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© Damien Roudeau

Le référencement du mot « lesbienne » enfin corrigé

Jeune militante LGBT, adepte de la Tech, Fanchon Mayaudon a fondé un collectif. Son objectif : changer le référencement du mot « lesbienne » sur Google qui renvoyait systématiquement à des sites pornos.

Fanchon Mayaudon ne s’imaginait pas mener un bras de fer avec l’un des géants des Gafa (Google Apple Facebook Amazon). Elle se destinait à une carrière de guide dans les musées, mais bifurque, devient professeure des écoles avant d’embrasser ce qui lui convient le mieux : la Tech, le lieu où peuvent s’épanouir des profils atypiques et curieux comme le sien. Toute jeune, dans l’Internet des années 2010, Fanchon Mayaudon surfe et cherche du contenu pour le mot « lesbienne ». 

Il n’y avait rien, sinon du porno. J’ai fait le deuil de ce mot, il ne me représentait pas.

De Lycos à Google, les moteurs de recherche évoluent, mais taper sur son clavier « lesbienne » renvoie toujours à des sites pornos, à destination des hommes, avec des titres souvent violents, tels que « viols de lesbiennes ». Tandis que le mot Gay, renvoyait à des adresses de bars, d’associations. À l’époque, la presse utilisait le mot « homosexuelle », jamais « lesbienne ». 

Si moi, adulte j’étais choquée, imaginez les adolescentes, un peu fragiles qui, en cherchant de l’aide, une définition claire, ou le numéro du Planning familial, tombent sur de la pornographie. D’autant que les adolescents LGBT sont plus sujets à des problèmes de dépression, de rejet, de suicide, de harcèlement.

Nous sommes en 2019, Fanchon Mayaudon a un compte Twitter, plutôt discret sur lequel elle suit des comptes LGBT et compose un peu de poésie ! Un jour, elle envoie ce post :

« Pourquoi on n’utiliserait pas les mêmes méthodes que les "marketeux" pour mieux faire référencer le terme "lesbienne" ? » Et tout s’enchaîne, elle est remarquée par Marie Turcan, rédactrice en chef du site spécialisé Numerama, elles se parlent, réfléchissent ensemble pour trouver des solutions, s’ensuit un article qui sera beaucoup repris. C’est le moment charnière, que fait-on après ça ? « Je me sens une forte responsabilité, celle d’avoir attiré l’œil des médias sur ce problème. Mais le soufflet médiatique peut retomber très vite. Je ne peux pas abandonner, cela concerne trop de gens ».

L’année 2019 est importante pour la communauté LGBT, qui fête les 50 ans de Stonewall, toutes les rédactions sont tournées vers cet événement. La parole se libère après Metoo et le scandale de la Ligue du Lol3 qui bouleverse les organes de presse, digitaux compris.

Google Bombing

Pour la militante, c’est le moment. Il faut agir, mais pas n’importe comment et pas seule. Elle ne cherche pas une victoire personnelle mais un succès pour le collectif LGBT. Elle veut un évènement axé Tech pour attirer cette communauté d’experts en SEO [Référencement des moteurs de recherche] très motivée par les challenges.

On a réfléchi sur une stratégie technique. La première idée a été de faire du Google Bombing : avec un petit panel d’environ 1000 personnes, cela consiste à écrire le mot « lesbienne » partout, de manière à déréférencer certaines pages.

Puis le 19 avril, la militante lance la page et le hashtag #SEOlesbienne. « C’est venu comme ça un soir à 1h30 du matin. J’ai demandé à ma femme, graphiste, de trouver une identité visuelle, un logo ». Et c’est parti ! Le hashtag est immédiatement relayé par les réseaux, la presse en parle, et pas que la presse spécialisée LGBT ou Tech.

Cette campagne provoque aussi des critiques.  Certains lui reprochent de ne pas être assez radicale. De composer avec Google plutôt que de tuer l’hydre. « Moi qui travaille dans ce secteur, je peux vous dire que c’est impossible », explique Fanchon Mayaudon. D’autres l’accusent d’être des SJW : Social Justice Warrior. « Cet acronyme que l'on pourrait penser positif, ne l’est pas du tout. Au contraire, il signifie que les gens se battent pour des causes inutiles ou pour être mis en avant : ʺVous les petites citoyennes, vous pensez changer le monde avec votre hashtagʺ ».

Cette dernière critique précise-t-elle est problématique car elle provient des gens qui travaillent dans le milieu de la Tech, qui sont très jeunes et pour qui l’empire de Google et celui des GAFA en général, est un monstre sans tête sur lequel on ne peut agir. Fatalistes ? Pire, désinformés. Elle s’inquiète :

lls oublient que ces entreprises pour avancer ont besoin d’hommes et de femmes qui sortent de grandes universités, qui sont formés à des métiers de plus en plus pointus. Ils oublient notre levier en tant qu’humain. Le combat aujourd’hui est un combat RH.

Les attaques n’empêchent pas le petit hashtag du début, appuyé par d’incessantes campagnes d’influence de SEOlesbienne, de devenir un gros problème pour Google.

Pinkwashing

Le géant américain tient à son image, notamment auprès des LGBT. Ses offres d'emploi en France précisent bien que peuvent postuler les personnes de tous les genres, de toutes les expressions de sexualité. « De plus, j’en suis certaine, Google n’avait eu aucune volonté de salir le mot lesbienne », souligne Fanchon.

L’ironie de l’histoire, c’est que l’entreprise, pour commémorer les 50 ans de Stonewall, avait décidé d’apposer sur ses pages une bannière avec des arcs-en-ciel LGBT : « Ça s’appelle du Pink Washing [prétendre être solidaire et militant des droits des homosexuels en ne l’étant pas dans les faits]. Il y là une dissonance évidente entre l'intention réelle de l'entreprise, gayfriendly, et ce référencement abject »

En juin 2019, Pandu Nayak, vice-président de Google, donne une conférence de presse. À la question de la journaliste Marie Turcan, il admet des « résultats terribles » sur le mot lesbienne, et promet des corrections. Un mois plus tard, une journaliste de Têtu appelle Fanchon Mayaudon, elle vient de taper « lesbienne » sur Google et il faut désormais dérouler plus de 11 pages avant d’arriver sur un site porno. Une victoire obtenue sans que jamais le collectif militant n’ait été contacté par Google. Reste un hic ! Les sections « vidéos » et « images » continuent de renvoyer sur du porno. Il faudra attendre octobre 2019 pour en finir avec ces représentations nauséeuses associées au mot lesbienne.

C’est un double succès car Google avoue aussi, sans le dire, qu’il peut agir manuellement sur ses algorithmes, ce dont il se défendait jusque-là, arguant que le référencement s’effectue de manière naturelle, empirique, qu’il suit la demande des internautes. Google vient de démontrer le contraire :  il est interventionniste, il peut tordre un algorithme. Google n’est pas apolitique, il peut décider de mettre en avant certains résultats électoraux par exemple.

Cette victoire, Fanchon Mayaudon la savoure, mais ne compte pas en rester là. La militante forme le vœu que les générations se rencontrent. Une plus âgée, formée à la science, l’histoire, la sociologie etc. mais nulle en technologie et la plus jeune, incollable sur la technologie mais peu experte en sémantique ou dans les domaines précédemment cités. Elle est persuadée que l’on peut créer de nouveaux algorithmes qui ne répondraient pas simplement à une liste de mots à bannir mais qui analyseraient aussi le contexte et le contenu. Cette spécialiste de la Tech, du SEO, du marketing, des réseaux sociaux, de la création d’événements, ne parle que d’éthique et d’humain – ce qui n’est guère la tasse de thé de ces milieux. Évoquant le risque imminent que bientôt plus aucune décision ne soit prise par une personne en chair et en os, elle pense déjà à la parade :

On doit s’infiltrer nous les femmes et les minorités chez ces géants, on doit changer la mentalité des hommes qui sont derrière tout ça, leur faire prendre conscience qu’ils ont un pouvoir : votre geste technique aura une répercussion dans la vie quotidienne des vrais gens, donc ça vous rend responsable.

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Cet article est tiré du magazine La Chronique du mois de mars 2021.