Alice Milliat, la sportive française qui a conjugué l'olympisme au féminin

20 août 1922, stade Pershing, Paris — « Je déclare ouverts les premiers Jeux olympiques féminins du monde. » L’ovation qui salue ces mots prononcés avec autorité devant 20 000 spectateurs a, pour Alice Milliat, la saveur d’une victoire personnelle. Voilà des années que cette sportive française se démène pour convaincre que « le sport féminin a sa place dans la vie sociale au même titre que le sport masculin ». Des années que cette pratiquante de l’aviron, membre du club parisien Fémina Sport « rame » à contre-courant, opposée à l’idée dominante selon laquelle le sport est trop violent pour celles qui doivent enfanter.

Fondatrice en 1917 de la Fédération des sociétés sportives féminines de France, Alice se heurte d’emblée au baron de Coubertin. Le fondateur des Jeux olympiques modernes estime en effet que des épreuves sportives féminines ne pourraient que livrer des athlètes aux cuisses nues à « un public mâle forcément concupiscent ». Réponse d’Alice : « Si vous pensez que le sport féminin est un signe d’indécence morale et d’exhibitionnisme, vous vous trompez. » Elle sollicite derechef le Comité olympique international (CIO) pour « ouvrir aux femmes les Jeux olympiques d’Anvers » en 1920. Refus du CIO et du baron pour qui les JO doivent rester l’objet de « l’exaltation solennelle de l’athlétisme mâle avec l’applaudissement féminin pour récompense », d’autant que cette « olympiade femelle serait inesthétique, inintéressante et incorrecte ».

« Les Jeux olympiques doivent être réservés aux hommes, le rôle des femmes est de couronner les vainqueurs »

Baron Pierre de Coubertin

Assumant le bras de fer, Alice fonde, en octobre 1921, la Fédération sportive féminine internationale (FSFI). Et elle met en place ces provocants Jeux olympiques féminins qui voient, à Pershing, des sportives de cinq pays1 s’affronter sur 11 épreuves et remporter un succès populaire. Ce qui n’empêche ni les sarcasmes de la presse ni le courroux d’instances sportives – toutes sous direction masculine. Contrainte d’abandonner l’adjectif « olympique », Alice Milliat maintient néanmoins la compétition sous l’appellation de « Jeux mondiaux féminins ». Ceux de 1926, en Suède, sont un tel succès que le CIO, inquiet de sa perte de contrôle, décide d’intégrer cinq épreuves féminines au JO d’Amsterdam en 1928, avec Alice dans le jury.

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Cependant, le refus du CIO d’ajouter d’autres épreuves féminines et la proposition d’intégrer la FSFI à la très misogyne Fédération internationale d’athlétisme font vite comprendre à la militante qu’il s’agit là d’une tentative de mainmise sur le sport féminin. Elle maintient donc les Jeux féminins, en 1930 à Prague et en 1934 à Londres. Leur réussite ne suffira pas. Les subventions supprimées, les attaques répétées contre sa gestion ont raison d’Alice qui, malade, renonce en 1935. Dès lors, le CIO annonce la suppression des Jeux féminins, tandis que l’œuvre d’Alice Milliat disparaît des mémoires. Jusqu’à ce que le Conseil de Paris décide, il y a trois ans, que l’Arena, installation sportive construite porte de la Chapelle pour les JO 2024, portera le nom d’Alice Milliat. Un hommage vite éclipsé par la loi du marché. L’enceinte est rebaptisée Adidas Arena, tandis que le nom de la pionnière des jeux féminins sera attribué à une simple esplanade.

1— Angleterre, États-Unis, France, Suisse, Tchécoslovaquie.

Les dates clés :

5 mai 1884 : Naissance d’Alice Milliat, à Nantes.

1896 : Pierre de Coubertin crée les 1ers Jeux olympiques modernes à Athènes.

1917 : Fondation de la Fédération des sociétés sportives féminines de France.

août 1922 : 1ers Jeux olympiques féminins, à Paris.

1928 : Introduction de 5 épreuves féminines aux JO d’Amsterdam.

19 mai 1957 : Décès d’Alice Milliat.