Damien Carême a ouvert, en mars 2016, le premier camp de réfugiés conçu aux normes de l’Onu.
Sa poignée de main est ferme, son visage souriant. Cheveux raides tombant sur le front, petites lunettes rouges, allure bonhomme, Damien Carême accueille en riant la nouvelle de sa candidature pour devenir le meilleur maire du monde : « Franchement, ça me fait bien marrer cette histoire ; mais bon, je me retrouve à concourir aux côtés de Giuisi Nicolini, la maire de Lampedusa, et ça, j’en suis fier ». Ce classement établi par la City Mayors Foundation distingue les maires impliqués sur la question des réfugiés. Damien Carême et Giuisi Nicolini font partie de ceux qui ont choisi d’accueillir les réfugiés fuyant la guerre. L’un est dans la région des Hauts-de-France, à la sortie du continent européen, l’autre à l’entrée, en Méditerranée. Damien Carême, 56 ans, édile d’une commune de 21 000 habitants qu’il administre depuis seize ans, a construit le premier camp de réfugiés de France répondant aux critères du Haut-commissariat aux réfugiés de l’Onu : des abris isolés et chauffés, espacés les uns des autres, avec des accès aux sanitaires, cuisines, médecins et juristes.
Le camp de la honte
À l’été 2015, les associations sont débordées. Avec la mairie, elles gèrent l’urgence avec des bouts de ficelle. Damien Carême se souvient : « J’ai appelé cet endroit : le camp de la honte ». Le camp du Barosch prend forme en bordure Est de la ville dès 2006, en face d’un quartier résidentiel. Plusieurs poignées de réfugiés s’arrêtaient quelques nuits sur ce campement avant de tenter la traversée vers l’Angleterre. Ce même été, l’État bloque la frontière à Calais et les dizaines de réfugiés de Grande-Synthe deviennent des centaines. Les services municipaux fournissent quelques tentes chauffées mais cela ne suffit pas. La situation se dégrade, les médias reprennent la formule-choc du « camp de la honte ».
Sur le camp, c’était abominable. Il y avait de la gale, des suspicions de tuberculose. Je ne voulais pas avoir un mort à cause de cela dans ma commune.
Damien Carême, maire de Grande-Synthe
Damien Carême s’est refusé de demander à l’État le démantèlement du camp. « Jamais, impossible. Politiquement, philosophiquement, éthiquement, tout en moi s’oppose à cette solution ». Alors il en cherche une autre. Avec l’ensemble des services municipaux, il passe des coups de fil au préfet, envoie des courriers au Premier ministre, au Président. Rien. Les mois passent. Toujours rien. Tant pis, « j’ai bien compris qu’il fallait que je me démerde tout seul. Alors, c’est ce qu’on a fait ». En novembre 2015, les associations comptabilisent 1 800 personnes, dont des femmes et des enfants, sur le camp du Barosch. Un millier de plus en décembre. Conscient des réalités et afin d’assurer la cohabitation entre habitants et réfugiés, Damien Carême tranche. Avec Médecins Sans Frontières, il annonce la construction du camp de la Linière, au sud-ouest de la ville, pour remplacer celui du Barosch. Coût global : 4 millions d’euros.
Une ville solidaire avec un fort tissu associatif © Lola Ledoux
Une terre de migrations
Quand Damien Carême parle de Grande-Synthe, il décrit une ville solidaire qui compte 450 associations impliquant selon lui près de la moitié de la population. Une ville résiliente aussi, dont les projets urbains s’ancrent dans la capacité des habitants à encaisser les chocs, s’y adapter, les anticiper. Cité de la métallurgie, avec des fleurons comme Usinor, devenu Arcelor, Grande-Synthe est l’une des communes les plus pauvres de l’Hexagone. Le chômage y avoisine les 24 %, loin devant les 10 % de la moyenne nationale. Un tiers de la population vit sous le seuil de pauvreté avec un revenu moyen qui tourne autour des 9 300 euros par an. Usinor à son âge d’or, c’était 11 000 emplois directs, 2 000 aujourd’hui. « La précarisation des emplois, on se la prend en pleine tête ici : la sous-traitance, l’absence de conventions collectives, les petits salaires ».
Grande-Synthe a connu les flux migratoires qui ont construit le Nord-Pas-de-Calais, à travers les usines et les mines : Polonais, Portugais, Italiens, Algériens, Marocains, mais aussi Lorrains, comme Damien Carême.
De nombreux habitants sont bénévoles sur le camp de la Linière. Avec tout le battage médiatique qu’il y a eu autour du camp, je crois que nous sommes tous fiers de notre ville
Damien Carême est né dans une fratrie de six enfants, en Lorraine, autre terre de métallurgie. Membre des Jeunesses ouvrières chrétiennes puis syndicaliste à la CFDT, son père emmena toute la famille à Paris lorsqu’il fut nommé permanent à la métallurgie. Au bout de cinq années dans un bureau parisien, il fait un constat : « On perd le contact avec le monde ouvrier, on s’éloigne de notre base ; il faut que je retourne travailler à l’usine ». Usinor embauchait, la famille met le cap au Nord-Ouest vers Grande-Synthe où il prend son poste juste après Mai 68.
Trois ans plus tard, son syndicaliste de père devient maire de Grande-Synthe, pour une vingtaine d’années. Pas peu fier, Damien Carême résume : « C’était un homme de convictions ». Les chiens ne font pas des chats, le fils travaille tout d’abord dans l’animation socio-culturelle, puis devient rédacteur en chef d’une télévision locale, reprend des études en informatique et finalement est élu maire, à temps plein. Un parcours avec pour fil rouge son implication permanente dans la vie de la commune. Longtemps encarté au Parti socialiste, Damien Carême est aujourd’hui chez Europe-Écologie-les-Verts, « Je suis un enfant de l’industrie. Pour autant, durabilité et humanité vont de pair, pour moi. Par contre, capitalisme et humanisme, j’ai plus de mal ».
La transparence en étendard
De la fin 2015 à la fin 2016, Damien Carême a écrit près d’un courrier par mois aux habitants pour faire le point sur la situation et expliquer sa décision de construire le camp de la Linière en remplacement de celui du Barosch. « Rappelons, à ceux qui prônent la haine envers ces réfugiés, écrit-il dans une de ses lettres, que la France, il n’y a pas si longtemps et particulièrement ici à Grande-Synthe, car c’est son histoire, a organisé elle-même une immigration pour venir grossir les forces vives de la Nation ».
Un réfugié Kurde irakien parle de ses problèmes administratifs avec le maire Damien Carême dans le camp de La Linière © Lola Ledoux
Transparence et anticipation.
Ici, il y a Arcelor, mais il ne faut pas rêver, dans dix, vingt ans, ce sera fini ; le pétrole, un jour, ce sera fini aussi. C’est maintenant qu’on peut anticiper tout cela.
Même raisonnement pour la question des réfugiés. En ce mois de novembre 2016, le camp de la Linière évoque davantage un camping de mobil-homes après une violente tempête : terrain boueux, flaques comme des mares. Damien Carême fait la visite. Tout change très vite, les visages surtout. Un homme vient le voir, un Kurde, comme la plupart des réfugiés du camp. Le centre d’information dédié aux questions juridiques et demandes d’asile n’a plus les planches de bois qui constituaient son sol. « Ils ont dû les prendre pour faire du feu, fait chier. Mais bon, oui, il fait froid », concède-t-il. Un an après son ouverture, le camp est surpeuplé et n'est plus tout à fait aux normes. Les tensions s'exacerbent.
Damien Carême a demandé à l'État l'installation de nouveaux abris plus pérennes. Il lutte aussi contre la présence de passeurs. « En un an, on a démantelé 28 réseaux, mais ils repoussent tout le temps. Les passeurs ont posé des cadenas sur des cabanons et les ont ensuite loué à des réfugiés », fulmine Damien Carême. Pour enrayer ces pratiques, il a tranché. « On est venu avec un tracteur et on les a retirés. Ce ne sont pas les passeurs qui font la loi, ici ».