La Pologne a l’une des lois sur l’avortement les plus restrictives d’Europe. Avec Malte, c’est l’un des deux seuls États membres de l’Union européenne (UE) qui n’a pas légalisé l’avortement sur demande ou pour des motifs sociaux élargis. Pourtant au XXème siècle, ce pays a été l’un des premiers à alléger les restrictions d’accès à l’avortement sur le continent.
Le 12 avril 2024, le Parlement polonais a approuvé en première lecture 4 modifications des lois très restrictives sur l'avortement. Ce vote constitue une étape importante vers l'accès à un avortement sûr et légal.
Dépénaliser l'avortement est essentiel pour garantir que toutes les personnes qui ont besoin d'avorter, celles et ceux qui pratiquent des avortements et les défenseur.es de ce droit, ne s’exposent pas à des poursuites pénales. Les responsables politiques doivent écouter les voix de la société civile qui se battent pour le droit à l’avortement, et mettre fin aux restrictions cruelles et dangereuses de ce droit.
Jusqu’en 1956 en Pologne, l’avortement n’était autorisé que dans trois cas : s’il existait un danger de vie pour la mère, en cas de viol ou d’inceste et en cas de malformation du fœtus.
Cependant, à partir du 27 avril 1956, des motifs sociaux sont ajoutés aux raisons légales pour avorter : les femmes qui justifient de conditions socio-économiques difficiles (famille monoparentale, pas ou peu de revenus, une situation de pauvreté générale) peuvent désormais y avoir accès. Une avancée très importante puisqu’elle intègre la notion de choix pour les femmes et les personnes enceintes.
Dans les années 60 et 70, des femmes et personnes souhaitant avoir recours à l’avortement provenant d’autres pays européens se rendaient en Pologne afin d’interrompre leur grossesse.
Comment ce pays qui a été à l’avant-garde en Europe de la protection de ce droit essentiel s’est-il retrouvé avec l’une des lois les plus restrictives en matière d’avortement ?
Retour sur les lois promulguées ces cinq dernières années sur l’avortement en Pologne. 👇
De 1956 à 1993, l’avortement est légal et gratuit en Pologne. Le premier coup porté pour en restreindre l’accès a lieu en 1993, peu après la chute du régime communiste dans le pays.
Un bond de 40 ans en arrière. Les conditions socio-économiques sont retirées des raisons légales pour avorter. Il reste seulement trois raisons pour lesquelles les femmes peuvent avorter : en cas de danger de vie pour la mère, de viol ou d’inceste et de malformation du fœtus. En dehors de ces trois cas, il est interdit à toute personne de pratiquer un avortement et/ou d'aider une personne enceinte à avorter sous peine d'une sanction pouvant aller jusqu’à trois ans de prison ferme.
Les attaques contre le droit à l’avortement reprennent en 2011.
Une série de projets et propositions de lois sont faites pour restreindre le droit à l’avortement (en 2011, 2013, 2015, 2016 et 2018). Elles échouent toutes grâce à des mobilisations massives telles que les « Black Protests », largement relayées et soutenues par des mouvements dans plusieurs pays d’Europe et plus de 200 ONG à l’international.
Après des années de diabolisation du droit à l’avortement, le tribunal constitutionnel polonais interdit l’avortement en cas de « malformation grave et irréversible du fœtus ou de maladie incurable qui menace la vie du fœtus », le 22 octobre 2020.
Cette décision donne lieu à de fortes mobilisations en 2020 et 2021, violemment réprimées par les autorités polonaises, notamment celles connues sous le nom de Grève des femmes (Strajk Kobiet en polonais). Malgré ces mobilisations, la décision entre en vigueur le 27 janvier 2021. Or, 96% des avortement légaux pratiqués en Pologne l’étaient pour un motif d’anomalies fœtale grave ou mortelle diagnostiquée.
Cette décision met en danger la vie de milliers de femmes, de filles et de personnes pouvant être enceintes contraintes désormais d’avorter dans des conditions dangereuses.
Les dates clés sur le droit à l’avortement en Pologne
Avril 1956 : Légalisation du droit à l’avortement en Pologne. Les raisons légales pour avorter sont élargies et les motifs sociaux pris en compte. Une avancée majeure.
1993 : retour en arrière. Les motifs sociaux sont supprimés des raisons légales pour avorter.
2011, 2013, 2015, 2016 et 2018 : de nombreuses offensives contre le droit à l’avortement sont exercées par les mouvements anti-choix et le parlement polonais. Grâce aux mobilisations massives, ces tentatives n’aboutissent pas.
Le 22 octobre 2020, le tribunal constitutionnel polonais interdit l’avortement en cas de malformation du fœtus.
Où en sommes-nous aujourd’hui ?
Aujourd’hui en Pologne, l’avortement n’est autorisé qu’en cas de danger pour la vie ou la santé de la femme ou personne enceinte, ou si la grossesse découle d’un viol ou d’un inceste.
Dans la pratique, cependant, il est quasi impossible pour les personnes éligibles à un avortement légal de l’obtenir.
Chaque année, des milliers de femmes et personnes enceintes quittent la Pologne pour interrompre leur grossesse dans d’autres pays européens.
Chaque année, des milliers de femmes et personnes enceintes quittent la Pologne pour interrompre leur grossesse dans d’autres pays européens, tandis que certaines importent des pilules abortives ou cherchent des moyens non légaux d’avorter en Pologne. Les femmes et autres personnes polonaises souhaitant avorter, particulièrement celles qui se trouvent dans des situations précaires, dépendent de l’aide cruciale des organisations de la société civile, qui disposent souvent de ressources limitées.
Le 22 septembre 2021, une femme est morte après s’être vu refuser l’accès à des services d’avortement alors qu’une malformation du fœtus était avérée.
Elle s’appelait Izabel, elle avait 30 ans et une petite fille de 9 ans.
D’autres femmes sont mortes depuis Izabel, comme Dorota Lalik, le 24 mai 2023.
La mobilisation continue
Des manifestations ont eu lieu en octobre et novembre 2021 dans le pays pour réclamer justice pour la famille d’Izabel et, plus largement, l’adoption de réformes.
➡️ En 2021 plus de 1 000 femmes se sont tournées vers la Cour européenne des droits de l’homme pour faire valoir leurs droits et contester la loi sur l’avortement en Pologne.
➡️ En juin 2022, la Cour européenne des droits de l’homme a demandé des explications à la Pologne sur cinq nouvelles affaires concernant des refus d’accès aux services d’avortement.
Des membres de la société civile et des associations continuent à se mobiliser pour que l’accès à l’avortement soit de nouveau sûr et légal en Pologne. C’est le cas du collectif Abortion Dream Team qui fait campagne en faveur du droit à l’avortement, et propose des conseils et des informations pour accompagner les personnes qui souhaitent avorter.
Justyna Wydrzyńska, l’une de ses fondatrices a dédié plusieurs années de sa vie à ce combat pour un avortement sûr et légal dans le pays. Aujourd’hui, cette militante de 47 ans est harcelée par les autorités polonaises. La justice l’a récemment condamnée à 8 mois de travaux d'intérêt général pour avoir aidé une femme à avorter.
Le but des autorités polonaises est clair : museler toutes les voix qui critiquent leur politique anti-avortement.
Nous sommes à côtés de toutes les personnes qui défendent le droit à l’avortement en Pologne et partout dans le monde.
Justice pour Justyna, condamnée pour avoir aidé une femme à avorter en Pologne !
✍ Demandez au Procureur général polonais d’annuler la condamnation de Justyna Wydrzyńska.
Justyna doit pouvoir mener son travail sans persécution ni répression. L’accès à l’avortement est un droit humain, et personne ne devrait être puni pour avoir protégé ce droit.