Détentions arbitraires, poursuites judiciaires iniques, coups de fouet, voire peines de mort : la répression contre les défenseur·e·s des droits des femmes en Iran s’intensifie depuis le début de l’année.
Réclamer l'égalité ou protester contre le port obligatoire du voile ont valu à de nombreux défenseur·e·s des droits des femmes en Iran d’être arrêté·e·s, poursuivi·e·s, voire condamné·e·s ces derniers mois. A l’approche et à la suite de la journée des droits des femmes, cette répression s’est même encore amplifiée :
5 mars 2025. Mehdi Yarrahi est condamné à 74 coups de fouet pour sa chanson intitulée « Ton foulard » (Roosarito), qui commémorait le 1er anniversaire du soulèvement « Femme, Vie, Liberté ».
7 mars 2025. Des journalistes sont arrêtées pour avoir ne pas avoir porté de voile lors d’un événement médiatique à Téhéran. Accusée « d’atteintes aux bonnes mœurs », elles sont désormais sous procédures judiciaires.
10 mars 2025. Les militantes kurdes Leila Pashaei, Baran Saedi, Sohaila Motaei et Souma Mohammadrezaei sont arrêtées pour avoir participé à des événements à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes. Actuellement détenues dans des cellules d'isolement à Sanandaj, elles sont soumises à des interrogatoires sans la présence de leurs avocats.
11 mars 2025. Nina Golestani, écrivaine et défenseure des droits des femmes, est arrêtée arbitrairement puis transférée à la prison de Lakan à Rash. Elle est finalement libérée sous caution le 16 mars
Les femmes en Iran sont retenues captives par des autorités qui ont peur de leur pouvoir... Le mouvement des femmes a dépassé le point de non-retour… Les femmes du monde entier, et en particulier au Moyen-Orient, ne se laisseront plus jamais réduire au silence.
Leila Pashaei, militante kurde pour les droits des femmes. Sa déclaration à l'occasion de la Journée internationale des droits des femmes lui a valu d’être arrêtée.
Même chanter mène en prison
Les personnalités publiques n’échappent pas aux pressions exercées par les autorités iraniennes. Ces derniers mois, plusieurs chanteurs et chanteuses ont été ciblé·e·s par des mesures sévères de la part des autorités iraniennes.
74 coups de fouet. C’est le prix payé par le chanteur iranien Mehdi Yarrahi pour avoir interprété une chanson intitulée « Ton foulard » (Roosarito) dans laquelle il critique les lois discriminatoires sur le port obligatoire du voile, en commémoration du 1er anniversaire du soulèvement « Femme, Vie, Liberté ».
En février, la chanteuse Hiwa Seyfizade avait également été arrêtée lors d'un concert live à Téhéran pour avoir « chanté en solo », une pratique interdite aux femmes en Iran. Plus tôt, c’est Parastoo Ahmadi qui subissait les foudres de Téhéran. Elle avait été arrêtée pour avoir diffusé une vidéo d'un concert en direct, dans laquelle elle apparait sans voile en public, vêtue d’une robe aux épaules dénudées. La vidéo, devenue virale, totalisait 2,5 millions de vues.
Condamnée à mort pour son combat pour les droits des femmes
Défenseure des droits humains et militante contre la peine de mort, Sharifeh Mohammadi a été condamnée à la peine de mort par la Cour suprême d’Iran. Elle est déclarée coupable de « rébellion armée contre l’État » (baghi), uniquement en raison de ses activités pacifiques en faveur des droits humains, notamment des droits des femmes et des travailleurs.ses.
En octobre 2024, la Cour suprême avait annulé sa condamnation et renvoyé l’affaire devant une juridiction inférieure pour réexamen. Rejugée quelques mois plus tard dans le cadre d’un procès des plus iniques, Sharifeh Mohammadi est finalement condamnée à la peine capitale. Aucune enquête n’a été menée sur ses allégations de torture et de mauvais traitements.
Ces récentes arrestations s’inscrivent dans le cadre d'une campagne de répression plus vaste visant à éradiquer le militantisme en faveur des droits des femmes et toute dénonciation du port obligatoire du voile.
Dans le sillage du soulèvement "Femme, vie, liberté" de 2022, les autorités iraniennes considèrent la mobilisation généralisée des femmes et des jeunes filles qui revendiquent leurs droits comme une menace existentielle pour le pouvoir politique et sécuritaire en place. Au lieu de s’attaquer à la discrimination et à la violence systémiques contre les femmes et les filles, elles cherchent à écraser le mouvement de défense des droits des femmes en Iran.
Diana Eltahawy, directrice adjointe du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord à Amnesty International.
Une législation liberticide et répressive
En Iran, la loi sur le port obligatoire du voile s'applique aux filles dès l'âge de sept ans. Cette loi viole plusieurs droits fondamentaux, dont la liberté d'expression, de religion et de croyance, ainsi que le droit à la vie privée, à l'égalité et à la non-discrimination. Elle porte également atteinte à l'autonomie personnelle et corporelle. Elle expose les femmes et les filles à des traitements cruels et inhumains en cas de non-respect.
En 2022, la mort de Mahsa (Zhina) Amini en détention, trois jours après son arrestation violente par la police des mœurs pour non-respect du port du voile conduit au soulèvement d’une partie de la population iranienne. Une vague de protestations largement pacifiques née autour du mouvement « Femme, Vie, Liberté ». Téhéran réprime les manifestations dans le sang. Malgré des mois de contestation, les autorités iraniennes n’ont eu de cesse que durcir leurs mesures pour imposer le port du voile depuis lors.
Voir aussi : Iran, la nouvelle loi sur le port obligatoire du voile intensifie l’oppression des femmes et des filles
En 2022, Mahsa Amini devient le symbole de l'oppression des femmes exercée par la République islamique d'Iran et de la brutalité des autorités iraniennes. Arrêtée par la police des mœurs pour port du voile non conforme à la loi, elle décède quelques jours plus tard durant sa détention. Son décès embrase la jeunesse iranienne. Des manifestations pour défendre la liberté et des changements politiques et économiques se multiplient dans tout le pays.
À cette vague de protestation largement pacifique, les autorités répondent par la violence et la censure pour étouffer le mouvement. Des milliers de personnes sont arrêtées et détenues arbitrairement. Torture, viols, mauvais traitements : tout est permis pour intimider les manifestant·e·s qui remettaient en question des décennies d’oppression. La peine de mort devient l’une des armes les plus utilisées par les autorités iraniennes pour instiller la peur auprès de la population et saper le soulèvement. Un an après le début du mouvement « Femme, Vie, Liberté », le recours à la peine de mort avait doublé en Iran.
Malgré des mois de contestation contre les lois imposant le port du voile, les autorités continuent d’agir en toute impunité et ne cessent de durcir leurs mesures sur le port obligatoire du voile. En avril 2024, une campagne nationale intitulée « Plan Noor » est lancée par les autorités pour assurer l'application du port obligatoire du voile. Harcelées par la police des mœurs, les femmes ne respectant pas la loi s’exposent à des peines d’incarcération, des flagellations, voire des condamnations à mort. Il s’agit d’une véritable guerre menée contre les femmes et les filles qui revendiquent leurs droits fondamentaux.
Pour approfondir : Deux ans après le soulèvement « Femme, Vie, Liberté », la répression se poursuit en Iran
Exigeons la fin de l'impunité
Des négociations sont en cours au sein du Conseil des droits de l’homme des Nations unies. Elles visent à prolonger les mandats du rapporteur spécial sur l’Iran et de la Mission d’établissement des faits des Nations unies, afin de prolonger l’enquête menée sur le pays.
Créée à la suite de l’indignation internationale provoquée par le mouvement « Femme, vie et liberté », cette mission vise à enquêter sur les violations des droits humains en Iran liées aux manifestations. Dans son rapport final, la Mission dénonce des violations graves à l'encontre des femmes et des filles, commises par les autorités iraniennes.
L’impunité doit cesser.
Nous appelons les États à :
Faire pression sur les autorités iraniennes pourqu'elles cessent de harceler les militant·e·s des droits des femmes et libèrent immédiatement les personnes détenues arbitrairement.
Utiliser des voies juridiques pour tenir responsables les autorités iraniennes soupçonnées de violations systématiques des droits des femmes, notamment concernant le port obligatoire du voile.
Pour approfondir : Iran : la situation des droits humains
Voir aussi : Toutes nos infos sur l'Iran