions extrajudiciaires manifestes : certaines victimes ont eu les mains attachées dans le dos et d’autres présentaient des marques de torture. Dans le village de Novyi Korohod, Viktor Klokoun, un ouvrier du bâtiment de 46 ans, a été tué. Olena Sakhno, sa compagne, a déclaré que des habitants du village lui avaient amené le corps de Viktor le 6 mars.

Ses mains étaient attachées dans son dos avec un bout de plastique blanc et il avait reçu une balle dans la tête. 

Olena Sakhno, la compagne de Viktor Klokoun, un ouvrier du bâtiment qui a été tué

Olexii Sytchevky a perdu son épouse, Olha, qui avait 32 ans, et son père, Olexandr, qui avait 62 ans, lorsque le convoi de véhicules dans lequel ils voyageaient a été la cible de tirs qu’il attribue aux forces russes.

Le convoi était composé entièrement de civils qui fuyaient. Il y avait des enfants dans presque toutes les voitures. Lorsque notre voiture est arrivée à une ligne d’arbres, j’ai entendu des coups de feu, d’abord un seul, puis une rafale. Les coups de feu ont touché le premier véhicule du convoi, qui s’est arrêté. Nous étions le second véhicule et nous avons dû nous arrêter également. Puis nous avons été touchés. Au moins six ou sept tirs ont touché notre voiture. Mon père a été tué sur le coup d’une balle dans la tête. Mon épouse a reçu un éclat d’obus et mon [fils] a également été touché. 

Olexii Sytchevky, qui a perdu son épouse, Olha, qui avait 32 ans, et son père, Olexandr, qui avait 62 ans

Une gestion des corps chaotique

Nos chercheurs qui se sont rendus à Boutcha et dans d’autres villes et villages en avril après l’exhumation de victimes (soit des décombres de bâtiments effondrés, soit des tombes peu profondes temporaires dans lesquelles de nombreuses personnes avaient été enterrées) ont constaté que de nombreux proches des victimes n’étaient pas satisfaits du traitement des dépouilles. Selon les membres des familles des victimes, la gestion des corps a été chaotique, ils n’ont pas été tenus correctement informés et dans certains cas, les corps n’ont pas été correctement identifiés.

Face aux crimes de guerre, la justice doit parler

Les exécutions extrajudiciaires perpétrées dans des conflits armés internationaux constituent des homicides volontaires, qui sont des crimes de guerre. Les attaques aveugles et disproportionnées commises dans un but criminel sont également des crimes de guerre.

Toutes les personnes responsables de crimes de guerre doivent être tenues pénalement responsables de leurs actions. En vertu du principe de la responsabilité de la hiérarchie, les supérieurs hiérarchiques, notamment les commandants militaires et les dirigeants civils, comme les ministres et les chefs d’État, qui savaient ou avaient des raisons de savoir que leurs forces commettaient des crimes de guerre et qui n’ont pas pris de mesures pour les empêcher ou sanctionner les responsables, doivent aussi être considérés comme pénalement responsables.

Les procédures et mécanismes judiciaires doivent être aussi exhaustifs que possible et veiller à ce que tous les responsables de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité, de génocide et de crime d’agression en Ukraine, de toutes les parties au conflit, soient traduits en justice dans le cadre de procès équitables, sans recours à la peine de mort. De plus, les droits des victimes doivent être placés au centre des enquêtes et des poursuites liées aux crimes internationaux et tous les mécanismes judiciaires doivent adopter une approche centrée sur les victimes.

Pour aller plus loin et voir toutes nos publications sur la guerre en Ukraine, retrouvez notre dossier complet ici.