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URGENCE GAZA-ISRAËL

Face à l’horreur, agissez avec nous pour exiger un cessez-le-feu immédiat et la protection des civils.

Les tribunes de stade restent des lieux de résistance, comme ici le 29 novembre 2022, trois mois après la mort de Mahsa Amini. Des femmes sans voile et des hommes défient le pouvoir iranien pendant le match Iran-États-Unis au Qatar (Coupe du monde). © TIM GROOTHUIS/WITTERS/PRESSE SPORTS

En Iran, le sport pour défier le pouvoir et soutenir le mouvement "Femme, vie, liberté"

Le sport est un terrain privilégié de propagande pour le régime islamique. Pourtant, bravant tous les risques, des athlètes utilisent leur discipline pour défier le pouvoir ou soutenir le mouvement Femme, vie, liberté.

Extrait de La Chronique de juillet-août 2024# 452/453 — Par Christophe Boltanski

En cette fin d’été 2023, un dignitaire iranien est l’hôte discret de la France. Ghafoor Kargari a débarqué le 24 août à Roissy en provenance de Téhéran. Depuis, il enchaîne les visites : Grand Palais, Invalides, Défense Arena, Cité du cinéma, Roland-Garros, Stade de France, Centre national de tir sportif de Châteauroux… Il ne fait pas du tourisme. Dans son pays, il préside le Comité national paralympique. À ce titre, il participe, avec 350 autres délégués venus du monde entier, à un « séminaire de travail » sur les Jeux paralympiques prévus à Paris, un an plus tard.

Au cinquième jour de sa tournée, le voilà au Champ-de-Mars pour applaudir les discours de clôture appelant à « changer le regard sur le handicap » et à promouvoir « l’égalité et l’inclusion ». Après cela, l’homme a prévu de prolonger son séjour. Un « contretemps » l’oblige pourtant à un départ précipité. Le matin même, un avocat français dépose plainte contre lui auprès du procureur national antiterroriste. Au nom de deux associations iraniennes en exil, Femme Azadi et House of Liberty, Me Emmanuel Daoud l’accuse d’« actes de torture », un crime relevant de la compétence universelle des tribunaux français.

Qui est Ghafoor Kargari ? Officiellement, il dirige, depuis le 13 décembre 2022, le Comité paralympique iranien. Auparavant, il en exerçait la vice-présidence. Il peut se prévaloir de bons résultats : lors des derniers Jeux, l’Iran s’est classé treizième au tableau des médailles. Mais lorsque cet apparatchik de 61 ans, à la barbe grise, intervient dans les médias de son pays, c’est rarement pour parler de sport en situation de handicap. Dans un journal d’Ardabil, sa ville de naissance située aux confins du Caucase, il exalte « le culte des martyrs » et encourage la ­communauté azérie à laquelle il appartient à propager l’islamisme chiite dans la région.

Sur une photo non datée, il porte les insignes et l’uniforme vert olive des gardiens de la révolution islamique, les pasdaran en persan. Tout indique son appartenance à cette milice au service du régime1. Interrogé par l’Agence d’information de la presse de la République islamique d’Iran (Irna), lui-même se réclame de la Force Al-Qods, leur unité d’élite chargée des opérations extérieures et, surtout, de son ancien chef, le général Qassem Soleimani, tué par un drone américain le 3 janvier 2020. À plusieurs reprises, il désigne celui-ci comme son « modèle » et son « camarade d’armes ». Fars News, considéré comme l’organe de presse des pasdaran, écrit que les deux hommes « ont combattu ensemble ».

« Il s’agissait d’un haut gradé de la Force Al-Qods qui sévissait dans différents pays d’Asie centrale », affirme Me Emmanuel Daoud. Dans le dossier transmis à la justice, l’avocat le présente comme l’un des fondateurs d’un groupe armé islamiste azéri, les Husayniyun, impliqué dans des attaques terroristes en Azerbaïdjan. « Il faisait partie d’une milice qui est en première ligne dans la répression interne et la commission d’attentats dans le monde. »

Sans surprise, le parquet a classé l’affaire. « Nous avons déposé une seconde plainte avec constitution de partie civile, indique l’avocat. Notre action était symbolique. Nous n’avions pas l’espoir de voir cet homme interpellé. Nous voulions rendre compte de son pedigree et le contraindre à filer dare-dare. Je pense qu’il y réfléchira à deux fois avant de revenir en France. »

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Violation du principe de non-discrimination

En matière sportive, la République islamique ne répond pas aux principes des JO. Deux semaines après la plainte contre Ghafoor Kargari, une autre initiative citoyenne le relève : dans une lettre envoyée au Comité international olympique (CIO), un collectif – emmené par l’ancien champion du monde de boxe Mahyar Monshipour, la Prix Nobel de la paix Shirin Ebadi et l’avocat Frédéric Thiriez – réclame son éviction au moins partielle des olympiades de Paris. Le motif ? Ses violations répétées du principe de non-discrimination dans le sport, pourtant, au cœur des « valeurs olympiques ».

Impossible, ou presque, pour une Iranienne de prendre place dans un stade en tant que spectatrice ou de pratiquer un sport sans collants ni hijab. En conséquence, les épreuves comme la natation, la boxe, la lutte, la gymnastique ou le beach-volley leur sont interdites.

« Nous demandons que la délégation iranienne soit au moins bannie des disciplines fermées aux femmes », insiste Mahyar Monshipour à l’origine de cette action. Il rappelle que, du fait de l’apartheid, l’Afrique du Sud a été exclue des jeux internationaux pendant plus de vingt ans. « Aujourd’hui, on écarte la moitié de l’humanité pour des raisons purement idéologiques et ça n’émeut personne ! », s’indigne-t-il. Né à Téhéran en 1975, arrivé en France à 11 ans, sans ses parents, il dit livrer cette bataille au nom de sa « maman » : « Toute sa vie, elle a été malheureuse et discriminée. »

Sa missive n’a suscité qu’une réaction laconique du CIO : « Nous suivons avec attention la situation en Iran », se borne à répondre son président Thomas Bach. Afin que leur requête soit entendue, les signataires envisagent rien de moins que de saisir le tribunal arbitral du sport à Lausanne. « Mais cela nécessite des fonds, et on ne les a pas. On est parti pour qu’il ne se passe rien », soupire Mahyar Monshipour.

Il y a cinq ans, l’ancien champion du monde a brisé un tabou. Il a permis à une Iranienne de disputer un match de boxe officiel, c’est une première. À l’époque, il retourne encore régulièrement dans son pays d’origine, malgré son rejet viscéral du régime des mollahs. En 2018, il profite d’un passage à Téhéran pour organiser un entraînement, mixte et en plein air, puisque les femmes ne peuvent pas monter sur un ring. Il réunit une vingtaine de garçons et trois filles, dont Sadaf Khadem, 23 ans (en photo, p. 24). Un an après, elle lui écrit : « Je rêve de faire un combat. » Il la prend au mot et lui programme une rencontre sur le sol français. Le 13 avril 2019, à Royan, en Charente-Maritime, Sadaf s’impose par K.-O. en trois rounds contre son adversaire d’un soir. « Les femmes peuvent franchir les montagnes si elles le veulent », s’écrie-t-elle en larmes sur le ring. L’événement retransmis en direct par une chaîne de l’opposition iranienne fait date. « Tout l’Iran était devant sa télé. Voir une femme en short et en débardeur, livrer un combat de boxe est un geste de résistance aux religieux », se félicite Mahyar Monshipour. Il a prévu de raccompagner trois jours plus tard la jeune femme dans leur pays. En route pour l’aéroport, il reçoit un appel de Téhéran. « Une personne haut placée m’a annoncé qu’un mandat d’arrêt avait été lancé contre moi », raconte-t-il aujourd’hui. Il renonce alors à son voyage ; quant à Sadaf, elle décide de rester.

La jeune sportive vit désormais à Paris. Elle a développé sa propre ligne de vêtements et poursuit la boxe à Aubervilliers, comme en témoigne un coquard violacé à l’œil droit, stigmate de son dernier affrontement. Elle dit être devenue un « symbole politique », malgré elle. « Ce n’était pas ce que je voulais. J’étais juste une sportive. » Elle a découvert la boxe sur le tard. « J’ai toujours aimé la bagarre et la nouveauté. Je voulais prendre des risques, être une pionnière. » En Iran, Sadaf s’entraînait en catimini dans des parcs publics. Elle ne comprend pas ces interdits : « Même l’Arabie saoudite possède une fédération féminine de boxe. »

« Les femmes peuvent franchir les montagnes si elles le veulent »

Sadaf Khadem, boxeuse iranienne

Des sportives iraniennes tête nue

Depuis le décès en détention, le 13 septembre 2022, à Téhéran, de Mahsa Amini, pour port non conforme du voile, les athlètes iraniennes sont de plus en plus nombreuses à défier le régime. On les voit disputer tête nue des compétitions, à l’instar d’Elnaz Rekabi, championne d’escalade, apparue avec un bandana lors des championnats asiatiques à Séoul d’octobre 2022, ou encore de Parmida Ghasemi, la tireuse à l’arc qui a fait tomber son hijab à la remise d’un prix, un mois plus tard. Quand elles ne sont pas jetées en prison, elles disparaissent quelque temps, refont surface et, sous la contrainte, présentent des excuses publiques en invoquant un « coup de vent », le « stress » ou un « accident » pour expliquer leur geste.

Lire aussi : Sport et droits humains : ces athlètes qui ont fait bouger les lignes

Royan, 3 octobre 2022. Finie la boxe en cachette en Iran ! C’est en France que Sadaf Khadem a pu monter sur le ring librement. Elle y vit exilée depuis quatre ans.  © ROMAIN PERROCHEAU/AFP

Royan, 3 octobre 2022. Finie la boxe en cachette en Iran ! C’est en France que Sadaf Khadem a pu monter sur le ring librement. Elle y vit exilée depuis quatre ans. © ROMAIN PERROCHEAU/AFP

Les sportives subissent un contrôle continuel. « À l’étranger, des agents des services de sécurité ne les quittent pas d’une semelle, comme dans les délégations soviétiques des années 1960, précise Philippe Rochard, anthropologue du sport à l’université de Strasbourg. Si jamais vous protestez, on cible votre famille ou alors on vous libère contre une caution exorbitante qui vous oblige à hypothéquer vos biens et ceux de vos parents. La répression s’exerce à tous les niveaux. »

Les sportifs qui soutiennent les protestataires s’exposent à des peines encore plus dures. « Des lutteurs, des boxeurs, des culturistes, des karatékas ont été tués, exécutés, arrêtés, battus. La liste est longue. Depuis le début des manifestations en Iran, le monde du sport a beaucoup donné », souligne l’anthropologue. Même une légende du foot, comme Ali Daei, n’est pas épargnée. Pour avoir appelé, sur son compte Instagram, les autorités à « résoudre les problèmes du peuple iranien plutôt que de recourir à la répression », l’ancien attaquant a vu son restaurant et sa bijouterie mis sous scellés, son passeport confisqué, son épouse et sa fille interdites de sortir du territoire.

Les Iraniens qui participeront aux Jeux olympiques et paralympiques de Paris ne seront pas des athlètes comme les autres, mais des prisonniers en sursis. 

 

1— Ce groupe paramilitaire est devenu l’un des piliers du régime. Il a joué un rôle central dans la répression du soulèvement Femme, vie, liberté.

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