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Liberté d'expression

Après le 7 octobre, le déferlement de fake news contre les ONG

Après l’attaque du Hamas contre Israël, des fake news discréditant des ONG ont inondé la Toile et certains médias.

Par Michel Despratx (texte) et Marion Sellenet (illustrations).

Note de la rédaction : les illustrations ont été réalisées à partir de visages anonymes sans lien avec le sujet traité.

Trois jours après le massacre du 7 octobre, perpétré contre des Israéliens par le Hamas et des groupes armés palestiniens, le monde entier s’interroge. Quel sera le sort des 252 civils pris en otage ? Seront-ils libérés vivants ? Comment va riposter le gouvernement de Benyamin Netanyahou ? Le magazine Le Point titre alors : « Attaques terroristes en Israël : la triste dérive d’Amnesty. » L’hebdomadaire reproche à l’organisation de déplorer « des violations du droit international des deux côtés ». Trouve « honteux et inhumain de ne pas mentionner la barbarie des crimes commis par le Hamas », comme de n’avoir « aucun mot de solidarité pour les victimes juives ». L’Express embraye : « Quand Amnesty International ne sait plus nommer un chat un chat. » Le Figaro : « Quand les ONG dévoilent leur vraie nature après les massacres du 7 octobre. » Le 1er novembre, sur le plateau de la chaîne d’info LCI, la journaliste Ruth Elkrief s’assoit devant David Pujadas. Une page de notes sous la main, elle ­commence : « Je me suis rendue sur les sites de MSF [Médecins sans frontières], de l’Unicef, d’Amnesty International et du CICR [Comité international de la Croix-Rouge] : aucune trace des otages! Aucune action en leur faveur ! » Elle ajoute : « Amnesty décroche la palme : il n’y a aucune condamnation des massacres du 7 octobre. » La femme rabbin Delphine Horvilleur, l’historien Denis Peschanski et le politiste Frédéric Encel retweetent les propos de la journaliste. Mais, le jour suivant, Ruth Elkrief se représente à l’antenne. Moins véhémente que la veille. « Je voudrais revenir sur une phrase… lorsque je parlais d’Amnesty, où j’ai dit: “pas un mot sur les otages”… Elle est factuellement fausse. »  

Fausse, car le 7, mais aussi les 10, 12, 16 et 24 octobre, Amnesty International a communiqué plus d’une dizaine de fois appelant à « une libération immédiate et sans condition des otages ». Ou encore exigeant que « le Hamas réponde [devant la Cour pénale internationale] des homicides délibérés, enlèvements et attaques menées sans discernement contre des civils israéliens ». Sans compter les 20 interviews du président d’Amnesty International France de l’époque. Quasiment chaque fois, Jean-Claude Samouiller a réclamé la libération des otages israéliens et les nécessaires soins à leur apporter. Ruth Elkrief reconnaît avoir raté ces faits, mais s’en dédouane aussitôt : « Cela ne change rien à ce que j’ai appelé le silence des ONG, parce que j’ai l’expérience de véritables mobilisations d’Amnesty […] et ce n’est pas le choix qui a été fait sur cette question. » Le lendemain, 9 novembre, Arte et Libération vérifient ce « silence des ONG » affirmé par la journaliste. Verdict ? Chaque ONG citée a bien exigé la libération des otages israéliens. Et avec force. Mais le débunking [rectification] est sans effet, car le jour même, L’Express charge à nouveau : « Amnesty International : de l’Ukraine à Israël, enquête sur une dérive. » L’ONG est portraitisée en « petit télégraphiste de Poutine et du Hamas ». 

Amnesty International a exigé que « le Hamas réponde des homicides délibérés, enlèvements et attaques menées sans discernement contre des civils israéliens »

Le 24 janvier, l’hebdo de Caroline Fourest et de Raphaël Enthoven, Franc-Tireur, ajoute : « ONG au service du pire : Amnesty International, Human Rights Watch… Quand l’humanitaire fait le jeu du Hamas. » Plusieurs associations sont maintenant dans le viseur : la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH), Greenpeace. « Leurs appels à libérer les otages se font toujours attendre. » La Croix-Rouge ? Elle n’aurait pas délivré de médicaments aux otages malades. Et sur son compte planerait même ce soupçon, « difficile à vérifier », qu’elle aurait « prêté ses ambulances au Hamas pour transporter des armes et des combattants ». Amnesty International ? « L’ONG qui exprime le mieux cette dérive. » Human Rights Watch ? « Ignore l’Iran, intraitable avec Israël. » Ahmed Benchemsi, aux manettes de la communication de l’ONG, a voulu rectifier : « On a envoyé à Caroline Fourest les liens qui prouvent que tout est faux. Un employé du journal nous a ensuite expliqué au téléphone qu’elle n’avait pas eu le temps d’y répondre. » Inutiles rectificatifs : personne ne les reprend. Au contraire, dans Le Figaro, Bernard-Henri Levy relaye la désinformation. Il accuse Amnesty International de « ne pas croire » au martyre des otages du Hamas, de « ne les mentionner que dans de vagues communiqués relégués au fond de ses sites », et de ne dénoncer « que la riposte israélienne ». Le CICR, lui, aurait « ignoré ces captifs » et « dédaigné de leur rendre visite ». 

Lire aussi : Les ONG, nouvelles cibles d'attaques

Les réactions en chaîne 

Qu’elles soient avérées ou non, vérifiées ou non, ces critiques pèsent sur la réputation des ONG, mais aussi sur les permanents et les militants qui les animent. Ces derniers voient leur horizon se rétrécir. Le 5 décembre 2023, Léa, lycéenne de 17 ans, rejoint après un cours le stand d’Amnesty International qu’elle anime au lycée de Vincennes. Des inconnus ont retourné la table et barré les pétitions d’une croix du GUD [organisation étudiante d’extrême droite, aujourd’hui dissoute]. Le matin du 3 avril 2024, Jean-François Corty, alors vice-président de Médecins du monde, laisse sonner un appel masqué sur son téléphone. Quelques heures plus tard, il lit sur l’application de messagerie cryptée Telegram une description de lui : « Il s’appelle Jean-François Corty. Sur les réseaux sociaux, il passe son temps à cracher sur Israël. On a pris contact avec lui, il s’est refusé à condamner les pogroms du 7 octobre et n’a pas un mot pour nos otages. » La description est signée des activistes de la « Brigade juive », un groupe de soutien inconditionnel à Israël. Ladite brigade va jusqu’à exposer le vice-président de Médecins du monde en publiant son numéro de téléphone portable. 

Jean-François Corty reçoit alors une dizaine d’appels masqués par jour – qu’il refuse. Il insiste sur le fait que « cette Brigade ne [lui] a jamais demandé un avis sur Israël ou sur Gaza ». Il tient à rétablir la vérité : « Dans les 60 interviews que j’ai données sur le sujet, j’ai toujours dénoncé le massacre commis par le Hamas. »

À MSF, même constat et même appréhension : les salariés reçoivent des messages et des appels de donateurs déclarant : « Je vais arrêter mes dons. » 117 donateurs (sur 380 000) suspendent leurs versements à l’organisation médicale. Sur X, des milliers d’avis reprochent à MSF de ne « rien faire pour les otages ». Plus grave, le 18 décembre, Andréa Bussotti, responsable de la communication opérationnelle à MSF, tremble pour les employés en mission à Gaza. Car l’avocat et chroniqueur à Valeurs actuelles et au Figaro, Gilles-William Goldnadel, vient de relayer un tweet accusant du personnel de MSF à Gaza de « soutenir les combats du Hamas ». « Un geste irresponsable qui peut mettre en danger des gens sur place », commente Bussotti.

Ce climat de défiance, ces attaques répétées contre les ONG finissent-ils, à force, par influencer l’opinion ? Pas si sûr. C’est même parfois l’effet inverse qui se produit : « D’avril à décembre 2023, à la suite des attaques d’Élisabeth Borne et de Gérald Darmanin, on est passés de 8000 à 12000 adhérents », raconte le président de la LDH, Patrick Baudouin. Chez MSF, 6 921 nouveaux donateurs ont envoyé de l’argent, après le 7 octobre. Comme si le bashing [dénigrement systématique] des ONG des droits humains, dans les médias et l’arène politique, avait provoqué en retour un mouvement de sympathie au sein de la société. Comme si les cris poussés contre le « droit-de-l’hommisme », bruyants sur nos écrans, n’atteignaient pas les oreilles de tous les Français.

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