Les technologies de cybersurveillance sont de plus en plus discrètes, invasives, dangereuses pour nos droits. Une régulation de ce secteur extrêmement opaque s'impose.
En juillet 2021, les révélations Pegasus ont dévoilé un scandale mondial de cybersurveillance. Elles ne reflètent que la partie émergée de l’iceberg. Les technologies de surveillance numérique ciblée sont une réelle menace pour le droit à la vie privée. Pourtant, le secteur ne fait l’objet d’aucune véritable régulation.
C’est pourquoi nous nous battons pour un moratoire mondial sur l’utilisation, la vente et le transfert de ces technologies jusqu'à ce qu'un cadre réglementaire approprié en matière de droits humains soit mis en place. 100 000 personnes se sont jointes à cet appel en signant notre pétition mondiale. Nous l'avons remise aux États membres des Nations unies.
NOS ÉQUIPES SONT à L'ONU
Dans le cadre de la 77e Assemblée générale des Nations Unies, une résolution sur le droit à la vie privée à l’ère du numérique va être débattue. Nous avons identifié ce moment comme clé pour encourager les États à adopter des positions fortes sur le secteur de la cybersurveillance. Nos équipes sont en ce moment à New-York pour mener ce travail.
Notre objectif : que la résolution adoptée appelle à la réglementation de ces technologies, qui menacent notre droit à la vie privée, mettent en danger l'ensemble de nos droits et sont pourtant aujourd’hui totalement hors de contrôle.
Notre plan d’action : rencontrer les délégations des États membres des Nations unies pour les sensibiliser aux dangers que font peser ces technologies sur les droits humains. Ces rencontres, nos équipes de plaidoyer les font, accompagnées des 100 000 voix des signataires de notre pétition contre la surveillance numérique ciblée. Avec nous, une journaliste et un militant visés par Pegasus témoigneront.
Les équipes d'Amnesty International devant le siège des Nations-Unies pour remettre la pétition mondiale contre la surveillance numérique illégale; pétition qui a rassemblé 100 000 signatures à travers le monde - New-York le 28/10/22 / © Inès Mermet - Amnesty International
Ils ont été espionnés
Mahjoub Maliha et Julia Gavarrete. Un militant sahraoui et une journaliste salvadorienne. Tous deux ont été espionnés par le logiciel espion Pegasus. Ils sont venus livrer leur témoignage à New York, devant les représentants des États membres de l’ONU, pour expliquer les conséquences néfastes de ces technologies sur leur travail. Par leur témoignage à l’ONU, Mahjoub Maliha et Julia Gavarrete se font aussi les porte-voix des milliers de militants et de journalistes qui subissent la même situation.
👉Mahjoub Maliha, militant sahraoui
Mahjoub Maliha, militant sahraoui espionné par Pegasus, est devant le siège des Nations unies et porte la pétition d'Amnesty International demandant la fin de la surveillance numérique illégale / © Inès Mermet - Amnesty International
J’ai été espionné pour la seule et unique raison d’être un défenseur des droits humains ! L’intention derrière un espionnage, c’est de te faire du mal et d’éliminer ton travail.
Quelle a été votre réaction quand vous avez découvert que vous étiez espionné ?
C’était un sentiment terrible. Tout s'est passé très vite. J’étais sur mon téléphone en train de consulter mes emails. J’ai reçu un mail d’un parti politique avec qui j’échangeais des informations sur la situation des droits humains au Sahara occidental. Je n’ai même pas eu le temps de le lire que l'email avait déjà changé de couleur. Il avait été lu par quelqu’un d’autre que moi. À ce moment-là, je me suis demandé qui m’espionnait et pourquoi. Mon téléphone a été analysé par les équipes d’Amnesty Tech qui ont bien confirmé qu'il avait été infecté par Pegasus. Là, ce que je réalise, c’est que quelqu’un d’hostile a un accès complet à ma vie personnelle : à mes emails, à toutes mes communications, mes photos et même mon compte bancaire !
Pour quelles raisons avez-vous été espionné et par qui ?
J’ai été espionné pour la seule et unique raison d’être un défenseur des droits humains. Je travaille activement sur le Sahara occidental, en défendant le droit de son peuple à l’autodétermination. Au vu du sujet, l’utilisateur derrière mon espionnage est certainement le Maroc. Défendant la lutte sahraouie, il n’y avait que le Maroc qui avait un intérêt de m’espionner ! L’intention derrière un espionnage c’est de te faire mal et d’éliminer ton travail.
Pourquoi est-ce important d’agir contre ces logiciels espions ?
Je suis une victime de Pegasus, mais si nous regardons bien, nous sommes tous des victimes. C’est une sorte de Covid digital, si je suis infecté, tout mon entourage, de près ou de loin, l’est aussi : ma famille, mes amis, les gens avec qui je travaille. Sans plus attendre, c'est donc aux États de traiter du sujet, collectivement. Un moratoire mondial sur l'utilisation de ces technologies est nécessaire. En venant ici témoigner à l’ONU, mon intention n’est pas qu’on s’apitoie sur mon sort, mais bel et bien que les États agissent ! Des logiciels espions comme Pegasus ont un impact terrible sur l’ensemble de nos droits.
Et je tiens à remercier les personnes qui ont signé la pétition d’Amnesty International sur le sujet. Elle est essentielle pour montrer que nous ne sommes pas seuls et elle marque le début d’un travail important. Car ça ne va pas s’arrêter là ! Nous allons continuer la lutte contre les logiciels espions.
👉Julia Gavarrete, journaliste salvadorienne
Portrait de Julia Gavarrete, journaliste salvadorienne, espionnée par Pegasus. Photo prise dans les bureaux d'Amnesty International, devant le siège des Nations-Unies - New York / © Inès Mermet - Amnesty International
En tant que journaliste, quand on est victime d’espionnage, nous sommes très impactés par rapport à nos sources et comment elles perçoivent cet espionnage. Beaucoup ont peur de parler, de nous contacter.
Quelle a été votre réaction quand vous avez découvert que vous étiez espionnée ?
J’étais en état de choc ! J’étais avec des amis, j’avais constaté des problèmes avec mon téléphone. Alors j’ai décidé de le faire analyser. Et j’ai eu la confirmation : j’avais bien été espionnée par Pegasus. C’était en septembre 2021. Ça a été un choc parce qu'être espionnée c’est une invasion dans ta confidentialité, qui est virtuelle, certes, mais aujourd’hui notre vie sur nos téléphones est connectée à notre vie réelle. Nos appareils sont devenus des outils du quotidien. Nous faisons tout dessus, nous sommes en lien chaque jour avec les personnes qui nous entourent. Quand j’ai su que j’avais été espionnée, j’ai aussi pensé à ces personnes-là, mes proches, mes contacts avec qui je travaille. Cet espionnage ne me concernait pas moi uniquement, il touchait aussi aux personnes de mon entourage.
En quoi ce type d’espionnage impacte-t-il votre travail de journaliste ?
Quand on est victime d’espionnage, nous les journalistes sommes très impactés avec nos sources : comment elles perçoivent cet espionnage. Beaucoup ont peur de parler, de nous contacter. Nous vivons déjà dans un pays, le Salvador où beaucoup de personnes qui sont critiques se taisent par peur de représailles. Sachant qu’on a été espionné, beaucoup de sources ne veulent plus nous partager d’informations. Donc les logiciels espions ont un impact très direct sur notre travail de journaliste. Car sans sources, on ne fait pas d’articles, on est extrêmement limités.
Nous n’avons pas été espionné pour être des « personnes communes », nous avons été espionnés pour notre travail journalistique au Salvador.
Pourquoi est-ce important d’agir contre ces logiciels espions ?
C’est un secteur bien trop opaque. La principale mesure que devrait prendre les gouvernements c’est de prendre leur responsabilité. Car c’est leur devoir de protéger les citoyens et les citoyennes qui peuvent être victimes de programmes très sophistiqués, puissants et dangereux comme Pegasus. Les Etats doivent considérer ça sérieusement ! Surtout que de plus en plus de gens sont conscients de l’importance de la protection des données, de notre droit à la vie privée. Les milliers de signatures à l’international pour demander la fin de l’usage abusif de ces technologies le montre. Ça concerne le respect des droits fondamentaux comme le respect de la vie privée, de la liberté d’expression mais pas seulement. Là, on parle du droit de vivre !
Compte rendu de nos rendez-vous aux Nations-Unies 👇
Depuis New-York, nos équipes ont rencontré la délégation française des Nations-Unies. L'occasion d'expliquer les conséquences de la cybersurveillance sur nos droits fondamentaux et ainsi, de souligner le besoin d'une régulation.
Réaction : les représentants de la France ont bien accueilli nos messages et nos recommandations. Nous avons échangé sur le besoin de construire un consensus politique sur le sujet. Ils se sont engagés à poursuivre le dialogue avec nous.
Nous espérons que la France sera motrice dans la résolution débattue aux Nations-Unies sur le droit à la vie privée.
Nos équipes ont rencontré la délégation brésilienne des Nations-Unies car c’est le Brésil qui co-porte, avec l’Allemagne, la résolution sur le droit à la vie privée à l’ère du numérique.
Cette résolution est adoptée tous les deux ans, permettant de supprimer des éléments ou d’en inclure de nouveaux. Cette année donc, la résolution va être à nouveau discutée, première fois depuis le scandale des révélations Pegasus. Nous avons donc insisté sur la nécessité de renforcer la protection des droits humains face aux dangers de la cybersurveillance.
La délégation brésilienne s’est montrée à l’écoute de nos messages. Le Brésil a un vrai rôle à jouer dans la facilitation des négociations.
Nos équipes ont été reçues par le cabinet du président de l’Assemblée générale des Nations-Unies. Nous leur avons partagé notre analyse sur l’impact de la cybersurveillance sur les droits humains en leur soulignant le besoin de mobiliser les Etats sur le sujet.
Le cabinet de l’AGNU a reconnu et salué la mobilisation internationale sur le sujet. Nous leur avons évoqué les 100 000 signatures qui, avec nous, appellent à un moratoire mondial sur l’exportation, la vente et l’utilisation des technologies de cybersurveillance. En s’adressant à la représentation institutionnelle de tous les Etats membres de l’ONU, nous envoyons un message fort : à un problème mondial, la réponse doit être mondiale.
Katia Roux
Léna Collette
Justine Payoux
Problème mondial, réponse mondiale
Face à des technologies de cybersurveillance toujours plus discrètes, invasives et dangereuses et à un secteur extrêmement opaque, la réponse doit être globale. C’est pour cette raison que nous appelons à un moratoire mondial sur les transferts et l’utilisation des technologies de cybersurveillance, en attendant l’adoption d’un cadre réglementaire respectueux des droits humains.
Qu’est-ce qu’un moratoire ?
Un moratoire accorde un délai ou une suspension volontaire d'une action. Suspendre temporairement les ventes, transferts, exportations et l’utilisation des technologies de surveillance jusqu’à la mise en place de garanties en matière de droits humains permettrait de stopper les abus que l’on connaît aujourd’hui.
Nous ne sommes pas les seuls à porter cette demande. Nombreux sont les acteurs à alerter sur les dangers de la cybersurveillance et à appeler, eux aussi, à un moratoire mondial.
Le Haut-Commissariat aux droits de l'homme de l'ONU appelle au moratoire : «Ces logiciels espions ont souvent été utilisés pour des raisons illégitimes, notamment pour réprimer les opinions critiques ou dissidentes et ceux qui les expriment. »
Les experts des Nations Unies appellent au moratoire : « Il est extrêmement dangereux et irresponsable de permettre au secteur des technologies et du commerce de la surveillance de fonctionner comme une zone de non-droit. »
Les organisations de la société civile appellent au moratoire : « Une culture de l'impunité spécifique à la surveillance numérique ciblée s'est développée et doit être contrée de toute urgence. »
C’est maintenant aux États de se joindre à cet appel.
L'engagement de la France
Lors des révélations Pegasus de juillet 2021, la France a été particulièrement exposée (des journalistes français ont été victimes du logiciel espion, Emmanuel Macron était une cible potentielle).
La France a un rôle important à jouer pour que les pratiques de surveillance numérique soient conformes aux exigences du droit international. Nous attendons qu’elle soutienne cet appel, qui résonne tout particulièrement en France : sur les 100 000 personnes à l’international qui soutiennent notre demande de moratoire, 70 000 sont françaises.
Le sujet de la cybersurveillance nous concerne toutes et tous. Si rien n’est fait, les abus continueront. Une fois nos messages adressés auprès des Nations-Unies, des actions concrètes et ambitieuses vont devoir être mises en place. Nos droits sont en jeu.
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Nos équipes sont en ce moment à New-York pour parler cybersurveillance aux Etats membres de l'ONU.
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