Arrêtée le 7 mai 2022 lors d’un voyage touristique en Iran, Cécile Kohler, une enseignante française, est depuis détenue arbitrairement par les autorités iraniennes qui l’accusent d’« espionnage »
Le vendredi 31 janvier marque le 1 000e jour de détention de Cécile Kohler dans la prison d'Evin à Téhéran, dans des conditions déplorables.
Deux ans après son arrestation et celle de son compagnon de voyage, Jacques Paris, le ministère des Affaires étrangères français a estimé que Cécile Kholer était retenue en otage par la République islamique d’Iran. Le Quai d’Orsay dénonce une politique de « prise d’otages d’État », et le « chantage permanent » exercé par les autorités iraniennes. Le ministère a également condamné la « pratique odieuse des aveux forcés et publics » ainsi que « les conditions inhumaines et indignes » qui lui sont infligées depuis son arrestation.
En plus de son compagnon, un troisième français, Olivier Grondeau est aussi actuellement retenu en Iran.
« Espions français »
C’est lors d’un voyage en Iran que Cécile Kohler, une professeure de lettres modernes, âgée aujourd'hui de 40 ans, a été arrêtée avec son compagnon, Jacques Paris. Raison officielle : « espionnage ».
Le 11 mai 2022, les autorités du pays ont annoncé que ses agents secrets, les « soldats inconnus de l’imam Zaman », avaient arrêté deux ressortissants européens. Peu après, des organes médiatiques en langue persane basés à là l’étranger ont indiqué que Cécile Kohler était l’une des deux personnes détenues. Par la suite, le 17 mai 2022, des médias d’État ont diffusé des déclarations les qualifiant d’« espions français », sans les nommer.
Entre son arrestation et le 23 novembre 2022, date à laquelle Cécile Kohler a obtenu pour la première fois une très brève visite consulaire de 10 minutes, elle a été soumise à une disparition forcée. Pendant toute cette période les autorités iraniennes n'ont communiqué aucune information sur sa situation et ont dissimulé le lieu où elle était détenue. Un crime au regard du droit international.
Sa famille a par la suite appris que Cécile Kohler avait été conduite à la prison d’Evin, à Téhéran, et était détenue dans la section 209, une section de haute sécurité, qui dépend du ministère du Renseignement. Ses proches pensent qu’elle y est toujours détenue, et ses contacts avec les membres de sa famille et des fonctionnaires consulaires français sont très limités. Pendant ses trois premiers mois de détention, Cécile Kohler a été maintenue à l’isolement prolongé.
Nous avons également recueilli de nombreuses informations montrant que les conditions de détention prévalant dans la section 209 bafouent l’interdiction absolue de la torture et des autres formes de mauvais traitements.
Aveux forcés
Le 6 octobre 2022, la Radio-télévision de la République islamique d’Iran (IRIB) a diffusé les « aveux » forcés de Cécile Kohler sur les médias d’État, dans une vidéo de propagande entrecoupée d’images de vidéosurveillance montrant Cécile Kohler lors de son voyage en Iran, avec une narration en voix off, une musique mélodramatique et des mots affichés en grand extraits des « aveux », pour assurer un effet dramatique.
Les « aveux » forcés de Cécile Kohler ont été filmés à différents endroits, et elle portait des vêtements différents. On l’entend « avouer », sous la contrainte, être agent du service de renseignement extérieur de la France, s’être rendue en Iran pour « aider à préparer les conditions de la révolution en Iran et du renversement du régime iranien islamique » et avoir utilisé l’Internationale de l’Éducation, une fédération mondiale de syndicats enseignants, pour soutenir ces efforts. Le même jour, les autorités françaises ont répondu à la vidéo de propagande en dénonçant « ces prétendus ‘aveux’ extorqués sous la contrainte ».

PARIS - 23/03/2024 : des personnes participent à un rassemblement place de la République pour soutenir et demander la libération des quatre citoyens français détenus en Iran.© KIRAN RIDLEY / AFP.
La famille de Cécile Kohler a également nié à plusieurs reprises toutes les allégations formulées dans cette vidéo de propagande. En diffusant ces « aveux » forcés à la télévision, les autorités iraniennes ont bafoué le droit de Cécile Kohler à la présomption d’innocence, ainsi que son droit de ne pas témoigner contre elle-même.
Détention au secret
Nous avons dénoncé à maintes reprises le fait que les autorités iraniennes soumettent régulièrement des personnes à une disparition forcée ou une détention au secret, souvent dans des centres gérés par le ministère du Renseignement, les pasdaran (gardiens de la révolution) ou diverses unités de la police iranienne. La torture et les autres formes de mauvais traitements, y compris la détention à l’isolement prolongée, sont courantes et systématiques, et les autorités diffusent régulièrement à la télévision d’État des « aveux » forcés extorqués sous la contrainte, notamment avant un procès.
Lors de la première visite consulaire autorisée, Cécile Kohler avait révélé qu’elle avait été conduite dans le bureau du procureur à au moins deux reprises et avait été accusée d’« espionnage » et de « collusion contre l’État ». Bien que la famille de Cécile Kohler ait engagé deux avocats indépendants, ceux-ci n’ont pas été autorisés à la voir et à consulter le dossier.
Privée de contacts réguliers avec sa famille.
Les appels de Cécile Kohler à sa famille sont rares et brefs. Si elle a pu brièvement parler à ses proches le jour de Noël, ils sont ensuite restés sans nouvelle pendant un mois. « On sent que son désespoir grandit de plus en plus, on sent dans sa façon de parler et les questions qu'elle nous pose qu'elle doute que sa sortie de prison arrive un jour», confiait Noémie Kohler, sa sœur, sur l’antenne de BFM fin 2024.
Ses proches sont d’autant plus préoccupés qu’ils ne savent pas si elle obtient les soins médicaux dont elle a besoin Les rares témoignages venant directement de la prison d’Evin confirment que son état se dégrade. La prix Nobel de la paix 2023, la journaliste Narges Mohammadi, temporairement libérée pour raisons médicales, expliquait lors d’une interview sur France Inter début janvier avoir demandé des nouvelles de Cécile à d’autres prisonnières qui avaient partagées sa cellule. « Elles disent que sur le plan physique, elle est extrêmement affaiblie, je suis très inquiète pour elle. Moi aussi j’ai été en isolement, ce sont des conditions terribles, une vraie torture », a-t-elle expliqué.
Risque de procès inique
Nous avons recueilli de nombreuses informations attestant que les procès se déroulant en Iran sont systématiquement inéquitables, et débouchent sur la détention arbitraire de milliers de personnes. Parmi les personnes détenues arbitrairement figurent des manifestant·es, des femmes défiant les lois sur le port obligatoire du voile en public, des journalistes, des acteurs/actrices et des musicien·nes, des écrivain·es et des universitaires, des étudiant·es, des personnes LGBTI+ et des défenseur·es des droits humains, notamment des militant·es en faveur des droits des femmes, des militant·es contre la peine de mort, des syndicalistes, des avocat·es et des familles en quête de vérité et de justice pour les victimes d’homicides illégaux.
En Iran, les personnes poursuivies pour des infractions liées à la sécurité nationale sont jugées devant des tribunaux révolutionnaires. Nos recherches montrent invariablement que les tribunaux révolutionnaires manquent d’indépendance, opèrent sous l’influence des organes de sécurité et de renseignement, et prononcent de lourdes peines contre des personnes arrêtées pour des raisons politiques, à l’issue de procédures manifestement iniques, sommaires et essentiellement secrètes. A l’heure actuelle, nous ne disposons d’aucune information indiquant si Cécile Kohler a été jugée ou non.
La détention de Cécile Kohler est manifestement arbitraire, compte tenu de la gravité des violations de ses droits à un procès équitable, notamment de son droit à la présomption d’innocence, de son droit de ne pas témoigner contre elle-même, de son droit à un procès devant un tribunal indépendant, compétent et impartial, de consulter un avocat de son choix dès son arrestation et lors de son procès, de son droit à une défense adéquate et d’être protégée de la torture et autres formes de mauvais traitements et de son droit de véritablement pouvoir contester la légalité de sa détention.
L’arrestation arbitraire de Cécile Kohler s’inscrit dans un contexte dans lequel les autorités iraniennes utilisent de longue date des ressortissant·es binationaux et étrangers détenus arbitrairement comme moyen de pression contre d’autres gouvernements, comme l’a souligné le rapporteur spécial des Nations Unies sur la situation des droits humains en Iran dans son rapport de janvier 2022 et plusieurs avis adoptés par le Groupe de travail des Nations Unies sur la détention arbitraire.
Nous appelons la France à diligenter soit une enquête compétente, indépendante et impartiale sur la situation de Cécile Kohler, comme sur celle d’autres ressortissant·es français, conformément à la Convention internationale contre la prise d’otages, afin de déterminer si sa privation de liberté constitue une prise d’otage et, le cas échéant, à prendre toutes les mesures qui s’imposent pour la protéger, à obtenir sa libération et veiller au respect de l’obligation de rendre des comptes.
Dans l’attente de la libération de Cécile Kohler, les autorités iraniennes doivent : la protéger contre de nouveaux actes de torture et toute autre forme de mauvais traitements, veiller à ce qu’elle puisse communiquer avec ses proches régulièrement par téléphone, recevoir des soins médicaux adaptés, consulter un avocat de son choix et bénéficier d’une assistance consulaire sans entrave.