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URGENCE PROCHE ORIENT

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Manifestation devant l’aéroport de JFK
Manifestation devant l'aéroport JFK aux Etats-Unis © Stephanie Keith/Getty Images
Personnes réfugiées et migrantes

Comment déclencher une crise des réfugiés en cinq étapes, façon Donald Trump

Comptant parmi les sujets les plus débattus depuis la campagne américaine électorale de l'an dernier, la bande de terre qui sépare les États-Unis du Mexique résonne aujourd'hui d'un calme sinistre. Tribune de Madeleine Penman, spécialiste du Mexique à Amnesty International

La vision d'une frontière des plus infâmes – environ 1 000 kilomètres de clôture métallique poreuse séparant les vies, les espoirs et les rêves entre les États-Unis et le Mexique – est accablante, mais pas de la manière dont on pourrait s'y attendre.

Comptant parmi les sujets les plus débattus depuis la campagne américaine électorale de l'an dernier, la bande de terre qui sépare les États-Unis du Mexique résonne aujourd'hui d'un calme sinistre.

La vague d'hommes, de femmes et d'enfants qui, selon les prédictions du président américain Donald Trump, devait déferler sur le secteur se fait attendre. Personne ne travaille sur le mur « grand et puissant » que Trump a promis d’ériger tout le long de la frontière de plus de 3 000 kilomètres. Les 5 000 garde-frontières supplémentaires censés « renforcer la sécurité » dans la zone n’ont pas encore été déployés.

Toutefois, ce que nous constatons ces derniers temps le long de la frontière, c'est une confusion croissante et une peur omniprésente. De nombreux militants le résument en ces termes : « le calme avant la tempête ». Ce n'est pas une situation nouvelle, les tensions s'accumulent dans le secteur, mais il faut s’attendre à ce qu'elles se dégradent fortement.

En effet, même si les promesses du président Trump ne sont pas pleinement tenues, la machine est en route, s’appuyant sur des années de mauvaises politiques et pratiques le long de la frontière. L'impact potentiel des mesures de contrôle des frontières récemment promulguées sur la vie de milliers de personnes vivant dans la terreur d'être renvoyées vers une violence extrême se fait tangible.

C'est ainsi que l'administration Trump est en train d’enclencher une crise des réfugiés qui pourrait se généraliser :

1. Semer un discours de haine et de peur

Depuis le début de sa campagne pour la présidence, Donald Trump a régulièrement qualifié les migrants et les demandeurs d'asile, originaires notamment du Mexique et d'Amérique centrale, de « criminels et violeurs ».

Il a omis de reconnaître la souffrance de milliers d'hommes, de femmes et d'enfants qui vivent dans des situations de « quasi-guerre » dans certains pays parmi les plus dangereux de la planète, particulièrement au Salvador et au Honduras, et qui sont dans les faits contraints de fuir leur foyer pour survivre.

2. Adopter des décrets déroutants sans aucune feuille de route quant à leur mise en œuvre

Dans le cadre de la série initiale de décrets adoptés par le président Trump lors de ses premiers jours à la tête de la présidence, l'administration a effectivement cherché à fermer les frontières aux immigrants, y compris aux demandeurs d'asile en quête d'un havre de paix aux États-Unis.

Le décret sur le renforcement de la sécurité des frontières et du contrôle de l'immigration du 25 janvier vise à garantir que la procédure de détention et d'expulsion des migrants et des demandeurs d'asile soit aussi rapide que possible – en ignorant totalement le fait que certains risquent la mort s'ils sont renvoyés dans leur pays.

En outre, depuis la publication de ce décret, les services de contrôle des frontières sont tenus dans l'ignorance quant à la manière de le mettre en œuvre. Nous sommes arrivés en Arizona deux jours seulement après que le Département de la sécurité du territoire a publié son mémo du 20 février, qui détaille l'application du décret sur la sécurité aux frontières de Trump. Nous avons appris qu'au moins un haut responsable du contrôle des frontières avait reçu le mémo le même jour que la presse, et qu'il n'en savait pas plus sur la manière de l'appliquer.

3. Renvoyer les personnes, sans poser de questions

Chaque année, des centaines de milliers de personnes venues d'Amérique centrale et d'autres pays du globe franchissent la frontière terrestre entre le Mexique et les États-Unis en quête de sécurité et d'une vie meilleure. À l’instar des Mexicains, beaucoup recherchent une protection, fuyant des violences extrêmes dans leurs pays d'origine (notamment au Salvador et au Honduras).

Cependant, nous avons reçu des informations et des preuves multiples attestant que le Service américain des douanes et de la protection des frontières, au lieu de les autoriser à entrer aux États-Unis et à demander l'asile pour échapper à la mort, bloque bien souvent leur entrée tout le long de la frontière.

De San Diego, en Californie, à McAllen, au Texas, les témoignages sont unanimes : avant même l'arrivée de Donald Trump, dès 2015, des garde-frontières faisaient la loi eux-mêmes et renvoyaient les demandeurs d'asile, affirmant qu'ils ne pouvaient pas entrer. Ce n'est pas seulement immoral, c'est aussi contraire aux principes du droit international que les États-Unis sont tenus de respecter et au droit américain, qui détaille le droit de demander l'asile et la procédure correspondante.

Une défenseure des droits humains du côté mexicain de la frontière avec l'Arizona a déclaré qu'un agent de la protection des frontières l'avait apostrophée en ces termes parce qu'elle accompagne des Centraméricains à la frontière pour veiller à ce que leurs droits ne soient pas bafoués : « Vous vous sentez comment, vous n'avez pas honte d'aider des " terroristes ? "

Lire aussi : 3 conséquences du décret anti-réfugiés de Donald Trump

4. Fermer les yeux sur les groupes criminels qui terrorisent les demandeurs d'asile

Toute personne qui passe aux États-Unis sans papiers le fait au péril de sa vie, car elle est encore plus vulnérable face aux gangs et aux cartels de la drogue qui contrôlent la zone frontalière et sont prêts à profiter de ceux qui se trouvent dans des situations désespérées.

Nous avons reçu de nombreuses informations selon lesquelles des passeurs ont nettement augmenté leurs tarifs depuis l'élection de Donald Trump. Le secrétaire américain à la sécurité intérieure John Kelly a récemment annoncé que depuis novembre 2016, le tarif demandé par les passeurs dans certains secteurs le long de la frontière sud-ouest des États-Unis est passé de 3 250 à 7 500 euros. Pourtant, il omet de reconnaître que cela mettra davantage encore en péril la vie de certaines personnes. Car les mesures de contrôle des frontières adoptées par Trump ne dissuaderont pas les gens de fuir leur pays et de se diriger vers le nord en quête de sécurité. Une fois le mur construit, les bandes criminelles n’auront que plus de pouvoir et feront payer des fortunes aux personnes vulnérables désireuses de quitter leur pays et de franchir la frontière américaine.

5. Sous-traiter les responsabilités

De multiples questions demeurent quant au projet des États-Unis de militariser leur frontière sud et de refuser l'entrée aux demandeurs d'asile. La première concerne le rôle du Mexique dans cette équation.

Ces dernières semaines, le ministre mexicain des Affaires étrangères Luis Videgaray a annoncé que le Mexique n'accueillerait pas les étrangers renvoyés par les États-Unis au titre du décret sur le renforcement de la sécurité des frontières et du contrôle de l'immigration promulgué par Trump le 25 janvier. Pourtant, aucune des personnes avec lesquelles nous nous sommes entretenues à la frontière ne comprenait ce que cela donnerait dans la pratique. Le Mexique va-t-il lancer des raids le long de sa frontière ? Va-t-il accélérer les expulsions ? Son refus d'accueillir les migrants va-t-il se traduire par une augmentation du nombre de personnes enfermées dans des centres de détention pour migrants côté américain ? Va-t-on voir fleurir des camps de réfugiés ad hoc le long de la frontière, côté mexicain, les demandeurs d'asile devant attendre que leurs requêtes soient examinées par les tribunaux américains de l’immigration ? Des personnes déjà particulièrement exposées le seraient encore davantage aux violences et aux violations des droits humains imputables aux bandes criminelles.

Amnesty International s'est entretenue avec quatre représentants du gouvernement mexicain en poste dans des villes frontalières et il ne fait aucun doute que la plus grande confusion règne. « Nous faisons notre travail normalement », a déclaré l'un d'entre eux à Tamaulipas. « Je ne pense pas que nous ayons des directives concernant la manière d'accueillir ceux qui sont renvoyés », a ajouté un représentant à Chihuahua.

Dans ce climat d'incertitude et de peur, les migrants et les demandeurs d'asile sont très exposés à la coercition et aux violations de leurs droits à une procédure légale. Craignant un gouvernement américain qui semble prompt à les détenir et à les expulser et plongés dans l’incertitude quant à leur situation pendant leur séjour sur le territoire mexicain, leur désespoir et les violations qu'ils sont contraints de subir ne pourront que s'accroître.

Cet article a été initialement publié par IPS

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