Les talibans ont tué six Hazaras lors d’une attaque délibérée contre cette minorité ethnique. Cette attaque s’inscrit dans le cadre d’une politique d’assassinats ciblés des minorités ethniques et des membres de l’ancien gouvernement afghan. Notre enquête.
À retenir :
Six personnes tuées lors d’un raid nocturne dans une maison familiale dans la province du Ghor, dont une adolescente de 12 ans.
Les meurtres perpétrés par les talibans s’inscrivent dans le cadre d’une pratique faite d’attaques contre les minorités ethniques et les anciens membres des forces de sécurité.
Le 26 juin, les talibans ont arrêté et exécuté illégalement quatre hommes lors d’un raid nocturne visant à localiser un ancien responsable des forces de sécurité. La dépouille de l’un d’entre eux présentait des signes de torture. Une femme et une fille de 12 ans ont également été tuées lors de cette opération. Ces morts violentes prouvent une nouvelle fois que les talibans continuent de persécuter, de torturer et d'exécuter de manière extrajudiciaire les Hazaras.
Nous avons recensé des cas similaires d’exécutions extrajudiciaires d’Hazaras dans la province de Ghazni en juillet 2021 et dans celle de Daykundi en août 2021. Alors qu’ils ont promis publiquement de ne pas s’en prendre aux anciens responsables du gouvernement, les talibans n’ont toujours pas mené d’enquêtes ni engagé de poursuites pour ces homicides.
Toute une famille Hazara ciblée
Dans la nuit du 26 juin, les forces talibanes ont effectué une descente au domicile de Mohamad Muradi, Hazara et responsable des forces de sécurité sous l’ancien gouvernement, qui avait déjà dirigé la force du Programme de soulèvement populaire – une milice locale – contre les talibans en 2020 et 2021.
Mohamad Muradi était récemment rentré chez lui à Chahar Asyab, dans le district de Lal wa Sarjangal, dans la province du Ghor, après avoir tenté en vain de fuir en Iran, puis s'être caché dans d'autres villes du pays. À l’instar de nombreuses personnes s’étant opposées aux talibans, il avait refusé l'offre d'une « lettre d'amnistie » personnalisée – souvent délivrée à d'anciens responsables de la sécurité et du gouvernement, leur permettant de rentrer chez eux en échange de la promesse de déposer les armes – par crainte de représailles.
Selon des témoins, la nuit de l'attaque, les talibans ont tiré au fusil et à la grenade propulsée par fusée sur le domicile de Mohamad Muradi. Taj Gul Muradi, sa fille de 22 ans, qui avait étudié la médecine et dispensait des soins au sein de la communauté, a été tuée. Mohamad Muradi a été blessé, ainsi que deux autres de ses enfants, un fils et sa fille de 12 ans. Grièvement blessée au ventre, elle est décédée le lendemain.
Blessé à la jambe gauche, Mohamad Muradi s'est rendu aux forces talibanes grâce à l’intervention d’anciens du quartier. Cependant, les talibans l'ont ensuite traîné hors de chez lui et l'ont abattu. Sur les photos, on voit que le devant de sa chemise est abîmé, indiquant une probable blessure à la poitrine, et on distingue une plaie de sortie au front.
Sur les photos et les vidéos examinées, les dégâts sur sa maison correspondent aux témoignages. Ces images ont été géolocalisées grâce à l’analyse d’éléments visibles – notamment la végétation, les trottoirs à proximité et la disposition des bâtiments – et d’images satellite.
Victimes d’exécutions extrajudiciaires
Trois autres hommes qui avaient séjourné au domicile de Mohamad Muradi ont été arrêtés, puis exécutés de manière extrajudiciaire. Deux d'entre eux, tout comme Mohamad Muradi, avaient été membres de la force du Programme de soulèvement populaire, mais aucun n'avait pris part aux combats avec la milice depuis un certain temps.
Ghulam Haider Mohammadi, le neveu de Mohamad Muradi, était en visite chez des proches. Des photos de son corps indiquent qu'il a été exécuté d'au moins une balle dans la tête, alors qu’il était agenouillé et avait les mains liées dans le dos. Des habitants ont retrouvé sa dépouille à environ 50 mètres de la maison de Mohamad Muradi, abandonné entre des rochers dans une zone boisée.
Selon des témoins, les deux autres victimes – Asif Rezayee et Arif Sangaree – ont été emmenées à bord d’un véhicule et tuées dans un autre endroit. Leurs corps ont par la suite été retrouvés dans une partie inhabitée de Takeghal, à plus de 30 minutes de route du lieu où ils ont été arrêtés.
Installé à Kaboul, Asif Rezayee était retourné dans son village natal quelques jours auparavant pour rendre visite à des proches. Il a été exécuté par balle alors qu'il avait les mains menottées derrière le dos. Des photos et une vidéo de son corps montrent quatre blessures par balle distinctes, à la tête, à la poitrine, à la cuisse droite et à la main gauche. D'après la nature des blessures, la trajectoire manifeste des balles et les traces de poudre, les blessures à la jambe et à la main ont été infligées à bout portant avant l'exécution. Le fait d'infliger intentionnellement une telle douleur à un détenu ligoté constitue un acte de torture, un crime au regard du droit international.
Des photos, publiées sur Facebook par les talibans, indiquent qu'Arif Sangaree a également été exécuté alors qu'il était ligoté et détenu, d’au moins une balle à bout portant dans la tête.
Les sources d'information talibanes qui ont diffusé l'image du corps d'Arif Sangeree ont qualifié le raid nocturne d’« opération ciblée », qui a culminé avec un combat entre « rebelles » et « moudjahidin », ou talibans. D’après ce compte, le bilan fait état de sept rebelles tués, détenus et blessés, et d’un mort et de deux blessés parmi les talibans.
Nos demandes
Les talibans doivent immédiatement mettre un terme à cette pratique cruelle d’homicides ciblés et, en tant qu’autorités de facto, assurer la protection de toute la population afghane.
Ils doivent enquêter sur ces meurtres et veiller à ce que les responsables présumés soient poursuivis conformément aux obligations et aux normes internationales relatives aux droits humains. Si les autorités de facto ne peuvent pas rendre justice, le procureur de la Cour pénale internationale doit diligenter des enquêtes exhaustives sur tous les cas d'exécutions extrajudiciaires.
En outre, à l'instar du rapporteur spécial des Nations unies sur la situation des droits de l'homme en Afghanistan, nous demandons la création d'un mécanisme indépendant d’obligation de rendre des comptes en Afghanistan.
Notre méthode d’enquête
Nous avons mené huit entretiens à distance, notamment avec des témoins de l'attaque de juin 2022, analysé 38 photos et trois vidéos prises au lendemain des faits, consulté un médecin légiste pour examiner les images des corps et étudié des images satellite de la zone afin de confirmer le site de l'un des meurtres.
Plusieurs photos analysées ont été publiées en ligne par des médias talibans, dont le bureau des médias du gouverneur de la province du Ghor, qui a supprimé le message peu après.