Le 3 décembre 2022, le procureur général iranien a annoncé la dissolution de la police des mœurs, l’unité qui a arrêté Mahsa Amini, la jeune Kurde iranienne de 22 ans dont la mort a déclenché la vague de manifestations en Iran. Nous mettons en garde sur cette annonce, loin de mettre fin au port du voile obligatoire.
Les déclarations vagues et contradictoires des autorités iraniennes sur la prétendue dissolution de la « police des mœurs » iranienne ne doivent pas tromper la communauté internationale. La violence contre les femmes et les jeunes filles est et restera encore bien présente. Une violence inscrite dans les textes de lois du pays comme celle sur le port obligatoire du voile et alimentée par l'impunité dont jouissent ceux qui appliquent ces lois.
Depuis des décennies, la criminalisation des femmes et des jeunes filles en vertu de lois abusives sur le port du voile obligatoire est approuvée par le pouvoir judiciaire.
Heba Morayef, directrice régionale pour l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient à Amnesty International.
Lire aussi : Depuis la mort de Mahsa Amini, les manifestations sont réprimées dans le sang
Lire aussi : Mohsen Shekari, 23 ans, premier manifestant exécuté depuis le début du soulèvement
NE PAS SE LAISSER BERNER
Dans sa déclaration, Mohammad Jafar Montazeri, procureur général d'Iran, a affirmé que la police des mœurs n’avait rien à voir avec le pouvoir judiciaire. Faux. Depuis des décennies, la criminalisation des femmes et des jeunes filles en vertu de lois abusives sur le port du voile obligatoire est approuvée par le pouvoir judiciaire. Malgré la déclaration du procureur général qui cherche à dissocier pouvoir judiciaire et « police des mœurs », selon le Code de procédure pénale iranien, les fonctionnaires de police sont considérés comme des « fonctionnaires de justice » qui peuvent procéder à des arrestations et mener des interrogatoires sous la supervision et les ordres du procureur.
Lire aussi : Les sept méthodes de répression des autorités contre les manifestantes et manifestants
En déclarant supprimer la police des mœurs, il a précisé que « le pouvoir judiciaire continuera de réglementer le comportement des gens dans la société ». Traduction : le corps des femmes continuera d’être contrôlé par l’intermédiaire des lois sur le port obligatoire du voile. Le cadre juridique et politique iranien maintient fermement en place ces pratiques discriminantes. Aucune initiative pour les changer n’a été entreprise.
Quant à la déclaration sur la suppression de la police des mœurs, elle n’a été confirmée, à ce jour par aucune autorité officielle de la République islamique d’Iran.
QU’EST-CE QUE LA POLICE DES MŒURS ?
La « police des mœurs » iranienne - Gasht-e Ershad - est une sous-branche des forces de police du pays, mise en place en 2005. Elle relève du mandat du ministère de l'Intérieur. Cette unité patrouille dans les rues iraniennes et agit au nom de la défense des « bonnes mœurs ». C’est cette même unité qui a arrêté Mahsa Amini pour « port du voile non conforme à la loi. »
Le soulèvement populaire qui a lieu en Iran reflète la rage de la population face à des décennies d’oppression.
Heba Morayef, directrice régionale pour l’Afrique du Nord et le Moyen-Orient à Amnesty International
Plusieurs vidéos analysées en 2019 ont dévoilé le niveau de brutalité de cette « police des mœurs » contre les femmes : ils les arrêtent au hasard dans la rue, les menacent, leur ordonnent de remonter leur foulard pour cacher des mèches de cheveux ou leur donnent des mouchoirs en papier pour essuyer leur maquillage. Dans ces vidéos, on les voit les agresser physiquement, les gifler, et les pousser sans ménagement dans des fourgons de police.
Harcèlement des femmes
La « police des mœurs » place l'ensemble de la population féminine sous surveillance, mais le contrôle du corps des femmes n’est pas réservé à l’État. En Iran, les lois discriminatoires et dégradantes sur le port obligatoire du voile permettent aux agents de l’État, mais aussi à des miliciens, qui sont des acteurs non étatiques, de harceler et d’agresser des femmes et des filles chaque jour en public.
Ces lois bafouent toute une série de droits, notamment les droits à l'égalité, à la vie privée et à la liberté d'expression et de croyance. Elles avilissent les femmes et les filles, les privant de leur dignité, de leur autonomie corporelle et de leur estime d’elles-mêmes.
Fanny Gallois, responsable du programme Libertés à Amnesty International France revient sur le niveau de répression des autorités iraniennes depuis le début du soulèvement. 👇
La loi qui sanctionne les femmes ne portant pas le voile
En vertu de l'article 638 du Code pénal islamique iranien, tout acte jugé « offensant » pour la décence publique est passible d'une peine d'emprisonnement allant de 10 jours à deux mois, ou de 74 coups de fouet. Une note explicative se rapportant à cet article précise que les femmes qui sont vues en public sans voile sont passibles d'une peine d'emprisonnement allant de 10 jours à deux mois, ou d'une amende en espèces. La loi s'applique aux filles dès l'âge de neuf ans, l'âge minimum de la responsabilité pénale pour les filles en Iran. Dans la pratique, les autorités imposent le port obligatoire du voile aux filles dès l'âge de sept ans, lorsqu'elles commencent l'école primaire.
Le soulèvement populaire qui secoue l'Iran depuis septembre 2022 reflète la colère de la population face à des décennies d'oppression. Les manifestantes et manifestants ne demandent pas seulement la dissolution de la « police des mœurs » mais un changement de cap vers un nouveau système politique et juridique qui respecte leurs libertés et leurs droits fondamentaux. Pour avoir porté ces revendications, les Iraniennes et les Iraniens subissent la répression des autorités. Elles vont jusqu’à condamner à mort des manifestants. N’oublions pas la jeunesse iranienne. Nous sommes et resterons à leur côtés.
Des manifestants risquent d’être exécutés
Condamner à mort des manifestants : c’est l’une des méthodes sordides des autorités iraniennes pour étouffer les manifestations. Mohsen Shekari, un jeune manifestant, vient d’être exécuté. Profondément horrifiés par cette nouvelle, nous appelons de toute urgence à vous mobiliser pour les personnes qui risqueraient, dans les jours à venir, de subir le même sort.