Le temps où les multinationales pouvaient délocaliser leurs activités sans être inquiétées de leurs conséquences sur les droits humains, l’environnement et le climat serait-il enfin révolu ? Le 23 mai 2024, une loi européenne sur le devoir de vigilance des entreprises a été votée par les ministres des 27 Etats membres de l’Union européenne (UE).
Même si la loi est encore perfectible, il s’agit de l’une des plus grandes avancées en matière de législation sur la responsabilité des entreprises face aux droits humains et à l’environnement de ces dernières années !
Après avoir obtenu une loi française sur le devoir de vigilance en mars 2017, c’est désormais dans chaque pays membre de l’UE que nous pourrons intenter des actions en justice contre les entreprises qui nuisent aux droits humains et à l’environnement.
C’est une loi pour laquelle Amnesty International a beaucoup œuvré ces dernières années et qui a abouti grâce à l’appui de la mobilisation citoyenne.
La directive européenne, adoptée le 23 mai 2024, oblige toutes les grandes entreprises européennes ou opérant en Europe à se soumettre à un “devoir de vigilance”. Elles ont désormais des obligations concernant la protection de l’environnement et des droits humains dans leurs chaînes de production.
Avec ce texte, l’Union européenne succède à la France et se pose comme pionnière en matière de droit sur la responsabilité des entreprises.
Ce que cette loi va changer
Toutes les grandes entreprises européennes ou opérant en Europe, de plus de 1 000 salariés et réalisant un chiffre d’affaires net supérieur à 450 millions d’euros, auront l’obligation d’identifier, prévenir, traiter et réparer les risques et les violations en matière de droits humains, d’environnement et de climat liés à leurs activités, celles de leurs filiales, leurs sous-traitants ou leurs fournisseurs, y compris en dehors de l’Europe.
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Elle devra être mise en œuvre par l’ensemble des États membres de l’UE. Ces derniers ont désormais deux ans pour transposer la directive dans leurs législations nationales.
Le droit européen va ainsi pouvoir être invoqué dans de très nombreuses situations où les activités des entreprises multinationales risquent de bafouer les droits humains et causer des dommages environnementaux. La loi va aussi donner aux victimes le droit de demander justice et réparation pour les violations.
S’il est mis en œuvre de manière robuste, ce texte permettra par exemple d’empêcher le recours au travail des enfants ou au travail forcé, et d’éviter les abus que subissent des travailleurs·euses participant à la fabrication de produits destinés à la vente dans l’UE.
Hannah Storey, conseillère d’Amnesty International sur la responsabilité des entreprises en matière de droits humains
Un texte plus ambitieux que la loi française
La France a été pionnière en adoptant une loi sur le devoir de vigilance dès mars 2017. Cette loi a été le fruit de quatre années de mobilisation citoyenne et d’un travail de pression politique porté par plusieurs ONG dont Amnesty International France.
Découvrez les dessous de cette forte mobilisation en France dans notre podcast
La loi française sur le devoir de vigilance possède des lacunes qui peuvent aujourd’hui être comblées par la directive européenne, plus ambitieuse sur certains aspects. La directive européenne s’appliquera notamment à un plus grand nombre d’entreprises que celles visées par la loi française, et obligera la mise en place de plans de transition climatique par les entreprises pour respecter l’accord de Paris sur le changement climatique et l’objectif de limiter le réchauffement de la planète à 1,5°C. Il y a ainsi un enjeu fort de renforcement de la loi française lors de la transposition de la directive européenne, que nous suivrons de près.
Un cas pratique du devoir de vigilance en France avec le procès de TotalEnergies
Le 18 juin 2024, la cour d’appel de Paris a jugé recevable la procédure à l’encontre de TotalEnergies et EDF qui seront finalement jugés quant à leurs atteintes aux droits humains et à l’environnement. Cette décision a été prise suite à plusieurs années d’action de la part d’une coalition de six ONG et 16 collectivités territoriales soutenues par Amnesty International France.
Le contentieux actuel avec TotalEnergies s'annonce comme un cas d’école pour mettre les entreprises face à leurs responsabilités en termes d’impact sur les droits humains, l’environnement et le climat. La voie judiciaire est aujourd’hui plus que jamais indispensable pour lutter contre l’impunité des multinationales.
Bien que nous nous félicitions de cette avancée historique, la bataille contre l’impunité des multinationales n’est pas terminée. La directive européenne a aussi souffert des attaques de la part de lobbies mais aussi de gouvernements qui ont multiplié les amendements pour réduire la portée de ce texte.
C’est pourquoi la transposition de la directive européenne dans les législations nationales doit être vue comme une opportunité d’aller plus loin.
Nous demandons à la France d’utiliser la transposition de la directive comme une opportunité pour aller plus loin dans les domaines où la directive pourrait être renforcée, notamment en élargissant l’éventail des entreprises concernées et en supprimant les exemptions problématiques qui concernent le secteur financier, les fabricants d’armes et de technologies de surveillance.
Claire Legain, responsable de la Commission Responsabilité des acteurs économiques d’Amnesty International France
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