Le 26 janvier dernier, la Cour internationale de justice (CIJ) a rendu une décision demandant à Israël d’empêcher d’éventuels actes de « génocide » et de « prendre des mesures immédiates » pour permettre la fourniture « de l’aide humanitaire à la population civile de Gaza ». Les décisions de la CIJ sont contraignantes et sans appel, et il incombe aux États de les mettre en œuvre.
1 - Un risque de génocide reconnu
L’arrêt rendu par la CIJ, qui reconnaît le risque plausible de génocide de la population palestinienne à Gaza, constitue une étape importante qui pourrait contribuer à protéger la population palestinienne dans la bande de Gaza occupée contre de nouvelles souffrances et des préjudices irréparables.
La Cour, saisie par l’Afrique du Sud qui estime qu’Israël viole la Convention des Nations unies sur le génocide de 1948, a ordonné six mesures conservatoires. Israël doit :
➡️s’abstenir de commettre des actes entrant dans le champ d’application de la Convention sur le génocide ;
➡️prévenir l’incitation directe et publique à commettre le génocide ;
➡️punir l’incitation directe et publique à commettre le génocide ;
➡️prendre des mesures immédiates et efficaces pour permettre la fourniture de l’aide humanitaire à la population civile de Gaza ;
➡️conserver les preuves liées l’accusation de génocide ;
➡️présenter un rapport à la Cour d’ici un mois sur toutes les mesures prises conformément à cette ordonnance
Le monde ne regardera pas en silence Israël poursuivre sa campagne militaire visant à décimer la population de la bande de Gaza et déchaîner la mort, le chaos et la souffrance contre les Palestinien·ne·s à une échelle sans précédent.
Agnès Callamard, la secrétaire générale d’Amnesty International.
La décision rendue « rappelle avec force le rôle crucial du droit international s’agissant de prévenir le génocide et de protéger toutes les victimes de crimes atroces. Elle envoie un message clair : le monde ne regardera pas en silence Israël poursuivre sa campagne militaire visant à décimer la population de la bande de Gaza et déchaîner la mort, le chaos et la souffrance contre les Palestinien·ne·s à une échelle sans précédent », a déclaré Agnès Callamard, secrétaire générale d’Amnesty International.
Une plainte de l’Afrique de Sud
Le 29 décembre 2023, l’Afrique du Sud a déposé une requête affirmant que depuis les attaques menées le 7 octobre 2023 par le Hamas et d’autres groupes armés, les actes et omissions d’Israël à l’égard des Palestiniens de Gaza revêtent un caractère génocidaire. Israël violerait ses obligations aux termes de la Convention des Nations unies pour la prévention et la répression du crime de génocide de 1948.
Les 11 et 12 janvier 2024, les audiences consacrées à la demande de l’Afrique du Sud se déroulent à La Haye. Le dossier de 84 pages déposé par l’Afrique du Sud accuse Israël d’actes et d’omissions à caractère génocidaire, car commis avec l’intention spécifique requise de détruire les Palestiniens à Gaza en tant que partie du groupe national, racial et ethnique palestinien au sens large.
2 - Comment mettre en œuvre cette décision ?
« Cependant, la décision de la CIJ ne suffira pas à elle seule à mettre un terme aux atrocités et aux destructions que subissent les Gazaouis, a souligné Agnès Callamard. Au regard des signes alarmants de génocide à Gaza et du mépris flagrant d’Israël pour que cesse cette offensive, il est urgent d’exercer une pression efficace et unie sur Israël », ajoute-t-elle.
Ces mesures conservatoires indiquent que la survie des Palestinien·ne·s à Gaza est en péril et que Tel Aviv doit se conformer à cette décision sans délai.
❇️Mais alors une mesure conservatoire, c’est quoi et quel est son objectif ?
Au titre de l’article 41 de son statut, les juges de la CIJ peuvent prononcer des mesures conservatoires lorsqu’un préjudice irréparable risque d’être causé aux droits en litige dans une procédure judiciaire. Ce pouvoir de la Cour d’indiquer des mesures de ce type ne sera exercé que s’il y a urgence, c’est-à-dire qu’il existe un risque réel et imminent qu’un préjudice irréparable ne soit causé aux droits en litige avant que la Cour n’a rendu sa décision définitive. (cf. Affaire du Plateau Continental de la Mer Égée (Grèce c. Turquie), CIJ, Ordonnance, 11 sept 1976).
LA CIJ c'est quoi ?
La Cour internationale de justice (CIJ) est le principal organe judiciaire des Nations unies, mis en place par sa Charte. Elle ne cherche pas à établir des responsabilités pénales individuelles ; son rôle consiste notamment à connaître des litiges d’ordre juridique que les États ou des organisations internationales lui soumettent, relatif à l’interprétation, l’application ou la mise en œuvre de traités internationaux comme, dans le cas présent, la Convention sur le génocide. Elle peut également être saisie par les organes des Nations unies pour donner un avis consultatif.
L’article 94 de la Charte des Nations unies dispose que les arrêts de la CIJ sont contraignants pour les parties au litige et que, s’ils ne sont pas exécutés, l’autre partie peut recourir au Conseil de sécurité, l’organe exécutif qui peut faire des recommandations ou décider de mesures à prendre pour faire exécuter l’arrêt.
A quoi sert la Cour Internationale de Justice ?
Si Israël doit prévenir un génocide, tous les États doivent manifester leur respect de la décision juridiquement contraignante de la Cour et faire tout ce qui est en leur pouvoir pour s’acquitter de leur obligation de prévenir le génocide. C’est pourquoi nous les exhortons à instaurer un embargo total sur les armes à l’encontre d’Israël et des groupes armés palestiniens.
« Les dirigeants des États-Unis, du Royaume-Uni, de l’Allemagne, et d’autres États membres de l’Union européenne doivent manifester leur respect de la décision juridiquement contraignante de la Cour et faire tout ce qui est en leur pouvoir pour s’acquitter de leur obligation de prévenir le génocide. Dans le cas contraire, cela sapera fortement la crédibilité et la confiance dans l’ordre juridique international », prévient notre secrétaire générale Agnès Callamard.
Mais quelques jours seulement après l’arrêt de la CIJ, au moins 11 pays donateurs (dont les États-Unis, le Royaume-Uni et l’Allemagne) de l’agence de l’ONU pour les réfugiés palestinien·ne·s (UNRWA), qui est au cœur de l’aide humanitaire pour les Palestinien·ne·s dans la région, ont suspendu leurs financements à la suite d’allégations selon lesquelles des membres de son personnel sont impliqués dans les attaques du 7 octobre 2023 par le Hamas.
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Une décision qui risque de porter un coup dévastateur à plus de 2 millions de réfugié·e·s de la bande de Gaza occupée. Des allégations sérieuses qui doivent faire l’objet d’une enquête indépendante.
« Il est profondément choquant, inhumain à vrai dire, que plusieurs gouvernements aient pris des décisions qui vont aggraver les souffrances de deux millions de Palestinien·ne·s déjà confrontés au risque d’un génocide et d’une famine artificielle, quelques jours seulement après que l’arrêt rendu par la Cour internationale de justice a conclu que la survie des Palestinien·ne·s de Gaza était menacée », s’est indignée Agnès Callamard alors Israël continue de bafouer de manière flagrante ses obligations à l’égard des réfugié·e·s de Gaza et dans le reste des territoires occupés.
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Six choses à savoir sur la Cour pénale internationale
Selon la Convention contre le génocide, tous les États doivent prendre des mesures concrètes et effectives pour prévenir le risque de génocide. Cette décision, qui reconnaît clairement le « risque de génocide », implique donc que tous les États parties à cette Convention comme la France sont juridiquement tenus de prévenir un potentiel génocide.
La Norvège, l’Espagne, l’Irlande et la Belgique font partie des États ayant annoncé qu’ils ne suspendraient pas leur financement, reconnaissant le rôle vital que l’UNRWA continue de jouer dans la distribution de l’aide humanitaire à celles et ceux qui en ont désespérément besoin.
Nous avons le devoir de veiller à ce que les mesures de la CIJ soient mises en œuvre, y compris celles qui ordonnent à Israël de prendre des mesures immédiates et efficaces pour garantir l’octroi d’une assistance humanitaire aux civil·e·s palestiniens de Gaza, étape essentielle pour prévenir un génocide et d’autres préjudices irréparables.
3 - Et après ?
D’après la décision de la Cour, l’état hébreu est tenu de soumettre à la Cour un rapport sur toutes les mesures prises pour se conformer à décision de la CIJ, dans un délai d’un mois à compter de son adoption. De plus, la Cour va examiner en détail le bien-fondé de l’affaire, un processus qui pourrait prendre plus de temps.
En 2019, la Gambie avait saisi la CIJ, exactement de la même façon que l’Afrique du Sud aujourd'hui, à l’encontre du Myanmar et concernant le crime de génocide à l’encontre des Rohingya, une minorité musulmane du sud-ouest du pays. La Cour avait alors ordonné au Myanmar des mesures d’urgence pour protéger les Rohingya. En 2022, le Conseil de sécurité de l’ONU avait adopté une résolution demandant enfin la fin des violences et la libération immédiate de toutes les personnes détenues arbitrairement.
Chiffres clés
Au moins 26 422 Palestinien.ne.s ont été tué·es à Gaza.
1 200 personnes au moins ont été tuées, majoritairement des civils, lors de l’attaque du Hamas du 7 octobre 2023.
Plus de 10 000 seraient toujours portées disparues, sous les décombres.
1,9 million de personnes ont été déplacées de force à Gaza.
NOS DEMANDES
🔴 Un cessez-le-feu immédiat et durable dans la bande de Gaza
🔴 Un embargo total sur les armes à l’encontre d’Israël et des groupes armés palestiniens
🔴 Israël et tous les États doivent se conformer à l’arrêt rendu par la CIJ
🔴 Israël doit lever le siège illégal et inhumain
🔴 Israël doit autoriser l’acheminement sans entrave de l’aide humanitaire
🔴 Nous exhortons le Hamas et les autres groupes armés palestiniens à libérer tous les otages encore captifs, qu’ils soient civils ou militaires.
Signez notre pétition !
Demandez à Emmanuel Macron d’appeler à un cessez-le-feu immédiat de toutes les parties afin de mettre fin aux crimes de guerre, de protéger les civil·es et de faire en sorte que l’aide humanitaire puisse parvenir à Gaza.