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URGENCE GAZA-ISRAËL

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©Marion Sellenet
Liberté d'expression

« Les droits de l’homme sont assimilés à l’échec des démocraties libérales »

Les droits humains et leurs défenseurs sont ciblés par les politiques, discrédités dans certains médias et dans l’opinion. Cette remise en cause d’une valeur autrefois universelle est-elle généralisée ?

Laurence Burgorgue-Larsen est professeure à l’École de droit de la Sorbonne (Université Paris 1). Spécialiste des questions des droits humains, de populisme, elle a également travaillé sur les offensives des ONG religieuses 1.

Laurence Burgorgue-Larsen — L’âge d’or du respect des droits de l’Homme est effectivement derrière nous. Nous sommes entrés dans une nouvelle ère : les attaques contre ces droits sont multiformes, émanant à la fois d’États autocratiques, illibéraux (2) et même démocratiques, comme aux États-Unis, au Royaume-Uni, parfois en France ou dans d’autres vieilles démocraties où ils sont attaqués de façon ponctuelle, soit par des partis au pouvoir, soit par l’opposition ; en tout état de cause, chaque fois pour des intérêts politiciens à court terme.

Comment expliquer ce revirement ?

Beaucoup d’États autoritaires en ont assez du discours sur les droits de l’Homme dispensé par le monde occidental. Les États du Sud global (3) critiquent un double discours : d’un côté, l’Occident leur impose des valeurs de respect des droits de l’Homme; de l’autre, dès qu’il s’agit de protéger ses intérêts, il les bafoue, comme en Irak, en 2004, lorsque l’armée américaine a infligé des sévices dans la prison d’Abou Ghraib; ou encore quand la France vend des avions à l’Arabie saoudite, alors que cet État exécute ses opposants, à l’instar du journaliste Jamal Khashoggi.

L’Occident aurait discrédité les droits humains en s’en servant comme arme politique ? 

Oui. Ces droits ne sont plus perçus comme discours juridique universel promu par des personnes intègres, tel René Cassin [l’un des artisans de la Déclaration universelle des droits de l’Homme]. Mais ils sont considérés comme une stratégie, cynique et hypocrite, visant à assurer la puissance de l’Ouest. Par voie de conséquence, les États du Sud global préfèrent mettre en avant leurs propres valeurs, ancrées dans leurs cultures et leurs religions. Cette réaction de défiance existe en Chine, en Turquie, en Inde… Mais aussi à l’intérieur même du camp occidental, par exemple en Pologne, où, jusqu’en décembre 2023, le gouvernement du parti Droit et justice prônait des valeurs illibérales en sélectionnant certains droits de l’Homme : « Oui au droit au logement, mais non aux droits des minorités sexuelles. » En Hongrie, en Roumanie, le discours est similaire : « Nous sommes des États chrétiens, donc, non au mariage homosexuel, au droit à l’IVG. Nous n’avons pas eu de colonies, donc, non à l’accueil des migrants… » 

Cette rupture assumée avec les droits humains existe aussi en France. Comment l’expliquer ? 

Par le désenchantement. L’après-guerre a couplé la démocratie libérale avec la protection des droits de l’Homme. Or cette démocratie, forcément imparfaite, n’a pas donné satisfaction, notamment sur la question de la justice sociale. De fait, les droits de l’Homme sont assimilés à cet échec. Et quand des populations se paupérisent, elles ne supportent plus que l’on donne des droits à « tout le monde », en particulier aux étrangers. C’est dans cette brèche que s’engouffrent les extrêmes et le populisme qu’il soit de droite ou de gauche.

Les attaques contre les défenseurs des droits humains vont-elles de pair avec la montée du populisme ?

Le leader populiste prétend représenter le peuple. Par conséquent, tous ceux qui critiquent le leader sont accusés de critiquer le peuple et n’ont plus voix au chapitre. Lorsqu’un mouvement populiste accède au pouvoir, les libertés d’expression et d’association sont violemment attaquées. On le voit en Hongrie, où les ONG libérales défendant une parole libre sont privées brutalement de financements, puis écartées. Ensuite, c’est également la séparation des pouvoirs qui est directement attaquée par la mise sous tutelle du pouvoir judiciaire par l’exécutif. À la fin, ce sont tous les contre-pouvoirs qui sont neutralisés.

Vous mettez en garde les ONG libérales et, au-delà, tous les acteurs des droits humains qui seraient également ciblés par des mouvements religieux.

Oui, et ici la question est complexe. D’un côté, il faut bien évidemment respecter et protéger la liberté de conscience et de religion, mais les ONG libérales ne doivent pas être naïves. Certains États et/ou mouvements radicaux – ceux qui utilisent la religion comme une arme politique – à travers le monde veulent imposer des valeurs religieuses en les plaçant au-­dessus du droit positif. On le voit dans des pays musulmans où la charia est située au-dessus du droit international, comme au Mali dont la responsabilité internationale a été mise en cause sur ce point par la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples. En Ouganda, des évangéliques ont réussi à convaincre le gouvernement de rendre l’homosexualité passible de la peine capitale. Aux États-Unis ou dans des pays d’Amérique latine et d’Afrique, des groupes évangéliques influents imposent leur agenda. Cette volonté d’imposer une vision du monde où la religion dicte sa loi au politique est une réalité. 

Vous avez lu notre dossier. Que penser des attaques médiatiques contre les ONG en France ?

Bien qu’il puisse être admissible de critiquer l’action des ONG – au nom de la liberté d’expression –, et de leur demander – comme à n’importe quel autre type d’acteur politique – de rendre des comptes sur leurs actions, il n’en reste pas moins que la grande famille des ONG libérales (FIDH, LDH, HRW4, Amnesty International) est la cible d’attaques inquiétantes. Dans un contexte politique et social très tendu, s’il est avéré, comme vous l’écrivez dans ce dossier, qu’après le massacre du 7 octobre des chaînes de télévision ont colporté des fake news discréditant des ONG libérales, alors le fait est gravissime. C’est surfer sur des tensions qui, au sein de la société française, ne devraient pas être exacerbées, si l’on veut faire nation, promouvoir le vivre-ensemble en dépit de nos différences sociales, d’origine ou de religion. Lorsque l’on ajoute à ces attaques l’offensive stratégique et concertée d’ONG religieuses qui, à travers le monde, font aussi la promotion d’idéaux culturels et religieux (qui peuvent rejoindre ceux défendus en France par l’empire médiatique détenu par monsieur Bolloré), alors je me dis que la protection des droits de l’Homme telle qu’on l’a connue depuis 1945 est en danger. 

1— Son dernier ouvrage : Les 3 Cours régionales des droits de l’Homme in context. La justice qui n’allait pas de soi (éd. Pedone, 2023). 2— États associant libéralisme et autorité, au-delà de l’État de droit tel qu’il a triomphé en Occident. 3— Notion géopolitique regroupant des pays ayant peu de points communs (des puissances comme la Chine ou l’Inde à des pays en grande précarité). Elle désigne une revendication, croissante et destinée à faire entendre sa voix pour un ordre international plus multipolaire. 4– Fédération internationale pour les droits humains, Ligue des droits de l’homme, Human Rights Watch.

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