L'été 2020 a donné lieu à de nouvelles vagues de manifestations dans le monde entier, tant dans des villes et des pays déjà agités de troubles que dans des zones peu habituées à des mouvements d’une telle envergure.
Dans nombre de ces manifestations, les policiers ont réagi par un recours excessif à la force. Des images filmées sur place, y compris dans des lieux encore peu étudiés par les chercheurs s’appuyant sur des informations disponibles en libre accès, ont permis d'étudier et d'analyser les armes utilisées par les forces de sécurité et d’enrichir notre bibliothèque numérique.
Certaines des armes employées correspondaient à d'anciens modèles. Les manifestations ont repris au Liban suite à l'explosion de plus de 2 500 tonnes de nitrate d'ammonium survenue dans un entrepôt portuaire de Beyrouth, faisant d’importants dégâts et renforçant le mécontentement de la population à l’égard du gouvernement. Comme nous avons pu le démontrer, les forces de sécurité ont riposté avec des grenades lacrymogènes, dont la plupart avaient été fabriquées par l’entreprise française SAE Alsetex.
Grenades lacrymogènes SAE de calibre 56 mm © Amnesty International
Il n’y a rien de surprenant à cela. La France exporte régulièrement du matériel de maintien de l’ordre vers ses anciens mandats et colonies. Par exemple, cette année, en Côte d’Ivoire, la police a utilisé des lance-grenades suisses B&T GL06 pour tirer du gaz lacrymogène français sur des manifestants .
La France figure parmi les grands exportateurs de gaz lacrymogène et la manière dont elle pratique le commerce des armes illustre bien le rôle que jouent les relations historiques. Ces liens peuvent être déterminants et expliquer pourquoi, par exemple, au Bélarus, la police utilise du matériel russe pour tenter d'étouffer les manifestations à Minsk. Ces officiers du groupe Alpha du Comité de la sécurité d'État sont équipés de grenades incapacitantes rouges SV-1319, et l'officier qui se trouve tout à droite de l’image est armé d'un lance-grenades russe GM-94.
© Getty
Le GM-94 tire des grenades VGM-93 de calibre 43 mm, telles que les grenades de gaz lacrymogène 93.200 ci-dessous (entourées en rouge). Cette photo, prise par des chercheurs d'Amnesty International à Minsk, montre d'autres types de munitions de fusil de chasse à létalité réduite utilisées par la police au Bélarus, notamment différents projectiles à impact cinétique et des balles en caoutchouc « à l'ancienne » de ТЕХКРИМ et d'Azot. Fait intéressant, nous constatons également la présence de balles à blanc de 7,62 mm, qui ont dû être tirées au moyen de fusils de type AK. Il est très rare que nous observions des éléments indiquant que la police utilise des balles à blanc pour effrayer les manifestants. Lorsque les agents ont recours à leurs fusils, c’est presque toujours afin de tirer des munitions « réelles ».
© Amnesty International
Le Liban a des liens historiques avec la France, tout comme le Bélarus avec la Russie mais ceux-ci ne sont pas forcément toujours décisifs. Par exemple, sur la photo ci-dessus, plusieurs officiers du groupe Alpha sont également équipés de fusils de chasse italiens FABARM et Benelli, employés par les forces de police du monde entier.
Lors des manifestations survenues cet été à Belgrade, en Serbie, nous n’avons pas vu d’armes russes, comme on aurait pu s’y attendre, mais plutôt des lance-grenades chinois : en l’occurrence, un NARG 38 depuis le 10 juillet.
Manifestation à Belgrade, le 10 juillet © Reuters
De même, alors qu'en Guinée nous constatons souvent l’usage de matériel français, en février 2020, la police de Conakry avait recours à des NARG 38 chinois.
© Getty
Même constat en Tunisie, où l'on a été témoin de l’usage de grenades espagnoles Falken FC-822M à Tataouine en juin, en lieu et place de matériel français.
Cependant, le gaz lacrymogène utilisé par les forces de police est parfois produit localement. Au Venezuela, c’est l’armurier d'État Cavim qui fournit les grenades lacrymogènes utilisées contre les manifestants. Lors des manifestations du mouvement Black Lives Matter aux États-Unis, la police a massivement fait usage de produits américains, en particulier ceux de Combined Tactical Systems et Defense Technology (une filiale de Safariland).
C’est au cours de ce même été que de nombreux Américains ont pour la première fois entendu parler de billes au poivre. Les manifestations qui ont gagné tout le pays en mai et juin étaient marquées par leur ampleur, non seulement d’un point de vue géographique, mais aussi par la grande variété d'armes à létalité réduite utilisées par la police, y compris des grenades Stinger, des projectiles à impact cinétique et, effectivement, des billes au poivre.
Les industriels du secteur de la défense élaborent constamment de nouveaux produits pour développer leurs activités : quelle nouveauté succédera aux billes au poivre ? À suivre...
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