Face à l’inaction du gouvernement pour lutter contre les contrôles au faciès en France, nous avons saisi la justice. Après avoir saisi le Conseil d’État en 2023, puis le Comité pour l'élimination de la discrimination raciale l’année suivante, nous nous sommes rendus à Genève pour rencontrer le Comité des droits de l’homme des Nations unies, en octobre 2024. Une occasion unique de dénoncer ces pratiques discriminatoires systémiques et de rappeler notre mobilisation aux côtés des associations de terrain. Retour sur un combat de longue haleine.
Un nouveau cap a été franchi. Le 7 novembre 2024, le Comité des droits de l'homme des Nations unies a pris conscience de l’ampleur des contrôles au faciès en France. Préoccupé par leur persistance, ce comité a épinglé l’État français et a critiqué l’absence de mesures efficaces pour y mettre fin.
La délégation française, représentée par l’Ambassadrice pour les droits de l’homme de la France s’est retranchée dans un déni absolu. Les représentants français ont affirmé que « tout profilage ethnique ne saurait exister au sein de notre République » et que la France s’en préservait grâce à sa législation et ses institutions. Ces déclarations sont non seulement mensongères mais aussi en contradiction avec le constat du Conseil d'État, qui, en octobre 2023, a reconnu l'existence de contrôles discriminatoires.
Les autorités françaises semblent vouloir minimiser un problème largement documenté et répandu, ignorant du même coup la souffrance des victimes.
Des personnes sont contrôlées par la police simplement du fait de leur origine réelle ou supposée
Des études quantitatives montrent que les hommes et les jeunes garçons perçus comme noirs ou arabes sont ciblés de manière disproportionnée lors de contrôles d’identité et de fouilles.
Nous avons enquêté. Avec des associations de terrain, nous avons récolté des éléments établissant que la police procède à des contrôles d’identité dits "au faciès" sur la base de caractéristiques physiques associées à une origine réelle ou supposée. Des policiers eux-mêmes nous ont confirmé avoir recourt à ce type de pratiques discriminatoires. En plus d’être totalement injustes et injustifiés, les contrôles discriminatoires d’identité ont des effets dévastateurs sur les victimes, dont certaines sont des enfants âgés d'à peine 12 ans.
Par l’absence d’encadrement strict conforme au principe de non-discrimination, la police dispose de pouvoirs trop étendus qui permettent d’effectuer de tels contrôles discriminatoires.
Notre action est historique : pour la première fois des associations ont saisi la justice pour dénoncer l’inaction du gouvernement français face aux contrôles discriminatoires d’identité dans le cadre d’une action de groupe.
C’était en juillet 2021. Nous saisissions le Conseil d’État avec cinq autres associations. Tout a commencé le 27 janvier 2021. A l’époque, nous avions mis en demeure le Premier ministre, le ministre de l’Intérieur et le ministre de la Justice d’engager des réformes structurelles et des mesures concrètes afin de mettre un terme à ces pratiques policières discriminatoires en France.
Les autorités avaient quatre mois pour réagir. Face à leur silence, nous avons lancé cette action de groupe en nous appuyant sur de nombreux témoignages de personnes ayant subi des contrôles d'identité discriminatoires dans différentes villes à travers le territoire français (Paris, Rennes, Beauvais, Lorient, Châtellerault, Eybens, Lyon, Toulouse et Lille), ainsi que ceux de plusieurs policiers.
#Contrôlesaufaciès : une procédure historique contre l'inaction de l'État français
Le 11 octobre 2023, le verdict est tombé : le Conseil d’État a rejeté notre requête en reconnaissant que les contrôles d'identité discriminatoires existent. Il a décidé de ne pas user de son pouvoir pour ordonner à l’État de prendre les mesures nécessaires pour y mettre fin. À la suite de cette décision nous avons continué le combat.
Six mois après que le Conseil d'État a reconnu que les contrôles discriminatoires existent, le gouvernement n’a pris aucune mesure pour endiguer le problème.
Face à l'épuisement des voies de recours internes, nous avons saisi l’ONU avec la Maison Communautaire pour un Développement Solidaire (MCDS), Pazapas Belleville, REAJI, (RE)Claim et Human Rights Watch.
Le 11 avril 2024, nous avons interpellé le Comité des Nations unies pour l'élimination de la discrimination raciale (CERD) des Nations Unis sur le contrôle au faciès pratiqués par la police française. Nous appelons l’ONU et ses experts à reconnaître la nature systémique du problème du contrôle au faciès en France et proposer des mesures spécifiques que devraient prendre le gouvernement français pour faire cesser ces contrôles au faciès.
Qu’est-ce que le profilage ethnique ou ‘contrôle au faciès’ ?
Selon la définition de la Commission européenne contre le racisme et l’intolérance (ECRI), le profilage racial ou ethnique est « l’utilisation par la police, sans justification objective et raisonnable, de motifs tels que la race, la couleur, la langue, la religion, la nationalité ou l’origine nationale ou ethnique dans des activités de contrôle, de surveillance ou d’investigation. »
Il est également appelé contrôle discriminatoire d’identité ou encore « contrôle au faciès ».
Pour en savoir plus : Qu’est-ce que le « contrôle au faciès » ?
Les contrôles d’identité au faciès en France sont des discriminations systémiques
C’est ce que nous avons démontré lors de notre action de groupe et que nous continuons de démontrer dans toutes les procédures que nous engageons.
L’action de groupe est une procédure innovante : elle permet à des associations de saisir la justice pour que cette dernière contraigne les autorités à prendre des mesures. Notre objectif était de permettre la fin des contrôles d’identité discriminatoires.
Nous l’avions intentée aux côtés de cinq organisations nationales ou internationales : la Maison communautaire pour un développement solidaire (MCDS), Pazapas, Réseau Égalité, Antidiscrimination, Justice interdisciplinaire (Reaji), Human Rights Watch et Open Society Justice Initiative.
Les contrôles discriminatoires d’identité ne sont pas des pratiques isolées. Pourtant, malgré des preuves abondantes, les autorités françaises s'obstinent à nier cette réalité. Elles continuent de prétendre que les contrôles discriminatoires ne sont le fait que de « brebis galeuses », autrement dit, de quelques policiers isolés, et non l’expression d’un cadre institutionnel défaillant. Ce déni entrave toute possibilité de changement significatif.
Les discriminations systémiques, sont des pratiques généralisées ancrées dans « un ensemble de règles juridiques, de politiques, de pratiques et d’attitudes culturelles prédominantes (…) qui créent des désavantages relatifs pour certains groupes et des privilèges pour d’autres groupes » (définition du Comité des droits économiques, sociaux et culturel des Nations unies).
Pour y faire face, des mesures isolées, telles que l'utilisation de caméras-piétons et l'obligation pour les policiers de porter un numéro d'identification, ne suffisent donc pas. Pour régler une problématique systémique, il est nécessaire de penser un ensemble de mesure. Mesure que les autorités françaises n’ont jamais appliquées malgré les rappels à l’ordre.
L’État français rappelé à l’ordre à plusieurs reprises
Depuis plus de dix ans, des instances européennes et onusiennes exhortent les autorités françaises à mettre un terme aux contrôles d’identité discriminatoires.
➡️Le 8 juin 2021, la Cour d'appel de Paris a condamné l’État pour « faute lourde » dans l’affaire des contrôles d’identité discriminatoires de trois lycéens qui revenaient d’un voyage scolaire, dans une gare parisienne, en 2017.
➡️Le 28 juin 2021, la Haute-Commissaire des Nations unies aux droits de l'homme a épinglé la France en raison des contrôles d’identité "au faciès" dans son rapport sur la « Promotion et protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales des Africains et des personnes d’ascendance africaine face au recours excessif à la force et aux autres violations des droits de l’homme dont se rendent coupables des membres des forces de l’ordre ».
➡️Le 11 octobre 2023, le Conseil d’État a reconnu que les contrôles d'identité discriminatoires ne sont pas des cas isolés.
➡️Le 7 novembre 2024, le Comité des droits de l'homme des Nations unies a exprimé sa préoccupation face à la persistance de ces pratiques en France.
Nos recommandations
Un problème systémique nécessite une réponse systémique.
L’État français doit :
Modifier le cadre légal des contrôles d'identité
Protéger les mineurs
Adopter une circulaire explicite et concrète
Mettre en place un système d’enregistrement, d’analyse et de traçabilité des contrôles
Modifier les politiques facilitant le profilage racial
Créer un mécanisme de plainte indépendant et efficace