Après avoir été détenu arbitrairement pendant dix mois, l'avocat franco-palestinien Salah Hamouri a été expulsé illégalement du territoire où il est né et a grandi par les autorités israéliennes vers la France. A Paris, il a retrouvé sa famille, mais ne reverra sans doute plus jamais sa terre natale, Jérusalem-Est. Son expulsion crée un dangereux précédent et pourrait constituer un crime de guerre. Cela traduit un objectif politique de long terme des autorités israéliennes, à savoir réduire la présence des Palestinien·ne·s à Jérusalem-Est.
Si vous pensez qu’il faut avoir été déclaré coupable pour aller en prison, cette histoire va vous convaincre du contraire. Cette histoire, c’est celle de Salah Hamouri, un avocat franco-palestinien qui travaille pour Addameer, une ONG de défense des prisonniers politiques palestiniens. Depuis 20 ans, les autorités israéliennes le harcèlent. Sa première arrestation, il l’a vécue à tout juste 16 ans. A 37 ans, il a déjà été arrêté six fois et a passé des années en détention sans aucune preuve.
Depuis sa détention en mars 2022, aucun motif ne lui ait été signifié. Aucune preuve, aucun élément matériel n’a été porté à sa connaissance, malgré les demandes de ses avocats.
Nathalie Godard, Directrice de l’Action à Amnesty Internationale France
De mars à décembre 2022, il a été détenu arbitrairement par les autorités israéliennes, sans savoir de quoi il était accusé, ni quand il serait libéré. De nombreux collectifs, politiques et organisations de la société civile se sont mobilisés pour demander le respect de ses droits.
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Salah Hamouri a dénoncé à plusieurs reprises ses conditions de détention : en écrivant à Emmanuel Macron en juillet et en entamant une grève de la faim en septembre. Au lieu d’entendre ses revendications légitimes, les autorités israéliennes l’ont transféré dans une prison de haute-sécurité dans le premier cas et placé à l’isolement dans le second.
Que s'est-il passé pour Salah Hamouri ?
Fin 2021, Salah Hamouri s’est vu notifier un retrait de sa carte de résident permanent lui permettant de vivre à Jérusalem et de circuler sur le territoire israélien. Salah Hamouri a fait appel de cette décision. Ce Jugement, qui devait initialement se dérouler devant la Cour Suprême le 6 février 2023, n’aura finalement pas lieu. Les autorités israéliennes ont décidé de supprimer cette audience et ont exprimé leur volonté de l’expulser du territoire.
Le 29 novembre 2022, Salah Hamouri a été informé par les autorités israéliennes qu’il allait être expulsé vers la France dimanche 4 décembre (date d’expiration de son ordre de détention administrative). On s'est mobilisé aux côtés d'autres organisations de la société civile et des proches de Salah Hamouri pour empêcher son expulsion, en demandant notamment aux autorités françaises d’agir contre celle-ci. Cette mobilisation a poussé la diplomatie française à s'exprimer publiquement sur le sujet pour demander aux autorités israéliennes de respecter les droits de cet avocat.
Le 18 décembre 2022, Salah a finalement été expulsé du territoire où il est né et a grandi. En fin de matinée, il a atterri sur le tarmac de l'aéroport Roissy-Charles de Gaulle à Paris. Nous étions là pour l'accueillir aux côtés de ses proches, de collectifs, de journalistes et de politiques.
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Le visage grave, marqué par ses dix mois d’emprisonnement, Salah a déclaré : « Je suis leur cible depuis plus de vingt ans. Ils voulaient me déporter vers la France depuis 2005. J’ai toujours refusé. Ils m’ont contraint à partir. De force. C’est pour faire un exemple pour montrer aux jeunes générations ce qui attend ceux qui veulent leur résister ».
« La première étape sera de se retrouver, il y a du temps à rattraper en famille. La voix de Salah ne va pas s’éteindre avec cet exil forcé », a indiqué de son côté son épouse, Elsa Lefort, à l’AFP.
L’avocat franco-palestinien Salah Hamouri lors de son arrivée à l’aéroport Charles de Gaulle, dimanche 18 décembre 2022. Il retrouve sa femme et ses enfants, mais ne reverra sans doute jamais sa terre natale, Jérusalem-Est. Nous sommes là pour l’accueillir. © Gregory Bianchi-Perla
Une expulsion illégale et dangereuse
L'expulsion de Salah Hamouri a eu lieu sans autre forme de procès, alors même qu'une audience devant fixer sa date était prévue le 1er janvier. Elle est illégale. En effet, l'expulsion des territoires palestiniens occupés constitue une grave violation de la Quatrième Convention de Genève et un crime de guerre.
Par ailleurs, cette expulsion établit un dangereux précédent. Elle se fonde sur un amendement à la loi qui autorise le ministère israélien de l’intérieur à expulser les résidents permanents (statut juridique de la majorité des Palestiniens de Jérusalem) si leur« manquement » à l’allégeance à l’État d’Israël est reconnu. Cette mesure entre en contradiction avec le droit international : l’allégeance à la puissance occupante de la part de la population occupée n’est pas requise.
Aujourd'hui, nous appelons les autorités israéliennes à revenir sur cette décision, en autorisant Salah Hamouri à revenir travailler dans son pays, et vivre sur sa terre natale avec sa famille.
Comme Salah Hamouri, le peuple palestinien est privé de ses libertés et droits fondamentaux
Pourquoi cet acharnement contre Salah Hamouri ? Parce que les autorités israéliennes tentent de le réduire au silence comme toutes les voix dissidentes qui se prononcent contre la politique discriminatoire menée par les autorités israéliennes.
Son histoire s’inscrit donc dans un contexte répressif plus large. Un système d’oppression et de domination que les autorités israéliennes ont créées pour étouffer les revendications du peuple palestinien. Ce système a un nom : l’apartheid. Après un long travail de recherche de quatre ans, nous l’avons documenté dans un rapport publié en février 2022.
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Nous y démontrons notamment comment des lois et des politiques ont été mises en place pour discriminer les Palestiniens et les Palestiniennes sur tous les plans : économique, politique, social, culturel…
Salah Hamouri est un symbole de la répression contre les membres de la société civile et du système d’Apartheid
Nathalie Godard, Directrice de l’Action à Amnesty Internationale France
Aujourd’hui, nous dénonçons l'illégalité de l'expulsion de Salah Hamouri, mais nous dénonçons également avec fermeté le système d’apartheid à l’encontre du peuple palestinien dans son ensemble.
STOP À L’APARTHEID CONTRE LES PALESTINIENS !
Ségrégation territoriale et restrictions de mouvement, saisies massives de biens fonciers et immobiliers, expulsions forcées, détentions arbitraires, tortures, homicides illégaux… Signez la pétition et demandez au Premier ministre Yaïr Lapid de mettre fin immédiatement aux démolitions et aux expulsions forcées.
Des avancées institutionnelles
Depuis la détention de Salah Hamouri en mars 2022, nous nous sommes mobilisés partout en France aux côtés d’Elsa Lefort, l’épouse de Salah Hamouri : événements militants, conférence de presse, interpellation de parlementaires, actions en ligne. Grâce à cette mobilisation, les pouvoirs publics ont réagi.
Fin août 2022, Emmanuel Macron s’est entretenu avec le Premier ministre israélien Yaïr Lapid et a demandé des nouvelles de Salah Hamouri. Une nouvelle importante : c’était la première fois que l’Elysée s’exprimait publiquement sur le cas de l’avocat franco-palestinien. La ministre des Affaires étrangères, Catherine Colonna, a également dit être mobilisée pour les droits de Salah Hamouri et pour “qu’il bénéficie de toutes les voies de recours".
Salah Hamouri doit pouvoir mener une vie normale à Jérusalem, où il est né et où il réside, et son épouse et ses enfants doivent pouvoir s’y rendre
Catherine Colonna, ministre des Affaires étrangères en France
Au niveau international, des experts de l’ONU ont également condamné les mesures punitives “sadiques” prises par Israël contre Salah Hamouri.
Francesca Albanese, la Rapporteure spéciale sur la situation des droits de l’homme dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967 et d’autres experts de l’ONU ont d’ailleurs déclaré le 19 octobre 2022 : "Nous sommes préoccupés par l'utilisation abusive et systématique par Israël de procédures administratives et pénales, et d'informations secrètes contre les Palestiniens, y compris les défenseurs des droits de l'homme tels que M. Hamouri. Il s'agit d'une mesure délibérée visant à réduire au silence les défenseurs des droits de l'homme […]"