La France est devenue lundi 4 mars 2024 le premier pays au monde à inscrire explicitement dans sa Constitution l'interruption volontaire de grossesse (IVG), 49 ans après la promulgation de la loi Veil sur la dépénalisation de l'avortement. Les parlementaires français réunis en Congrès à Versailles ont voté à une écrasante majorité en faveur de l'inscription dans la loi fondamentale de la « liberté garantie » pour une femme d’avoir recours à une IVG. Une victoire pour toutes les personnes qui défendent ce droit, en France et dans le monde.
Si l’IVG est autorisée, ce n'est que depuis 50 ans. Auparavant, les personnes enceintes souhaitant interrompre une grossesse non désirée n’avaient d’autre choix que de se tourner vers des solutions clandestines et artisanales. Risquant ainsi autant leur santé que leur sûreté.
En 1967, un premier pas vers une évolution de la législation est franchi avec la loi Neuwrith qui autorise la pilule contraceptive en France. Dans les années 1970, les mouvements féministes et les plannings familiaux intensifient leurs discours exigeant le droit d’avorter, estimant qu’il s’agit d’un droit essentiel à disposer de son corps. L’accès à la contraception étant encore insuffisant, de nombreuses IVG demeurent clandestines et pratiquées dans des conditions dangereuses.
1971 – Le « manifeste des 343 »
Le 5 avril 1971, Le Nouvel Observateur publie un manifeste. Dans cet écrit, 343 femmes célèbres – comme les actrices Jeanne Moreau et Catherine Deneuve ou les écrivaines Simone de Beauvoir, Marguerite Duras et Françoise Sagan – déclarent avoir avorté malgré les risques qu’elles encouraient. À cette époque, le fait de subir, de pratiquer ou d’aider un avortement constitue un délit qui pouvait être puni d’une peine de prison et d’une amende.
Rédigé par Simone de Beauvoir elle-même, le manifeste s’ouvre avec ces mots :
« Un million de femmes se font avorter chaque année en France. Elles le font dans des conditions dangereuses en raison de la clandestinité à laquelle elles sont condamnées, alors que cette opération, pratiquée sous contrôle médical, est des plus simples. On fait le silence sur ces millions de femmes. Je déclare que je suis l'une d'elles. Je déclare avoir avorté. De même que nous réclamons le libre accès aux moyens anticonceptionnels, nous réclamons l'avortement libre. »
1972 – Le procès de Bobigny
Le 11 octobre 1972, se tient à Bobigny (93) le procès de Marie-Claire Chevalier, une adolescente de 17 ans accusée d’avoir avorté (après un viol). À ses côtés, sa mère, qui comparaît pour complicité, avec deux autres femmes. L’avocate Gisèle Halimi transforme alors le tribunal en une vibrante tribune pour le droit à l’avortement.
Si je ne parle aujourd’hui, Messieurs, que de l’avortement et de la condition faite à la femme par une loi répressive, une loi d’un autre âge, c’est moins parce que le dossier nous y contraint que parce que cette loi est la pierre de touche de l’oppression qui frappe les femmes
déclarait Gisèle Halimi lors de sa célèbre plaidoirie
Marie-Claire Chevalier sera relaxée et l’énorme retentissement de son procès aura des conséquences dans les années qui suivront.
1975 – La loi Veil
En décembre 1974, après des débats parlementaires vifs, longs et houleux, Simone Veil, alors ministre de la Santé, arrache de haute lutte au Parlement la dépénalisation et l’encadrement légal de l’avortement en France.
« Actuellement, celles qui se trouvent dans cette situation de détresse, qui s'en préoccupe ? La loi les rejettent non seulement dans l'opprobre, la honte et la solitude, mais aussi dans l'anonymat et l'angoisse des poursuites. Contraintes de cacher leur état, trop souvent, elles ne trouvent personne pour les écouter, les éclairer et leur apporter un appui et une protection », dénonçait Simone Veil à la tribune devant les députés, le 26 novembre 1974.
Définitivement promulguée en 1975, la loi, connue depuis sous le nom de « loi Veil » légalise l’interruption volontaire de grossesse (IVG) jusqu’à dix semaines de grossesse.
« Je me demande si cette loi aurait eu lieu si on n’avait pas commencé par signer le manifeste des 343 », s’interrogeait Simone De Beauvoir alors interviewée sur le plateau de TF1, en 1975.
1982 – L’IVG est remboursé par la sécurité sociale
En 1982, l’IVG remboursée par la sécurité sociale est garantie par une loi portée par Yvette Roudy, ministre déléguée aux Droits de la femme et signataire du manifeste des 343.
En 1993, le délit d’entrave à l’IVG est adopté. Ce délit est aujourd'hui inscrit dans le code de la santé publique (art L. 2232-2) et est défini comme le fait d'empêcher ou de tenter d'empêcher, de pratiquer ou de s'informer sur une IVG ou les actes préalables à celle-ci. L'entrave peut être exercée physiquement ou par pressions psychologiques. Cette loi supprime aussi la pénalisation de l’auto-avortement.
En 2012 une nouvelle loi permet une prise en charge à 100 % des IVG par l’Assurance maladie. Les tarifs des IVG instrumentales sont par ailleurs revalorisés afin de renforcer cette activité dans les établissements.
1999 – Pilule du lendemain sans prescription
Autorisée depuis 1988 pour un usage d’abord réservé à des centres agréés, la pilule de contraception d’urgence (PCU) aussi connue sous le nom de « pilule du lendemain » devient disponible dans toutes les pharmacies et sans prescriptions.
En 2022, elle est délivrée gratuitement et anonymement par les officines pour les mineur·e·s qui en font la demande.
2001 – Allongement du délai de recours
Avec la loi du 4 juillet 2001, le délai de recours à l’IVG passe de 10 à 12 semaines. Vingt et un an ans plus tard, le délai est à nouveau prolongé à 14 semaines de grossesse avec la loi du 2 mars 2022.
Depuis janvier 2016, les sages-femmes étaient déjà habilité·es à pratiquer l’IVG médicamenteuse. Mais depuis un décret de 16 décembre 2023, elles et ils peuvent, sous certaines conditions, pratiquer l’IVG instrumentale jusque-là réservée aux seuls médecins.
2024 – La France constitutionnalise l’IVG
C’est une victoire, c’est historique ! La France est le premier pays au monde à inscrire dans sa Constitution la « liberté garantie » à une femme de recourir à un avortement.
« Ce vote historique (...) revêt une importance considérable compte tenu du recul de ce droit essentiel à travers le monde. La protection de la liberté d’accès à l’avortement constitue un rempart important contre les mouvements anti-droits de plus en plus virulents » , a réagi notre secrétaire générale, Agnès Callamard.
La constitutionnalisation du droit à l'avortement est un point culminant pour les droits des femmes et un témoignage des années de campagne inlassable de tant de personnes. Elle envoie un message de solidarité aux groupes de femmes et à tous les défenseurs du droit à l'avortement et des droits sexuels et reproductifs
Pour autant, la formulation approuvée par les parlementaires français pour « garantir la liberté » d'accès à l'avortement n'est pas contraignante. En inscrivant explicitement le « droit » à l'avortement, l'État aurait été obligé de mettre en œuvre les mesures nécessaires pour le garantir.
Nous demandons une approche plus inclusive, afin que le droit à l'avortement soit garanti non seulement aux femmes, mais aussi aux hommes transgenres et aux personnes non binaires.
Conditions de l’accès à l’IVG en France aujourd’hui
Seule la personne concernée peut en faire la demande.
L’IVG est possible jusqu’à 14 semaines de grossesse (soit 16 semaines après le 1er jour des dernières règles).
L’IVG est prise en charge à 100 % par l'Assurance maladie (avec dispense total d'avance de frais pour les femmes assurées sociales, les mineures et les bénéficiaires de l’aide médicale de l’État).
Une personne mineure n'a pas besoin d’une autorisation parentale pour avorter mais doit être accompagnée d’une personne majeure de son choix.
Il est possible de bénéficier d'un anonymat total pour cet acte.
Il n’est pas nécessaire d'avoir la nationalité française pour avorter en France.
Il est aussi possible de réaliser une IVG médicamenteuse en téléconsultation.