Au Maroc, l’avortement est interdit, même en cas de viol. Chaque jour, des centaines de femmes sont contraintes d’avorter clandestinement au risque de la prison et, souvent, de leur vie. Certaines se tournent alors vers des méthodes dangereuses pour mettre un terme à leur grossesse. Alors qu’une réforme se fait attendre depuis 9 ans, combien de victimes d’avortements clandestins faudra-t-il encore dénombrer ? Il est urgent que l’Etat abandonne ses politiques rétrogrades en dépénalisant l’avortement et se conforme ainsi au droit international.
L’avortement est un soin de santé et un droit fondamental pour toutes les femmes !
Dans notre nouveau rapport « Ma vie est brisée » : L’urgence de dépénaliser l’avortement au Maroc, nous nous sommes entretenus avec une trentaine de femmes, des ONG marocaines travaillant sur les droits des femmes, des juristes et des professionnel·les de santé. Le constat est accablant.
Nous y démontrons que la criminalisation de l’avortement dans le pays, même pour les cas de grossesse résultant d’un viol, a des conséquences dévastatrices pour les femmes et les filles.
Aucun État ne doit dicter les décisions en matière de grossesse et priver les femmes et les filles des services de santé sexuelle et reproductive essentiels, y compris des services d’avortement, auxquels elles ont le droit au titre du droit international
Amjad Yamin, notre directeur régional adjoint pour le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord.
Selon L’Organisation mondiale de la santé (OMS), 22 millions d’avortements non sécurisés sont pratiqués chaque année.
Ils sont la 3ème cause de mortalité maternelle dans le monde.
L’accès à l’avortement est fondamentalement lié à la protection et au respect des droits humains des femmes, des jeunes filles et des autres personnes qui peuvent être enceintes. Il est essentiel pour atteindre la justice sociale et entre les genres.
Tisanes dangereuses et Artotec
L’association marocaine pour le planning familial (AMPF) estime que 700 à 1000 femmes avortent chaque jour au Maroc. Certaines recourent à des méthodes artisanales, d’autres à des pilules abortives interdites et dangereuses, parfois mortelles, et pour les plus aisées, d’un médecin. Selon l’AMPF, 72% des avortements clandestins seraient à risque dans le pays.
Parmi elles, Farah, décrit le calvaire qu’elle a enduré. Violée par un de ses collègues, la jeune femme s’est rapprochée d’un gynécologue lorsqu’elle a découvert qu’elle était enceinte. Celui-ci a refusé de lui pratiquer un avortement. Farah a alors tenté d’avorter par ses propres moyens :
J’ai pris toutes sortes de plantes, et tout ce que l’on peut boire pour avorter, nous a-t-elle raconté. J’ai acheté des plantes chez un herboriste, je les ai bues, j’ai eu des douleurs insupportables et j’ai vomi. J’ai senti mes intestins se tordre, mais cela ne m’a pas permis d’avorter.
Farah*, qui a tenté d’avorter par ses propres moyens après un viol.
De nombreuses femmes comme Farah, ont utilisé des méthodes naturelles pour tenter de provoquer un avortement. Pour la plupart, elles ne savaient pas ce qu’elles avaient ingéré, évoquant des « plantes à boire », un « liquide amer » ou, le plus souvent, un mélange de plantes désigné sous le terme général d’ashoob, préparé par un·e herboriste, puis bouilli et bu.
Une représentante d’une ONG explique que les herboristes ne divulguent pas le nom des herbes vendues, pour protéger leur « secret commercial » et préserver l’« exclusivité de leur recette ».
L'OMS définit un avortement non sécurisé comme "un acte destiné à mettre fin à une grossesse effectué par des personnes ne disposant pas des qualifications adéquates ou bien se déroulant dans un environnement non conforme aux normes médicales minimales, ou encore dans ces deux circonstances ".
Contrairement à un avortement légal réalisé par un professionnel de santé qualifié, les avortements non sécurisés peuvent entraîner des conséquences mortelles, à tel point qu’ils sont la troisième cause de mortalité maternelle à travers le monde.
Ces méthodes clandestines, non réglementées sont dangereuses et souvent coûteuses. Farah* dit alors avoir eu recours à des méthodes plus radicales : " Une fois, je suis allée dans ma chambre, j’ai retiré mes vêtements et j’ai inséré un long bâton dans mon vagin et je l’ai tourné dans tous les sens, mais je n’en ai obtenu qu’une grosse blessure et une douleur insupportable (…) pendant plus de cinq mois, j’ai tout essayé, en vain ». Son employeur, lui, l’a suspendue de crainte qu’elle ne soit poursuivie pour relations sexuelles hors mariage. Face à cette situation, Farah nous a confié avoir « envisagé de [s]e suicider ."
Pour avoir voulu avorter, Farah comme toutes les autres Marocaines risque de six mois à deux ans de prison.
Droit à l'avortement : ce que dit le Code pénal marocain
La législation pénale marocaine prohibe l’avortement, mais autorise les médecins à interrompre une grossesse dans un seul et unique cas : sauver la vie de la mère, et avec l’autorisation du conjoint.
Les personnes qui avortent ou tentent d’avorter encourent une peine d’emprisonnement allant de six mois à deux ans et des amendes, ainsi que des peines de prison supplémentaires liées à des dispositions érigeant en infraction les relations sexuelles en dehors du mariage.
En 2015, le roi Mohammed VI, avait ordonné un assouplissement des conditions d’avortement. Mais neuf ans plus tard, la loi n’a toujours pas changé.
Certaines lois interdisent également la diffusion d’informations sur l’avortement restreignant encore davantage l’accès à des ressources essentielles de santé et privant les femmes de la possibilité de prendre des décisions éclairées quant à leur grossesse. L’« incitation à l’avortement », par quelque moyen que ce soit, y compris par des déclarations publiques ou la diffusion de ressources sur l’avortement, est passible de deux ans d’emprisonnement et/ou d’amendes.
« J’ai fait tout ce qu’on m’a suggéré. D’abord j’ai bu du thym. Puis j’ai bu de l’armoise [une plante]. Puis j’ai pris un médicament vermifuge. Rien n’a marché. Puis j’ai mis des pierres lourdes sur mon ventre. Puis je suis montée sur un rebord de fenêtre et j’ai sauté. À chaque fois, j’essayais quelque chose de différent. »
Ibtissam, qui essayé d'avorter par ces propres moyens.
Les avortements clandestins peuvent aussi entraîner de graves complications. Quatre femmes avec lesquelles nous nous sommes entretenus nous ont confié avoir dû être prises en charge d’urgence à l’hôpital pour de graves complications liées à des tentatives d’avorter par leurs propres moyens et de facto, dans des conditions dangereuses.
L’Etat ne donnant pas accès à des méthodes d’avortement sécurisées, il pousse les femmes à acheter des produits pharmaceutiques introduits illégalement sur le marché noir. C’est le cas de l’Artotec, un médicament prescrit généralement contre l’arthrose, ou encore le Cytotec. Plusieurs femmes ont expliqué avoir pris un « médicament pour les rhumatismes » et ont cité nommément ces deux médicaments. Toutes ont déclaré avoir pris des comprimés obtenus sur le marché noir. Des comprimés reçus sans emballage, étiquette, instruction ni date de péremption.
Selon Rajaa, l’homme qui lui a vendu les comprimés lui a dit : « Ne me contactez plus jamais ». « J’ai de la chance d’être en vie. Mais d’autres femmes sont mortes. Je voudrais que la loi permette aux médecins de [pratiquer un avortement] pour les femmes ».La loi « devrait être du côté des femmes », conclue-t-elle.
« Avant 2012, l’Artotec était disponible en pharmacie sans ordonnance. De 2012 à 2018, il était disponible en pharmacie, mais sur ordonnance. Et depuis 2018, il est totalement interdit. Le Cytotec est toujours disponible, mais seulement à l’hôpital. Les deux peuvent se trouver sur le marché noir », explique une militante.
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« Nous ne pouvons pas aider les femmes. Nous avons les mains liées. »
Les professionnel·les de santé qui procurent ou tente de procurer un avortement en dehors du cadre légal risquent jusqu’à cinq ans d’emprisonnement, une peine qui peut être doublée si la personne pratiquant l’avortement le fait « habituellement ». A cela s'ajoute une amende de 200 à 500 dirhams ainsi que l’interdiction d’exercer.
S’ils sont convoqués par un tribunal, ils ont l’obligation de témoigner et de révéler des informations sur les avortements dont ils ont connaissance, ce qui est contraire au secret médical.
Toutes ces restrictions, associées à l’absence de lignes directrices ou de protocoles médicaux sur les avortements légaux, privent de nombreuses femmes de voies sûres et légales pour obtenir un avortement.
Que pouvons-nous faire, en tant que médecins ? Rien ! Nous ne pouvons pas aider les femmes. Nous avons les mains liées. Nous sommes frustrés parce que nous ne pouvons pas apporter aux femmes l’aide qu’elles demandent.
Un médecin.
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Femmes non mariées : entre cruauté et discrimination
Le Code pénal marocain punit toute relation sexuelle entre deux personnes non mariées d’un mois à un an d’emprisonnement, et l’"adultère" d’un à deux ans de prison. Cela entraine non seulement une exclusion sociale, mais exacerbe également l’exclusion économique des femmes forcées de mener leur grossesse à terme.
Les femmes qui ont été emprisonnées pour ces infractions voient leur condamnation inscrite à leur casier judiciaire et sont alors confrontées à d’autres obstacles et stigmatisations dans leur recherche d’emploi.
Ouiam, veuve et mère d’un enfant, a été emprisonnée pour avoir eu des relations sexuelles en dehors du mariage. Elle aussi a essayé d’avorter par ses propres moyens, en vain.
En tant que mère célibataire, je vis dans la terreur dans mon village, personne ne me parle… Les gens du village ne m’ont jamais aussi mal traitée.
Ouiam, veuve et mère d’un enfant, emprisonnée pour avoir eu des relations sexuelles en dehors du mariage.
D’autres femmes nous ont aussi raconté avoir été la cible de violences verbales, physiques ou sexuelles dans le cadre de leur parcours en vue d’obtenir un avortement.
Les enfants de femmes non mariées forcées à mener leur grossesse à terme sont privés d’identité juridique en raison de lois ne reconnaissant la filiation paternelle que dans le cadre du mariage.
Le Code de la famille prive les enfants du droit de porter le nom de leur père biologique ou de recevoir un soutien financier ou un héritage, ce qui entretient la pauvreté et la discrimination à leur encontre. En outre, le Code de l’état civil ne garantit pas le droit des femmes non mariées d’obtenir un livret de famille, indispensable pour déclarer la naissance et obtenir des documents officiels pour bénéficier de services essentiels comme des soins de santé, une éducation, une assistance juridique et des aides sociales.
« Il est grand temps que les autorités marocaines donnent la priorité aux droits sexuels et reproductifs des femmes et mettent un terme à la loi du silence et à l’inaction qui entourent l’avortement » a souligné Stephanie Willman Bordat, cofondatrice de l’organisation Mobilising for Rights Associates, partenaire de campagne d’Amnesty International.
NOTRE COMBAT : chacun·e doit être libre d’exercer son autonomie corporelle et de prendre ses propres décisions concernant sa vie reproductive, et en particulier de décider à quel moment avoir des enfants, si on le souhaite.
Nos demandes :
Les autorités marocaines doivent :
➡️ dépénaliser l’avortement ;
➡️ adopter d’urgence des lois protégeant les droits reproductifs et l’autonomie ;
➡️ garantir un accès égal à des soins de santé complets, y compris à un avortement sécurisé, pour toutes les femmes et les filles.
Demandez la dépénalisation de l'avortement au Maroc !
Appelez les autorités marocaines à dépénaliser pleinement l’avortement et à fournir des services d’avortement accessibles, sûrs et de bonne qualité à toute personne en ayant besoin. Les autorités marocaines doivent respecter, protéger et réaliser les droits sexuels et reproductifs des femmes et des filles.