L’Égypte va accueillir la COP27, la conférence mondiale de l’ONU sur le climat, du 6 au 18 novembre. Avant que les projecteurs du monde entier ne soient braqués sur l’Égypte, rappelons que le pays connaît une crise sans précédent des droits humains. Éclairage avec Souleimene Benghazi, chargé de campagne à Amnesty International sur l’Égypte.
Les autorités égyptiennes dissimulent la répression et empêchent toute forme d’opposition.
Souleimene Benghazi
Chargée de campagne à Amnesty International
Si la COP27, qui se dérouler en Égypte du 6 au 18 novembre 2022, est un moment crucial pour traiter de l'urgence climatique, c'est aussi une occasion de s'attaquer à la grave crise des droits humains qui sévit dans le pays. Depuis que le président al-Sissi est au pouvoir, l’Égypte est au cœur d’une profonde crise des droits humains. Exécutions extrajudiciaires, détentions arbitraires massives, disparitions forcées, répression sévère contre des organisations de la société civile et contre les journalistes et les médias indépendants... D'après nos recherches, vingt-deux journalistes sont actuellement en prison en Égypte et plus de 600 sites de médias et d’ONG sont bloqués.
Explications avec Souleimene Benghazi, notre chargé de campagne sur l’Égypte.
Quelle est la situation des droits humains en Égypte ?
Sans surprise, les autorités présentent un bilan mensonger de la situation des droits humains. En mars 2021, au Conseil des droits de l’homme, trente-deux États, dont la France, ont critiqué la situation des droits humains en Égypte. Cette prise de position importante a eu un large écho dans la presse et a fait réagir les autorités égyptiennes. Ça a sans doute contribué à l'élaboration de la Stratégie nationale des droits humains (SNDH) lancée en septembre 2021.
Cette stratégie est un « coup de com » des autorités égyptiennes pour redorer leur blason auprès de la communauté internationale, surtout avant la COP27.
Une "stratégie" présentée comme un document de référence par les autorités pour montrer qu'elles se préoccupent de la question des droits humains en Égypte. Après son analyse détaillée dans notre dernier rapport intitulé « Égypte. Une stratégie nationale déconnectée de la réalité occulte la crise des droits humains » nous pouvons affirmer que cette stratégie n'est ni plus ni moins qu'un outil de propagande pour dissimuler la répression et empêcher toute forme d’opposition en Égypte. Cette stratégie est un « coup de com » des autorités égyptiennes pour redorer leur blason auprès de la communauté internationale, surtout avant la COP27.
Le pays connaît une grave crise des droits humains et une répression violente de toute opposition. Et le pire, c'est que les autorités égyptiennes refusent de reconnaître leurs torts dans la crise actuelle des droits humains. Elles invoquent des enjeux économiques et sécuritaires ou rejettent la faute sur les citoyens eux-mêmes, qui, soi-disant, n’auraient pas connaissance de leurs droits. Elles cherchent sans cesse à se déculpabiliser.
Comment les autorités égyptiennes comptent-elles redorer leur image avec la COP27 ?
Les autorités utilisent les évènements internationaux comme plateforme. Leur discours c’est de dire : « Regardez, on organise des évènements internationaux avec une participation de la société civile. » Mais de quelle cette société civile s’agit-il ? Indépendante ? pro-gouvernementale ? Je vous laisse deviner…
Un autre discours porté par les autorités : « Nous autorisons les manifestations ». Les autorités ont bien déclaré que les manifestations allaient être autorisées pendant la COP27, mais dans un espace bien délimité. Mais en dehors de cet espace clos, comment vont se passer les manifestations ? C’est un grand point d’interrogation. En connaissant les pratiques très violentes des forces de sécurité égyptiennes, il y a de vraies inquiétudes à avoir.
Lire aussi : En Egypte, est-il encore possible de manifester ?
[Twitter Space] COP27 en Égypte : un double enjeu pour nos droits
Mercredi 19 octobre 2022 à 19h, nous avons organisé une conférence en ligne avec Souleimene Benghazi, chargé de campagne Égypte à Amnesty International, Camille Etienne, activiste pour la justice sociale et climatique, Céline Lebrun-Shaath, défenseure des droits humains, Sabine Gagnier, responsable de programme à Amnesty International France.
Y-a-t-il un risque de représailles pour les personnes qui manifesteront en Égypte pendant la COP27 ?
Le risque de représailles est toujours présent. Pendant la COP, les projecteurs seront braqués sur l’Égypte. Les autorités égyptiennes vont donc « essayer » de ne pas commettre de violations des droits humains et limiteront leurs attaques contre la société civile. Mais une fois que la COP sera passée, il y a une vraie crainte que les autorités ciblent les activistes et le staff des ONG qui auront émis des discours critiques.
Personne ne semble dupe… Et pourtant, on continue de dérouler le tapis rouge à al-Sissi. Emmanuel Macron lui a remis la légion d’honneur en 2020. Comment l’expliquer ?
Très souvent, les autorités françaises soutiennent que la « diplomatie discrète » ou la « diplomatie silencieuse » fonctionne et permet d’améliorer la situation des droits humains. La réalité c’est que ça ne fonctionne pas. La preuve ce sont les milliers de personnes qui croupissent encore dans les prisons égyptiennes…
En décembre 2020, le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi en visite officielle en France a été décoré de la grande croix de la Légion d'honneur par le président français Emmanuel Macron.
Avec la COP27, qu’est-ce qu’on attend de la communauté internationale vis-à-vis de l’Égypte ?
On attend une prise de position publique ferme envers les autorités égyptiennes. La COP27 doit être impérativement utilisée comme un moment unique pour accroître la pression sur les autorités. Avec la COP, c’est le moment de sortir de la diplomatie silencieuse ! Les discussions privées c’est bien, mais les prises de positions publiques, c’est mieux. Et s’exprimer publiquement permet de manifester sa solidarité avec les personnes détenues et leur famille. C’est primordial.
En janvier 2022, Ramy Shaath a été libéré après plus de 900 jours passés dans les prisons égyptiennes. Beaucoup croupissent encore dans les prisons, comme Alaa Abdel Fatah. Quelle est sa situation ?
Alaa Abd el Fatah, c’est la bête noire des autorités égyptiennes. C’est un célèbre activiste égyptien qui a participé à la révolution de 2011. Il a été arrêté puis libéré à plusieurs reprises. Sa dernière arrestation c’était en septembre 2019. Il a étécondamné à cinq ans de prison pour « propagation de fausses informations ». Il a obtenu la nationalité britannique récemment. En tant que citoyen égypto-britannique, l’une de ses principales demande est d’avoir accès à une visite consulaire, ce que les autorités égyptiennes lui refusent.
Son avocat, Mohamed Baker, a lui aussi été arrêté et condamné à quatre ans de prison pour fausses informations. Avec Alaa Abd el Fatah, ils sont devenus des cas emblématiques de la répression des autorités égyptiennes. Ils ont été arrêtés et condamnés en raison de publications sur les réseaux sociaux.
Faites pression sur les autorités pour libérer Alaa Abdel Fattah et Mohamed El-Baqer
Des libérations grâce à la mobilisation internationale. 👇
À lire : Le militant égypto-palestinien Ramy Shaath libéré après deux ans et demi de prison
À lire : La journaliste égyptienne Solafa Magdy libérée après 500 jours de prison
Ramy Shaath et Solafa Magdy. Un défenseur des droits humains et une journaliste. Un pays, l’Égypte. Tous deux ont osé critiquer le pouvoir. Des premières manifestations de la révolution égyptienne aux cellules des prisons du Caire en passant par l’incroyable mobilisation pour les soutenir, suivez dans notre podcast WE MADE IT leurs destins devenus parallèles.
À écouter : "Égypte, résister coûte que coûte", la saison 1 de notre podcast WE MADE IT
Quelles sont les stratégies des autorités égyptiennes pour faire taire les personnes critiques ?
Les autorités jouent sur deux accusations principales pour emprisonner les opposants : « appartenance à un groupe terroriste » et « propagation de fausses informations ». Dans la plupart des cas sur lesquels nous travaillons, les personnes sont arrêtées avec ces chefs d’accusation. Tout ça, sous couvert de « lutte contre le terrorisme ». C’est absurde.
Est-ce que la société civile égyptienne existe encore ?
Elle survit, tant bien que mal. Il y a encore des activistes en Égypte mais ils travaillent dans un environnement extrêmement hostile, avec des contraintes très importantes, financières et juridiques entre autres. On leur met des bâtons dans les roues en permanence. Par exemple, la loi de 2019 qui régit le fonctionnement des organisations de la société civile, établit des critères très spécifiques : si une organisation ne répond pas aux critères imposés par les autorités, elle est obligée de fermer. Un des derniers exemples en date : l’ONG Arabic Network for Human Rights Information (ANHRI) a fermé récemment. Plusieurs activistes se sont exilés, mais ils continuent leur travail à distance.
Alors oui, la société civile égyptienne existe encore et continue de faire un travail remarquable. Dans ce cadre très répressif, les personnes critiques en Égypte sont extrêmement courageuses. C’est important de le souligner.
WE MADE IT
Notre podcast sur des combats qui ont changé des vies, des victoires qui ont changé des lois.
Comment travailler sur l’Égypte quand on n’a pas de bureau sur place, que le pouvoir verrouille tout et que l’on sait que les gens parlent difficilement par peur de représailles ?
À Amnesty International, nous sommes organisés en réseaux. Nous avons des contacts quotidiens avec des personnes en Égypte : les familles des personnes arbitrairement détenues, quand on travaille sur des cas individuels, ou les personnes qui travaillent en ONG, quand on travaille sur des organisations de la société civile. On communique via des applications sécurisées car certaines personnes craignent la surveillance des autorités égyptiennes. Mais nous trouvons des moyens de la contrer, on s’organise, même si ce n’est pas toujours facile. Parfois, des personnes peuvent avoir peur de prendre la parole, peur de rentrer en contact avec des organisations internationales comme la nôtre car nous sommes mal vus des autorités égyptiennes, puisque très critiques.
Est-ce qu’Amnesty International sera présente en Égypte pendant la COP27 ?
Bien sûr ! Nous serons à Charm el-Cheikh, où aura lieu la COP27. Il y aura notamment une délégation de jeunes militants mobilisés sur les enjeux climatiques. Pour nous, cette COP à un double enjeu : faire face à la crise climatique en appelant les États à prendre des actions à la hauteur de l’urgence. Et faire face à la crise des droits humains qui perdure en Égypte en appelant, là aussi, les États à ne pas rester silencieux face à tant de violations. Dans les deux cas, des vies sont en jeu.
CAR L’URGENCE EST RÉELLE, MANIFESTEZ-VOUS PENDANT LA COP27 !
Nous pouvons faire de cette COP27 un moment crucial pour les droits humains. Saisissons-le. Manifestez-vous en interpellant dès maintenant les autorités françaises présentes en Égypte pour la XXVIIe conférence des Nations Unies sur le climat.
Pendant que les chefs d’État se rencontreront lors de grandes réceptions sur des tapis rouge, l’Amazonie continuera de brûler et des milliers de prisonniers et de prisonnières d’opinion continueront de croupir dans les prisons égyptiennes.