Aller au contenu
Agir
Faire un don
ou montant libre :
/mois
Grâce à la réduction d'impôts de 66%, votre don ne vous coûtera que : 5,1 €/mois
URGENCE GAZA-ISRAËL

Face à l’horreur, agissez avec nous pour exiger un cessez-le-feu immédiat et la protection des civils.

11 décembre 1983, Adison Alves ©capture d'écran du documentaire "Democracia empreto e branco

Sport et droits humains : quand les athlètes font bouger les lignes

Brandir un poing sur un podium, poser un genou dans un stade, s’enrouler dans un drapeau… Nombre d’athlètes ont profité d’une compétition sportive pour revendiquer un droit ou dénoncer des discriminations.

Extrait de la Chronique de juillet-août 2024 # 452-453 — Par Grégoire Osoha

Bélarus

4 décembre 2023 Alexandre Lokachenko © AFP

4 décembre 2023 Alexandre Lokachenko © AFP

Pris à son propre jeu

« Alexandre joue au football », « Alexandre fait du hockey », « Alexandre sur des skis de fond ». Le site du président bélarusse célèbre le sport et… sa propre personne. Le chef de l’État Alexandre Loukachenko y délivre ces précieux conseils : « Si vous laissez le sport de côté, vous ne deviendrez jamais un leader. Vous deviendrez, passez-moi l’expression, gros, mou et bedonnant. C’est pourquoi non seulement je fais du sport moi-même et l’enseigne à mes enfants, mais je déclare aussi à tout le monde à quel point il est important de pratiquer. »

L’homme aime tellement le sport qu’il a cumulé la présidence de son pays avec celle du comité national olympique pendant vingt-trois ans. À ce (double) titre, l’autocrate aime s’afficher en compagnie de sportifs professionnels bélarusses. Mais certains athlètes ont dit stop après la violente répression des manifestations déclenchées par la réélection truquée d’Alexandre Loukachenko en août 2020. La police avait alors admis avoir tiré à balles réelles contre la foule. Dès l’automne, la basketteuse la plus célèbre du pays, Elena Lechevko, est détenue pendant deux semaines pour sa participation aux manifestations. Dans une lettre ouverte, 400 sportifs bélarusses de toutes disciplines, parmi lesquels des médaillés olympiques, appellent à de nouvelles élections. Sans succès. Mais dans les mois qui suivent, l’Association libre des athlètes bélarusses obtient un rendez-vous au Comité international olympique pour demander de concourir sous drapeau neutre lors des compétitions internationales. Par ailleurs, l’association parvient à convaincre la Fédération internationale de hockey sur glace de retirer le Bélarus de l’organisation des championnats du monde de janvier 2021 pour la confier à la Lettonie voisine. Un sérieux camouflet dont il n’est nullement question sur le site d’Alexandre Loukachenko.

Australie

23 août 1994 Cathy Freeman © Reuters

23 août 1994 Cathy Freeman © Reuters

La honte change de camp

Noir comme la peau des Aborigènes, rouge comme la terre du désert Munga-Thirri et jaune comme le soleil qui donne la vie. Tout sourire, la sprinteuse australienne Cathy Freeman s’enveloppe dans le drapeau du peuple autochtone pour saluer le public. Ce 23 août 1994, la jeune Aborigène de 21 ans vient de gagner le 400 mètres des Jeux du Commonwealth qui se déroulent au Canada, améliorant de près d’une seconde le record de la compétition.

Dans les tribunes, un homme s’insurge. Arthur Tunstall, dirigeant de la délégation australienne, prévient qu’un tel geste ne doit en aucun cas se reproduire. Mais Cathy Freeman ne l’entend pas de cette oreille. D’autant qu’elle reçoit après sa course une valise pleine de fax de soutien venus de son pays. La sprinteuse revendique haut et fort ses origines et sa filiation, sa grand-mère maternelle ayant été arrachée à sa famille pour être élevée dans une mission religieuse.

Défiant Arthur Tunstall, la jeune femme répétera son geste lors du traditionnel tour d’honneur de ces Jeux du Commonwealth. Mais cette fois-ci, elle attrape également un drapeau australien, comme pour annoncer le début d’une longue phase de réconciliation dont elle sera le symbole dans les années 2000.

 Lire aussi : En Iran, le sport pour défier le pouvoir

Éthiopie

21 août 2016 Feyisa Lilesa © Getty images via AFP

21 août 2016 Feyisa Lilesa © Getty images via AFP

Le courage

Feyisa Lilesa franchit la ligne d’arrivée du marathon des JO de Rio le 21 août 2016, en reproduisant le geste symbolique de la contestation du peuple oromo, réprimé par le régime éthiopien. Par peur des représailles, il s’exile aux États-Unis.

 

Brésil

11 décembre 1983 Aldison Alves © capture d'écran documentaire Democacia ze

11 décembre 1983 Aldison Alves © capture d'écran documentaire Democacia em preto e blanco

L’épopée corinthiane

Novembre 1981, Adilson Monteiro Alves est nommé directeur sportif des Corinthians, le club de foot de São Paulo. Le Brésil vit alors sous le joug des militaires depuis dix-sept ans. Sociologue de formation, le nouveau dirigeant de 35 ans a connu la prison pour dissidence quelques années auparavant. Le club qu’il récupère est à la peine. Afin de remobiliser ses troupes, il leur propose une expérience inédite : vivre en autogestion. Du jardinier au président, des joueurs aux cuisiniers, chaque salarié du club dispose d’une voix, et toutes les décisions sont prises collectivement, y compris lorsqu’il s’agit de redistribuer les recettes du club. Les cadres du vestiaire (1) adhèrent au modèle. Et les résultats suivent. Le club remporte deux titres de champion de l’État de São Paulo en 1982 et 1983. Cette épopée est baptisée « démocratie corinthiane ». Pas seulement pour le fonctionnement interne du club, mais aussi pour ses prises de position contre la dictature militaire brésilienne. Lors du championnat de foot de São Paulo, en 1983, les joueurs brandissent une banderole sur le terrain : « Gagner ou perdre, mais toujours en démocratie. » Et l’année suivante, Socrates, le capitaine de l’équipe, participe publiquement au mouvement « Diretas Ja » qui réclame des élections directes à la junte militaire. Il faudra attendre 1989 pour que les Brésiliens élisent enfin leur chef d’État au suffrage universel. Le candidat du Parti de la reconstruction nationale l’emporte d’une courte tête devant un certain… Luiz Inácio Lula da Silva,l’actuel président.

1– Joueurs expérimentés apportant cohésion et motivation au sein de l’équipe.

États-Unis

16 octobre 1968 Tomie Smith et John Carlos © the granger  NY Coll Chistophel

16 octobre 1968 Tommie Smith et John Carlos © the granger NY Coll Chistophel

Reprendre le flambeau

La photo de Tommie Smith et de John Carlos, poings levés sur le podium des Jeux olympiques de Mexico, a fait le tour de la planète. Mais pas sa bande-son. Rappel des faits : le 16 octobre 1968, quelques mois après l’assassinat de Martin Luther King, l’Afro-Américain Tommie Smith remporte la course du 200 mètres tandis que son concitoyen John Carlos termine à la troisième place. Le lendemain, lorsque l’hymne des États-Unis retentit pour la remise des médailles, les deux hommes se présentent en chaussettes noires pour dénoncer la pauvreté de la population afro-américaine. Détournant leur regard de la bannière étoilée, ils brandissent leur poing fermé et ganté de noir en référence au mouvement de contestation Black Power. L’Australien Peter Norman, arrivé deuxième, porte un badge « Olympic Project for Human Rights » en solidarité. Indignée, la foule hue le défi lancé par les coureurs américains à leur gouvernement devant les caméras du monde entier. Le couperet tombe. Le lendemain, le président des Jeux bannit les deux joueurs médaillés du village olympique. C’est le début des représailles : ils seront suspendus à vie de compétition sportive. Rentrés au pays, ils perdront toute chance d’obtenir un emploi, sans compter les menaces de mort. Peter Norman sera aussi empêché de participer aux JO suivants. Ce n’est qu’en 2016 que les deux ex-athlètes seront réhabilités et reçus à la Maison-Blanche par Barack Obama. La même année, d’autres joueurs reprendront le flambeau en marge d’une rencontre de présaison : comme le footballeur américain Colin Kaepernick qui met un genou au sol pendant l’hymne états-unien pour dénoncer les violences policières contre les populations noires. Il répétera ce geste symbolique, parfois imité par ses coéquipiers. Ce genou à terre lui coûte sa carrière. La star de la National Football League ne trouvera de poste nulle part, mais devient, à son tour, une figure emblématique du mouvement Black Lives Matter.

En 2020, après l’assassinat de George Floyd, son geste est repris par des policiers, des soldats de la garde nationale, des représentants du Parti démocrate, dont le candidat à la présidentielle Joe Biden, et des sportifs du monde entier.

États-Unis / Cuba

15 juin 2015 Namibia Flores © Adalberto Roque/AFP

15 juin 2015 Namibia Flores © Adalberto Roque/AFP

Saut d’obstacles

Les marathoniennes Bobbi Gibb et Katherine Switzer, aujourd’hui respectivement âgées de 81 et 77 ans, sont des pionnières subversives. En 1966, Bobbi Gibb défraie la chronique en sortant en cachette d’un buisson pour accomplir le marathon de Boston. Comme toutes les courses de fond de l’époque, l’épreuve est interdite aux femmes. Elles seraient, dit-on alors, « incapables d’un si grand effort, qui d’ailleurs risquerait de les masculiniser, voire de les rendre infertiles ». Inspirée par son aînée, Katherine Switzer réussit à s’inscrire à l’édition de 1967 en utilisant juste ses initiales. Elle y participe sans se cacher et termine la course en un peu plus de quatre heures, malgré l’agression de l’organisateur qui tente de lui ôter son dossard sur le parcours. La jeune étudiante se lancera dans une carrière de lobbyiste en faveur de l’inclusion des femmes dans le sport. Avec succès, puisqu’un premier marathon olympique féminin est organisé en 1984.

À quelques miles des États-Unis, sur l’île de Cuba, Namibia Flores est en quelque sorte la « Katherine Switzer » de la boxe. La poids plume de 48 ans fut longtemps l’unique boxeuse connue de son pays. Pourtant, malgré ses bonnes performances, la Fédération cubaine de boxe lui a toujours interdit de participer aux JO afin de prétendument protéger sa « féminité ». Sans baisser la garde, Namibia Flores a continué son combat hors du ring.

Elle a fini par mettre le comité olympique cubain KO : depuis 2022, les femmes cubaines sont autorisées à prendre part aux Jeux.

Lire aussi : Alice Milliat, la sportive française qui a conjugué l'olympisme au féminin

 

chronique CTA
Offre découverte

Découvrez La Chronique sans plus tarder : recevez un numéro "découverte" gratuit

Remplissez ce formulaire en indiquant votre adresse postale et recevez gratuitement votre premier numéro dans votre boîte aux lettres !