La reprise des combats dans l’Est de la République démocratique du Congo (RDC) suscite une vive inquiétude quant à la sécurité des populations civiles. Des milliers de personnes fuient la région, notamment la ville de Goma, théâtre d’intenses affrontements. Nous appelons à une protection urgente des populations civiles et un accès humanitaire sans entrave.
Le groupe armé M23 assure avoir pris le contrôle de Goma, dans le nord Kivu. La situation est extrêmement instable dans la troisième plus grande ville du pays. Des explosions et des tirs persistants sont signalés. Des journalistes sur place et des informations sur les réseaux sociaux font également état de pillages et d’attaques contre la population.
Des milliers de civils congolais fuient à nouveau pour rester en vie et ont désespérément besoin de sécurité et d’aide humanitaire. La protection des civils dans ce contexte de violences destructrices doit être la priorité de toutes les parties en conflit.
Tigere Chagutah, directeur régional pour l’Afrique de l’Est et l’Afrique australe
Un conflit marqué par des violations des droits humains
L’histoire récente de la région montre que les conflits dans l’Est de la RDC ont souvent été accompagnés de graves violations des droits humains, notamment des homicides de civils, des violences sexuelles et des attaques ciblant les défenseurs des droits humains, et des journalistes critiques. Ces exactions, si elles sont commises dans le cadre du conflit armé actuel, pourraient constituer des crimes de guerre.
Les organisations humanitaires alertent par ailleurs sur l’ampleur de la crise humanitaire :
🚩 Plus de 400 000 personnes ont été déplacées en janvier 2025 en raison du conflit qui secoue la région. (Source : Médecins Sans Frontières). Nombre d’entre elles avaient cherché à se réfugier dans la troisième ville du pays.
🚩Goma abritait déjà plus de 600 000 personnes déplacées
Des risques identifiés
Les civils sont confrontés à un risque grave de violations des droits humains dans cette nouvelle escalade de la violence. Les deux camps ont intensifié leur recours aux armes explosives dans des zones densément peuplées, causant des conséquences dévastatrices pour la population.
Eviter une catastrophe humanitaire d’ampleur
Nous demandons aux parties au conflit :
de ne pas utiliser d’armes explosives à large rayon d’impact dans des zones civiles, notamment dans les camps de personnes déplacées
d’assurer la sécurité des civil·e·s, y compris des défenseur·e·s des droits humains et des journalistes
de permettre un passage sûr aux personnes fuyant les combats et faciliter l’accès humanitaire sans restriction
Nous appelons la communauté internationale et les partenaires régionaux de la RDC
à exercer des pressions sur toutes les parties au conflit, y compris les combattants du M23 soutenus par le Rwanda, les forces armées rwandaises et congolaises ainsi que leurs alliés, afin qu’ils garantissent la protection des civil·e·s et respectent le droit international humanitaire.
Nous condamnons par ailleurs la décision du M23 de suspendre toutes les activités sur le lac Kivu, entravant ainsi les déplacements des populations en quête de refuge. Certaines infrastructures essentielles de Goma, notamment l’accès à l’eau et à l’électricité, ont été gravement endommagées, plongeant la ville dans une situation critique.
Des milliers de personnes à Goma et dans les environs ont besoin de toute urgence d’un abri, de nourriture, d’eau potable et de soins médicaux. Toutes les parties au conflit doivent garantir un accès humanitaire sans entraves et sûr à l’aide d’urgence.
Tigere Chagutah, directeur régional pour l’Afrique de l’Est et l’Afrique australe.
Le 18 janvier 2025, le groupe armé M23, avec l’appui des forces rwandaises, lance une opération militaire afin d’étendre son territoire, violant l’accord de cessez-le-feu conclu entre le Rwanda et la RDC dans le cadre du processus de paix de Luanda.
Le 21 janvier 2025, le M23 affirme s’être emparé de plusieurs villes, dont celle de Minova, carrefour stratégique du point de vue de l’approvisionnement ; située dans la province du Sud-Kivu, à une quarantaine de kilomètres de Goma, sur l’autre rive du lac Kivu.
Le 24 janvier 2025, de violents combats sont signalés près de Sake, à plus de 20 kilomètres au nord-ouest de Goma, où les Forces armées de la République démocratique du Congo (FARDC), soutenues par la Mission de la Communauté de développement de l’Afrique australe en RDC (SAMIRDRC), les forces de l’ONU (Mission de l’ONU pour la stabilisation en République démocratique du Congo, MONUSCO) et une coalition de milices, cherchent à stopper l’avancée du M23 vers Goma. Le même jour, un porte-parole du M23, ainsi que des médias rwandais, annoncent que le gouverneur militaire du Nord-Kivu, le général Peter Cirimwami, a été abattu alors qu’il rendait visite aux soldats sur la ligne de front près de Sake. Les autorités congolaises ont par la suite confirmé sa mort.
Le 25 janvier 2025, Selon la Force nationale de défense sud-africaine (SANDF) annonce que neuf soldats sud-africains déployés sous l’égide de la SAMIRDRC et des forces de l’ONU ont été tués lors des combats. Les autorités du Malawi signalent également la mort de trois de leurs soldats servant dans la SAMIRDRC.
Le 26 janvier 2025, le Conseil de sécurité de l’ONU se réuni afin d’évaluer la situation dans le Nord-Kivu. Le lendemain, les rebelles du M23 déclarent avoir pris le contrôle de Goma. Dans sa déclaration, le Conseil de sécurité condamne les avancées du M23 dans le Nord-Kivu et appelle le groupe armé à mettre un terme à son offensive car elle a donné lieu à une crise humanitaire majeure. L’ONU appelle à protéger la population civile, demande le retrait des forces extérieures à la RDC et réaffirme la souveraineté de la RDC. Les décisions du Conseil de sécurité doivent être respectées et mises en œuvre par toutes les parties.
Le groupe M23, soutenu par le Rwanda d’après l’ONU, affirme se battre pour l’application d’accords politiques conclus avec le gouvernement congolais, qui prévoyaient un retour en toute sécurité des réfugié·e·s tutsis congolais qui se trouvent au Rwanda depuis 20 ans. Il se bat également contre les Forces Démocratiques de Libération du Rwanda (FDLR), un groupe armé rebelle rwandais créé dans l’est de la RDC après le génocide de 1994 au Rwanda.
Le Mouvement du 23 mars (M23) n’est que le dernier en date d’une succession de groupes rebelles soutenus par le Rwanda prétendant défendre les droits de la population tutsie congolaise. Créé en 2012 par des insurgés de l’armée congolaise avec le soutien des autorités rwandaises et ougandaises, d’après l’ONU, le groupe avait essuyé une défaite militaire en 2013. Il a refait surface en novembre 2021 et a très vite pris le contrôle de vastes zones de la province du Nord-Kivu, se livrant à de graves atteintes aux droits humains et forçant plus de 800 000 personnes à fuir leur domicile.
Par l’intermédiaire du Processus de Nairobi, dirigé par la Communauté d’Afrique de l’Est, et du Processus de Luanda, mené sous l’égide de la Conférence internationale sur la région des Grands Lacs, des dirigeants régionaux ont appelé tous les groupes armés, y compris le M23, à déposer les armes et à résoudre leurs différends avec les autorités de RDC par le dialogue. En janvier 2023, le M23 a commencé à se retirer de certaines zones, tout en continuant de se battre dans d’autres zones. Au cours du mois dernier, le M23 semble avoir suspendu son offensive et avoir quitté certaines zones que le groupe occupait, permettant ainsi la réouverture de routes clefs et le retour progressif des personnes déplacées.
Le coltan et les racines d’un conflit
L’est de la RDC est en proie depuis plusieurs décennies à une instabilité permanente, avec la présence de nombreux groupes armés – souvent sous le contrôle de puissances régionales - qui s’affrontent pour le contrôle de zones riches en matières premières. Le drame de cette région, c’est en effet qu’elle regorge de ressources naturelles, et surtout de terres rares, de lithium ou de cobalt, ces ingrédients nécessaires à la production de matériels électroniques complexes ou de batteries pour véhicules électriques. Le Coltan, notamment, est un minerai noir contenant du tantale, qui est extrêmement recherché pour l’industrie aérospatiale ou celle des conducteurs, nécessaires pour produire nos smartphones, ordinateurs portables ou autres tablettes. Or 80% des réserves mondiales de Coltan se trouvent dans cette région.
Ces affrontements, qui dégénèrent le plus souvent en pillages, massacres, ou encore viols systématiques, ont été à l’origine de deux guerres dites « du Congo » (1996-1997, et 1998-2023) extrêmement meurtrières impliquant des Etats voisins comme le Rwanda ou l’Ouganda, qui convoitent eux aussi ces richesses. Mais si ces guerres se sont terminées, la paix, elle n’est jamais totalement revenue dans la région. Depuis les années 90, selon les Nations unies, au moins 6 millions de Congolais sont morts (pas forcément en raison des tueries, mais également de maladies, de blessures, des suites des viols, et des conditions précaires d’existence liées aux combats) et 4 millions au moins ont été déplacés, dans l’indifférence quasi-générale ou presque de la communauté internationale. Une mission de l’ONU (Monusco) a bien été mise en place, mais qui n’a ni les moyens ni le mandat nécessaire pour protéger les populations civiles dans ce territoire immense. Sa présence a été remise en cause par le pouvoir central de Kinshasa et une partie de la Monusco a dû se retirer en juillet dernier de la zone du Sud-Kivu, où s’étend désormais la rébellion du M23/AFC.
En savoir plus sur l’origine d’un conflit qui dure depuis des décennies :
Pourquoi la République démocratique du Congo est-elle ravagée par les conflits ?
La situation des droits humains en République démocratique du Congo en 2023 et 2024
Les reportages publiés par notre magazine La Chronique :
« Il n’y a pas de bons et de méchants facilement identifiables »