Désormais, 90 députés de tous bords politiques soutiennent l'ouverture d'une commission d'enquête sur les ventes d'armes françaises à la coalition saoudienne, des armes susceptibles d'avoir été utilisées contre les civils dans le cadre du conflit au Yémen.
Le 18 juillet, la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée nationale, auditionnait M. Luc Mampaey, directeur du Groupe de recherche et d'information sur la paix et la sécurité (GRIP), sur le contrôle des exportations d'armement des principaux pays de l'Union européenne (UE). Au cours de cette audition, les élus ont exprimé le désir de voir la transparence renforcée en la matière, tout en appelant à un contrôle du Parlement, aujourd’hui inexistant.
Dans le même temps, alors que le principe d’une commission d’enquête sur les ventes d’armes aux belligérants impliqués au Yémen reçoit de plus en plus de soutiens, les résistances en vue de son examen persistent fortement.
Depuis des années, nous réclamons plus de contrôle et de transparence en matière d'exportations d'armes, et nous avons récemment soutenu l’ouverture d’une enquête parlementaire sur les ventes d’armes françaises à la coalition engagée au Yémen. Nous avons donc suivi de près cette audition.
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Pour un contrôle permanent par le Parlement
Cette audition avait pour but de dresser un état des lieux du rôle des parlements des États membres de l’UE concernant les exportations d’armement.
En France, le Parlement a totalement abandonné au seul pouvoir exécutif la question du contrôle des exportations d’armement.
Pour la première fois, des élus de toutes tendances politiques se sont exprimés publiquement pour dénoncer le manque de transparence du gouvernement sur les ventes d’armes et soutenir l’idée d’un contrôle parlementaire : « L'angle mort c’est le Parlement, je partage absolument ce point de vue », déclare ainsi la présidente de la commission, Marielle de Sarnez, en reprenant les propos de la députée Valérie Boyer.
Nous dénonçons depuis plusieurs années l’opacité du rapport annuel au Parlement sur les exportations d’armement de la France, produit par le ministère des Armées, qui manque cruellement d’informations et de détails. Cette année, pour la deuxième fois consécutive, il a été rendu public avec plus d’un mois de retard.
Ce rapport donne des éléments mais ne comporte pas d’informations de nature à permettre au Parlement de contrôler la légalité des ventes d’armes.
Marielle de Sarnez, présidente de la commission des Affaires étrangères
Or, tout l’enjeu est là : l’information fournie par ce rapport doit permettre de s’assurer que le gouvernement français ne livre pas d’armes lorsqu’il existe un risque qu’elles soient utilisées pour commettre ou faciliter des violations graves du droit international humanitaire ou des droits humains.
En France, j'ai le sentiment que le débat est assez pauvre et reflète surtout une approche des exportations, qui privilégie les intérêts nationaux, les intérêts industriels liés à l'emploi sans que l'Assemblée nationale n'exerce un réel contrôle critique sur la politique d’exportation d’armes
Luc Mampaey, directeur du GRIP
C’est dans ce cadre que la présidente de la commission des Affaires étrangères a conclu : « Je pense que nous devons travailler à mettre en œuvre un dispositif de contrôle qui permette à notre parlement de vérifier que le droit international est bien respecté. » Elle a finalement annoncé qu'elle allait proposer une mission d'information afin de formuler des pistes en vue d’organiser un contrôle, affirmant que « notre parlement doit avancer d’une façon extrêmement concrète, de manière à contrôler effectivement la réalité de ce que nous souhaitons, et la conformité au droit international. »
Nous serons vigilants à ce que cette initiative voit le jour et soit suivie d’effets.
En 1999, la commission de la Défense nationale et des forces armées de l’Assemblée nationale avait mis en place la tout première mission d'information sur le contrôle des exportations d'armement, laquelle avait donné lieu à un rapport d’information dont les recommandations en matière de transparence et de contrôle n’ont jamais été traduites dans les faits.
Un contrôle permanent n’exclut pas une commission d’enquête
À l’occasion de cette audition, l’élu Sébastien Nadot a rappelé l’existence de son projet de résolution (avril 2018), projet que nous avons soutenu, appelant à la création d’une commission d’enquête portant sur les ventes d’armes de la France aux belligérants du Yémen, depuis le début du conflit.
À l’occasion de cette audition, Sébastien Nadot a réagi : « En quoi cette demande pose-t-elle problème ? » car « on a une difficulté à l’amener en débat ». « Est-ce qu'on va s'emparer de cette matière ou est-ce qu'on va être le dernier élève de la classe ? », a-t-il lancé, en exhortant Marielle de Sarnez à se saisir de la question.
La présidente de la commission des Affaires étrangères maintient son analyse de la procédure pour ne pas inscrire à l’ordre du jour le projet de résolution, confirmant ainsi son attitude de blocage.
À la veille de l’audition, le projet de résolution de Sébastien Nadot pour une commission d’enquête était soutenu par 60 députés de quatre groupes politiques sur sept. Le 18 juillet, ils sont 90 députés à le soutenir.
En effet, le député Alain David a annoncé le soutien du groupe Nouvelle gauche composé de trente députés. Le lendemain, le Parti socialiste publiait une tribune, signée notamment par son président, Olivier Faure, et sa collègue Hélène Conway-Mouret, sénatrice et membre de la commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées.
Ces parlementaires appellent « à introduire plus de transparence […afin…] de s'assurer que la France n'est et ne sera pas impliquée dans des crimes de guerre et contre l'humanité à cause de l'usage des armes qu'elle aurait produites et vendues. »
L’idée d’une commission d’enquête sur le Yémen et celle exigeant un contrôle permanent ne sont pas antinomiques. La première s’inscrit dans une forme d’urgence face à une situation sur le terrain qui ne s’améliore pas.
La seconde est une révolution qui trouve son fondement dans plusieurs décennies d’opacité et l’absence de contrôle démocratique du Parlement.
La mobilisation de nos militants et sympathisants et d’autres ONG a permis cette évolution. Nous continuerons aussi à soutenir ces deux démarches, avec l’appui grandissant des citoyens, afin qu’elles deviennent effectives et permettent de s’assurer que les transferts d’armes de la France ne portent pas et ne porteront pas atteinte aux populations civiles.
Seule la concrétisation de ces initiatives permettra de démontrer tant la volonté du Parlement que du gouvernement de se comporter comme des acteurs responsables et respectueux des engagements internationaux de la France qui ont pour vocation de « réduire la souffrance humaine ».
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