Des dizaines de milliers d'enfants syriens, irakiens et ressortissants de près de 60 pays tiers sont piégés dans l’enfer du camp d'Al-Hol, le plus grand des deux principaux camps du nord-est de la Syrie, une zone contrôlée par l'administration autonome kurde. Après avoir survécu à la guerre en Syrie, ils sont abandonnés à la misère, l’insécurité et la violence.
Depuis 2019 et la fin du conflit en Syrie avec le groupe armé autoproclamé État islamique (EI), environ 60 000 personnes sont détenues dans le camp d’Al-Hol. Des personnes affiliées à des degrés divers à l’EI, mais aussi des milliers de personnes qui n’ont aucun lien avec le groupe armé et qui ont afflué simplement parce qu’elles fuyaient le conflit.
Notre recherche se base sur des entretiens avec dix travailleurs humanitaires, menés en septembre et octobre 2021.
Dans la population du camp, une majorité de femmes et d’enfants. Des enfants issus de familles originaires d’une soixantaine de pays, souvent nés en Syrie sous le régime du groupe armé se désignant sous le nom d’EI et qui n’en ont que des souvenirs d’effroi et de violence.
Leur vie a été brisée par les décisions de leurs familles. Après avoir survécu à la guerre, ils sont aujourd’hui détenus à Al-Hol dans des conditions humanitaires déplorables.
Des vies en danger
Depuis deux ans, les enfants détenus dans le camp d’Al-Hol sont privés d’un accès suffisant à la nourriture, à l’eau potable, aux soins de santé et à l’éducation. Selon un rapport récent de Save the Children, seuls 40 % des enfants du camp d'Al-Hol, âgés de 3 à 17 ans, reçoivent une éducation scolaire.
Pire, ils sont quotidiennement exposés à la misère et à l’insécurité. Soixante-dix-neuf personnes ont été tuées dans le camp cette année, dont trois enfants tués par balle. Quatorze autres enfants sont décédés au cours d’accidents divers, dont des incendies.
Ces conditions insupportables ont des répercussions notables sur la santé mentale déjà fragile des enfants
Diana Semaan, notre chercheuse au Moyen-Orient
Séparés de leur famille
Les enfants sont également soumis à une autre forme de violence : la séparation forcée avec leur mère et leurs proches.
Des garçons âgés de 12 ans à peine sont transférés seuls, principalement sur la base de la présomption générale d'une « radicalisation » potentielle des garçons, dans des centres dits de « réadaptation ». Des centres de détention où pullulent des maladies telles que la tuberculose et la gale.
Le camp est divisé en deux sections : le camp principal, qui abrite les ressortissants syriens et irakiens, et l'annexe qui abrite toutes les femmes et tous les enfants ressortissants de pays tiers. L'annexe est séparée du camp principal par des postes de contrôle.
De plus, les enfants de l'annexe âgés de plus de 2 ans ne sont pas autorisés à être accompagnés à l'hôpital par un proche lorsqu'ils doivent être transférés dans un hôpital en dehors du camp, dans le cas de rendez-vous avec des spécialistes demandés par une organisation humanitaire, après un processus long et fastidieux. Au lieu de cela, ils sont escortés par les forces de sécurité armées jusqu'à l'hôpital, et les proches ne sont pas tenus informés de l'état de santé de leurs enfants ni de l'endroit où ils se trouvent.
Privés de liberté et de soins
Car le camp d’Al-Hol est placé sous haute surveillance. Personne ne peut sortir du camp sans une autorisation préalable, même pour acheter des articles essentiels, voire vitaux. Et ces autorisations, dispensées par les Asayish, les forces de police de l'administration autonome kurde qui gèrent le camp, sont rarement accordées.
Selon les termes de la Convention relative aux droits de l’enfant de l’ONU, aucun enfant ne devrait être privé de sa liberté arbitrairement, et la détention d’un enfant doit être une mesure de dernier ressort et être d’une durée aussi brève que possible.
Même pour accéder aux soins de santé, les femmes et les enfants qui vivent dans l’annexe du camp doivent obtenir une autorisation des Asayish, franchir un poste de contrôle et faire l'objet d'une collecte de données, avant de rejoindre la zone où les humanitaires dispensent les soins.
Cette procédure oblige les femmes à se dévoiler chaque fois qu'elles franchissent le poste de contrôle et à être prises en photo, ce qui les décourage à solliciter des soins médicaux, pour elles ou leurs enfants, et entraîne parfois de graves problèmes médicaux, notamment des infections durables et de graves affections de la vue et de la santé dentaire.
Enfin, en raison du manque d'accès aux moyens de subsistance pour les adultes dans le camp et de l'accès insuffisant à des espaces sécurisés et à l'éducation, le travail des enfants est en augmentation.
Les obstacles au retour
Même lorsqu'ils obtiennent la permission de quitter le camp, les Syriens rencontrent des obstacles pour rentrer chez eux. Certains ont peur de retourner dans des zones contrôlées par le gouvernement syrien. Les femmes hésitent à rentrer sans leurs proches masculins, qui sont détenus ou ont disparu. Tandis que d'autres familles sont confrontées au rejet de l’Administration autonome de laisser partir certains de leurs membres et se retrouvent séparées.
Par ailleurs, le manque de moyen des organisations humanitaires présentes dans le nord-est de la Syrie les empêchent d’offrir des services de protection aux enfants syriens. Lorsqu’ils quittent le camp, les enfants risquent d’être victimes de traite des enfants, mariés de force ou recrutés par les forces armées. L’administration autonome kurde doit impérativement mettre en place un mécanisme clair de retour pour les enfants syriens, leurs mères ou les personnes qui les prennent en charge.
Le rapatriement : la seule chance de sortir de l’enfer
La vie de dizaines de milliers d’enfants a été brisée. Ces enfants n'ont aucune perspective d'un avenir meilleur tant qu'ils resteront détenus dans le camp d'Al-Hol.
La majorité des États occidentaux ont été réticents à s'engager pleinement dans le rapatriement de ces enfants. Pourtant, leur rapatriement est le seul moyen de les soustraire à cet environnement hostile et de leur assurer un avenir meilleur. C’est le seul moyen de garantir le droit de ces enfants à la vie, à la survie et au développement.
Les gouvernements des pays dont ils sont originaires doivent cesser de nier (ou d'ignorer) leurs obligations relatives aux droits humains et organiser leur rapatriement en urgence.
Ces gouvernement doivent également garantir le droit de l'enfant à une vie familiale et le droit de l'enfant à ne pas être séparé de ses parents ou de son tuteur contre son gré, à moins que cette séparation ne soit dans l'intérêt supérieur de l'enfant.