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URGENCE PROCHE ORIENT

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Bangladesh : la répression sanglante des manifestations étudiantes

Des manifestations étudiantes contre les quotas de recrutement dans la fonction publique se sont transformées en un véritable bain de sang. La police tire avec des armes de chasse sur les manifestants, l'armée a été déployée. Voici ce que l’on sait et ce qu’ont documenté nos équipes. 

Plus de 300 morts et des milliers de blessés.  Le niveau de la répression des autorités est extrêmement préoccupant. C’est à partir du 15 juillet que la violence à l’encontre des manifestants s'est intensifiée. Les informations arrivent au compte-goutte du Bangladesh, Internet a été interrompu pendant des jours.

Le dimanche 4 août fut l’une des journées les plus violentes en termes d’affrontements depuis que les manifestations ont éclaté début juillet. Selon certaines informations, 99 personnes ont été tuées, tandis que des maisons de fonctionnaires, des bureaux de la Ligue Awami, des lieux religieux de la communauté hindoue minoritaire et des postes de police ont été attaqués dans plusieurs districts.

Nos équipes, avec notre Crisis Evidence Lab, ont pu récolter des images, des vidéos, des témoignages pour documenter le niveau alarmant de répression ces dernières semaines. Nous avons notamment authentifié plusieurs vidéos d'usage illégal de la force.

Des manifestants tués par des armes de chasse

Abu Sayed avait 25 ans. Debout, il se tient devant les policiers, les bras écartés, bâton dans la main droite. Deux policiers ouvrent le feu dans sa direction avec des fusils de chasse. Sayed met sa main sur sa poitrine, les policiers tirent encore deux fois. Il s’écroule au sol. Cette vidéo du jeune étudiant, qui a fait le tour des réseaux sociaux, nos équipes ont pu l’analyser et l’authentifier. En complément de l’analyse vidéo nous avons analysé des images satellites où nous avons pu géolocaliser les positions d’Abu Sayed et des policiers. Environ 15 mètres les séparaient au moment des tirs. Sayed ne représentait aucune menace physique manifeste pour les policiers. Il est mort le 16 juillet sous les tirs de la police à Rangpur. 

Dans une vidéo publiée le 18 juillet, nos équipes ont pu authentifier qu’un policier tirait des gaz lacrymogènes vers l’intérieur de l'université BRAC de Dacca à travers les grilles fermées. Or les forces de l'ordre ne doivent jamais tirer de gaz lacrymogènes dans un espace clos. 

Captures d'écrans des vidéos que nos équipes ont analysées. À gauche, on voit deux policiers devant l'université BRAC de Dacca avec l'un d'eux qui tire des gaz lacrymogènes à l’intérieur de l'établissement à travers les grilles fermées. À droite, on voit un mouvement de foule d'étudiants de l'université.

Capture d'écran de la vidéo analysée

Dans une autre vidéo – capture d'écran ci-dessus – on voit un officier tirer avec un fusil d'assaut de type AK sur les manifestants. Des armes inadaptées au maintien de l’ordre et qui montrent le niveau alarmant de répression des autorités.

Des scènes de chaos sont aussi causées par des milices d’hommes affiliés au pouvoir. Nous nous sommes entretenus avec plusieurs témoins oculaires qui nous ont déclaré avoir vu les attaques et agressions à l'université et à l’hôpital de la faculté de médecine de Dacca.

« Nous n'avions rien dans les mains. Ils ont commencé à nous lancer des briques, puis des barres de fer... Ils ont frappé les femmes aux seins, à l'estomac et à la tête »

Un manifestant attaqué sur le campus de l'université de Dacca 

Nous avons ainsi toute une liste d’authentifications d’images et de vidéos qui démontrent le niveau alarmant de répression des autorités et le recours illégal de la force par les autorités bangladaises. 

Des arrestations punitives massives

À la suite des manifestations contre la réforme des quotas d’embauche au Bangladesh, des informations font état d’arrestation massives au cours du week-end du 26 juillet. Plus de 9 000 personnes, dirigeant·es étudiants, manifestant·es et membres de partis d’opposition, ont été arrêtés.

Selon des informations parues dans les médias, plus de 213 000 personnes, dont on ignore le nom pour la plupart, sont mises en cause dans quelque 200 affaires traitées par les postes de police de la capitale à la suite des violences liées aux récentes manifestations. Certaines sources indiquent que de nombreux responsables et militant·es de partis d’opposition ont également été arrêtés. La tactique consistant à accuser des personnes sans les nommer dans des procédures en cours permet aux forces de l’ordre d’arrêter qui elles veulent, comme nous l'avons relevé.

Les arrestations massives et la détention arbitraire de manifestant·e·s étudiants sont une chasse aux sorcières menée par les autorités pour faire taire toute personne osant défier le gouvernement et visent à perpétuer un climat de peur. Des informations laissent penser que ces arrestations sont entièrement motivées par des considérations politiques et constituent des représailles contre l’exercice des droits fondamentaux. Il est primordial que les autorités du Bangladesh respectent le droit à la liberté d’expression et de réunion pacifique.

Smriti Singh, directrice régionale pour l’Asie du Sud à Amnesty International

La Première ministre démissionne et fuit le pays

Le lundi 5 août 2024, les manifestant·es étudiants ont appelé tous les Bangladais·es à se joindre à « une longue marche vers Dacca ». Alors que des milliers de personnes entraient dans la capitale, la Première ministre Sheikh Hasina a démissionné et fui le pays. L’armée a annoncé des mesures visant à mettre en place un gouvernement intérimaire.

L’ordre du jour du futur gouvernement intérimaire doit commencer par garantir la protection des droits à la vie, à la liberté d’expression et à la liberté de réunion pacifique, et trouver les moyens de désamorcer de possibles nouvelles violences.

Toutes les mesures proposées pour sortir de ce chapitre meurtrier de l’histoire du Bangladesh doivent se fonder sur les principes de justice, de responsabilisation et de non-répétition.

Comment en est-on arrivé là ? 

Depuis le 1er juillet 2024, des manifestations quasi quotidiennes ont lieu au Bangladesh, initiées par un mouvement étudiant. Le point de départ de la contestation est une réaction au rétablissement d’un quota d’embauche de 30 % d’emplois dans la fonction publique réservés aux enfants des vétérans de la guerre d’indépendance contre le Pakistan, en 1971. Selon les manifestants, ce quota favoriseraient les partisans du parti au pouvoir.  

Le Bangladesh n'a pas connu d'élections nationales véritablement concurrentielles depuis plus de 15 ans. 

Les manifestations étudiantes auxquelles on assiste sont sans précédent dans l'histoire récente du Bangladesh. La Cour suprême du Bangladesh a revu à la baisse, samedi 20 juillet 2024, les quotas de 30 à 5 %. Cependant, les manifestations se poursuivent, réclamant le départ de la Première ministre Sheikh Hasin et exigeant que justice soit faite pour les personnes tuées, blessées et arrêtées au cours des dernières semaines.  

Le nouveau gouvernement intérimaire au Bangladesh devra saisir cette occasion importante de faire preuve de solidarité avec sa population et de protéger les plus vulnérables, et ne pas répéter les erreurs du passé.

Smriti Singh, directrice régionale pour l’Asie du Sud à Amnesty International

Nos demandes 

 Nous demandons aux autorités bangladaises de :  

veiller à ce que les personnes blessées reçoivent un traitement médical approprié ;

diligenter sans délai une enquête impartiale et indépendante sur les personnes qui ont directement perpétré ou n'ont pas empêché de telles violations de la loi ;

amener tous les responsables présumés à rendre des comptes ;

fournir des réparations pleines et entières aux victimes de violences policières illégales : les victimes doivent recevoir des réparations complètes de la part de l’État, dont des mesures d’indemnisation, de réadaptation, et des garanties de non-répétition ; 

s'assurer que toute intervention des forces de l’ordre dans le contexte des manifestations vise d’abord à désamorcer les tensions.

veiller à ce que les militant·es pacifiques ne soient pas poursuivis sur la base d’accusations forgées de toutes pièces en vue de les sanctionner pour leur participation aux manifestations.

Nous demandons une nouvelle fois la tenue d’une enquête indépendante et impartiale dans les meilleurs délais sur les décès et les blessures découlant des manifestations.

Malgré la répression extrême des autorités, le mouvement porté par des milliers de jeunes Bangladais se poursuit. Bien qu’il soit difficile d’obtenir des informations du Bangladesh alors qu'Internet a été coupé pendant six jours et que les communications restent très compliquées, nos équipes suivent de près l’évolution de la situation pour alerter sur cette répression sanglante et soutenir les droits de cette jeunesse qui manifeste. Manifester pacifiquement n’est pas un crime, ces violences et cette chasse aux sorcières doivent cesser. 

Agir

Dès aujourd'hui, changez des vies

Grâce à vous, nous avons pu enquêter pour dénoncer la répression des manifestations étudiantes. Nous avons besoin de vous pour continuer à lutter en toute indépendance et impartialité.