Les forces de sécurité iraniennes ont commis des viols, des viols collectifs et d'autres violences sexuelles à l'encontre de femmes, d'hommes et d'enfants âgés d'à peine 12 ans qui participaient au soulèvement « Femme, Vie, Liberté ». Dans une nouvelle enquête, nous avons recueilli plusieurs témoignages et restitué les méthodes glaçantes de répression des autorités iraniennes.
120 pages d’horreur. Notre rapport intitulé « Ils m’ont violée : les violences sexuelles utilisées comme arme pour écraser le soulèvement iranien Femme, Vie, Liberté » décrit les terribles épreuves traversées par 45 personnes, parmi lesquelles 26 hommes, 12 femmes et sept mineur·es, qui ont subi des viols, des viols collectifs ainsi que d’autres formes de violences sexuelles aux mains des services de renseignement et des forces de sécurité iraniennes.
Des viols commis pour torturer, intimider et punir les manifestant·es qui remettaient en question des décennies d’oppression du régime, dans le cadre du soulèvement populaire déclenché suite à la mort de Mahsa Amini.
Les témoignages bouleversants que nous avons recueillis révèlent les atrocités que les forces de sécurité iraniennes ont infligées aux manifestant·es et personnes qui se trouvaient dans l’espace public lors du soulèvement. L’objectif premier étant la répression des personnes qui manifestent afin de les briser de l’intérieur et de les faire taire. C’est la double peine : des personnes sont victimes de violences sexuelles et doivent ensuite se taire par crainte de représailles des autorités. En Iran, il n'y a ni vérité, ni justice, ni réparation.
Attention, les témoignages de notre rapport sont difficiles à lire, ils décrivent des viols, d’autres violences sexuelles et les traumatismes psychologiques. Nous remercions toutes celles et ceux qui ont eu le courage et la confiance de partager leur témoignage.
45 témoignages
Notre rapport se concentre sur les violences sexuelles commises par les forces de sécurité iraniennes entre septembre 2022 – début du soulèvement populaire en Iran – et décembre 2022. Nous avons recueilli les témoignages de 45 personnes dans 31 provinces d’Iran, entre janvier 2023 et août 2023. Nos équipes ont mené des entretiens avec plusieurs personnes victimes de viols et de violences sexuelles, des membres de leurs familles ainsi que trois professionnels de la santé mentale : un psychologue clinicien et deux psychothérapeutes.
Entretiens à distance
Tous nos entretiens ont été menés en persan et à distance via des plateformes de communication sécurisées. Trois déclarations ont été recueillies à l’écrit en raison des craintes de représailles. Elles nous ont été fournies par des avocats.
Anonymat des témoins
La plupart des noms des témoins mentionnés dans le rapport sont des pseudonymes. Nous nous sommes abstenues de préciser les dates et les lieux des entretiens, avons supprimé tout détail permettant d'identifier les personnes, notamment leur âge, leur origine ethnique et le lieu où elles ont été détenues afin de préserver la sécurité des personnes qui ont eu le courage de témoigner dans notre rapport.
Il est difficile d’estimer le nombre de violences sexuelles commises pendant le soulèvement iranien car de nombreux cas n’ont pas été signalés par crainte des représailles. Les 45 témoignages de notre rapport ainsi que les témoignages de victimes d’anciennes personnes détenues faisant état de cas de viols et d’autres violences sexuelles indiquent néanmoins que les violations recensées s’inscrivent dans un contexte de répression plus large.
Arrestations, viols, aveux forcés
Notre rapport révèle que les auteurs des viols et autres formes de violences sexuelles sont des membres des pasdaran (gardiens de la révolution), des membres de la la force paramilitaire Bassidj, du ministère du Renseignement, ainsi que de différentes branches des forces de police. Parmi les victimes figuraient des femmes et des filles qui avaient retiré leur voile en public ainsi que des hommes et des garçons qui étaient descendus dans la rue pour exprimer leur indignation suite à la mort de Mahsa Amini.
Lire aussi : 8 méthodes de répression des autorités iraniennes contre les manifestant·es
Les violences sexuelles sont utilisées comme une arme clé dans l’arsenal répressif des autorités iraniennes.
Pendant le soulèvement, les forces de sécurité iraniennes, en uniforme ou en civil, ont arbitrairement arrêté des manifestant·es dans la rue, à leur domicile ou sur leur lieu de travail, sans mandat d'arrêt. Embarquées de force dans les véhicules, certaines personnes ont été violées dans des fourgons de police, lors de leur transfert dans des lieux détention, dont des écoles et des immeubles résidentiels, illégalement utilisés comme lieux de détention. C'est dans ces lieux que l’horreur se poursuivait : torture, viols commis par une personne ou viols collectifs, mauvais traitements avec comme objectifs l’obtention d’ « aveux » forcés, l'humiliation et la destruction des esprits.
Les viols et autres violences sexuelles étaient souvent accompagnés d’autres formes de torture et de mauvais traitements, notamment des passages à tabac, des flagellations, des décharges électriques, l’administration de pilules ou d’injections non identifiées, la privation de nourriture et d’eau, et des conditions de détention cruelles et inhumaines. Les forces de sécurité ont par ailleurs systématiquement refusé que les victimes reçoivent des soins médicaux, y compris pour des blessures liées à des viols.
Les survivant·es témoignent de l'horreur
Ces Iraniennes et ces Iraniens victimes de viols et autres violences sexuelles ont entre 12 et 48 ans. Pour notre rapport, ces personnes ont accepté de témoigner, malgré leurs traumatismes et peurs de représailles. Alors qu'elles manifestaient courageusement parce qu'elles aspiraient à plus de libertés, elles ont été plongées dans la brutalité et l’horreur sans nom du régime iranien. Leurs témoignages, extrêmement difficiles, sont nécessaires pour leur permettre, un jour, d’obtenir justice.
Farzad a subi un viol collectif dans le fourgon de police qui l’amenait dans un centre de détention après avoir été arrêté arbitrairement par des agents en civil pendant les manifestations. Libéré de prison après plusieurs jours de détention sans inculpation, il raconte ses traumatismes et sa difficulté de parler de son viol.
« Des agents en civil nous ont mis face aux parois du véhicule et nous ont infligé des décharges électriques sur les jambes [...] Ils m’ont torturé en me rouant de coups [...], et m’ont cassé le nez et les dents. Ils ont baissé mon pantalon et m’ont violé [...] Ils m’ont vraiment ravagé [...] J’ai beaucoup vomi et je saignais.
[Dans le fourgon de police], moi et un jeune détenu [Shahed] avons refusé de retirer nos vêtements et leur avons dit que s'ils nous obligeaient à les retirer, nous le signalerions à Amnesty International et à d'autres organisations de défense des droits humains.
J'ai été libéré de prison sans inculpation après plusieurs jours. Les autorités avaient essayé de trouver de quoi m’inculper, mais elles n’avaient rien trouvé. Après ma libération, un de mes amis qui avait également été détenu en prison puis relâché m'a appelé pour me voir. Le lendemain de notre rencontre, il s'est suicidé. Je ne sais pas s’il a également été violé. Il m’a dit qu’il avait été torturé mais il ne m’a pas dit qu’il avait été violé. Il a peut-être eu honte de me dire qu’il avait été violé, tout comme j’avais honte de lui dire que j’avais été violé. »
Arrêtée arbitrairement par des agents en civil pour avoir manifesté, Shirin a été détenue pendant environ neuf heures et a été violée par dix membres des forces de sécurité. Nos équipes se sont entretenues avec un·e professionnel·le de la santé mentale qui l'a prise en charge.
« Les agents ont parlé à mes deux patientes qui ont subi des viols collectifs : ‘Ne pensez pas que nous allons vous emmener dans un centre de détention officiel pour ouvrir un dossier contre vous, afin que vous puissiez devenir célèbre. Nous vous emmènerons quelque part et nous vous ferons des choses. Personne ne vous croira si vous parlez. Nous vous emmènerons quelque part et vous ferons des choses que personne ne croira de ce que vous dites. (…) Nous ferons de vous ce que nous voudrons, et vous n’aurez aucune preuve pour le dénoncer”. »
Kamal a été violé dans un centre de détention et torturé. Il décrit la pression exercée par les forces de sécurité pour lui extorquer des « aveux ».
« Je ne savais pas comment dormir, sur le dos, sur le côté gauche ou droit ? J'avais tellement été battu avec des câbles. Ils n’ont fourni de soins médicaux à personne. (…) Ils m’interrogeaient pendant une demi-heure, me menaçant pour m’extorquer des « aveux », me demandant où j’étais, ce que je faisais, avec quels médias je communiquais. Je leur ai dit que je n'avais communiqué avec personne. Ils m'ont dit que j'avais manifesté et que j'avais reçu l'ordre de groupes de détruire ma ville. Si j’ai participé à une manifestation, c’est que c'était mon droit. Chaque citoyen a le droit de manifester. (…) De nombreux mois se sont écoulés depuis, mais je souffre toujours de problèmes de santé. Je suis allé chez le médecin et on m’a dit que je devais subir une coloscopie, mais je n’y suis pas retourné parce que j’ai peur. »
Zahra a été violée par un agent des forces spéciales de la police iranienne lors de sa détention. Elle raconte son traumatisme qui la hante aujourd'hui et les séquelles irréparables de son viol.
« Je pense que je ne serai plus jamais la même personne. Vous ne trouverez rien qui me ramènera à moi-même, qui me ramènera mon âme. Tout cela m'a vieilli de 10 à 20 ans. J’espère que mon témoignage débouchera sur la justice, et pas seulement pour moi. Il est préférable de raconter ce qui s’est passé. Ainsi, nous pourrons peut-être empêcher que des événements aussi sinistres ne se reproduisent à l’avenir… et nous pourrons espérer sauver d’autres femmes et éviter que d'autres femmes aient à faire face à de si terribles épreuves. Je suis certaine que cela est arrivé à de nombreuses femmes, et pas seulement à des femmes et à des filles, mais aussi à des hommes et à des garçons. Je demande à quiconque entend ma voix, en tant qu'humain, de tendre la main aux hommes et aux femmes victimes de cette catastrophe. Nous sommes persécuté.es dans notre pays. Nous ne méritons pas cela. Chaque être humain mérite de vivre une vie décente. »
Dans son témoignage, Zahra expose aussi les menaces subies aujourd'hui par son mari, qui refuse de croire à son viol et lui demande de renoncer à sa dot, faute de quoi il portera plainte contre elle auprès des autorités en prétendant qu'elle a commis un adultère.
« Mon mari me menace tout le temps. Il ne veut pas croire que j’ai été violée et dit que je mens. Il veut jouer avec ma réputation. Il sait que les forces de sécurité ont menacé de s'en prendre à moi. Il menace que si je ne renonce pas à ma dot, il portera plainte contre moi auprès des autorités et prétendra faussement que j’ai commis un adultère. Je lui ai dit que je renoncerai à ma dot parce que ces menaces de sa part sont plus horrifiantes pour moi que de renoncer à ma dot. Il veut me mettre dans une situation où j’ai tellement peur pour ma réputation que je renoncerai à ma dot. »
Tous les témoignages sont à retrouver dans notre rapport.
La complicité de la justice iranienne
Nous avons eu accès à un document officiel ayant fait l’objet d’une fuite, daté du 13 octobre 2022 qui révèle que les autorités ont étouffé les plaintes pour viol déposées par deux jeunes femmes contre deux agents des gardiens de la révolution durant les manifestations. Le procureur adjoint de Téhéran qualifie l’affaire de « totalement secrète » et suggère de « clore progressivement [l’affaire] ».
La quasi-totalité des personnes interrogées dans notre rapport se sont abstenues de porter plainte après leur libération, craignant de subir d'autres préjudices des autorités iraniennes.
Trois victimes seulement ont porté plainte après leur libération mais deux ont été contraintes de la retirer après que les forces de sécurité ont menacé de les enlever et de les tuer, ainsi que leurs proches. La troisième personne s’est entendue dire par un haut responsable qu’elle avait « confondu » une fouille corporelle avec des violences sexuelles.
Les procureurs et les juges iraniens ont non seulement été complices en ignorant ou en étouffant les plaintes de personnes victimes de viol, mais ont également utilisé des « aveux » forcés sous la torture pour porter des accusations fallacieuses contre ces personnes et les condamner à l’emprisonnement ou à la peine de mort.
Lire aussi : Le combat d'une mère pour sauver sa fille d'une exécution
À ce jour, les autorités iraniennes n’ont pas inculpé ni poursuivi le moindre représentant de l’État pour les viols et autres violences sexuelles recensés dans le rapport. Mais elles ont condamné à mort certaines des personnes qui manifestaient et qui ont été victimes de violences sexuelles par les forces de sécurité.
Lire aussi : La peine de mort pour saper le soulèvement en Iran
Le traumatisme des victimes
Les femmes, hommes et enfants qui ont accepté de témoigner dans notre rapport nous ont déclaré continuer à souffrir de traumatismes physiques et psychologiques profonds liés aux violences sexuelles dont ils ou elles ont été victimes.
La mère d’un lycéen ayant été violé nous a déclaré que son fils avait tenté de se suicider à deux reprises pendant sa détention.
Saha, une manifestante, a subi des violences sexuelles dans le centre de détention dans lequel elle a été emmenée. Elle a été menacée de viol par les forces de sécurité qui ont touché ses parties génitales. « Avant j’étais une combattante dans la vie. Même lorsque la République islamique a essayé de me briser, j’ai continué. Ces derniers temps, cependant, je pense beaucoup au suicide [...] Je suis comme une personne qui attend la nuit toute la journée pour pouvoir dormir. » nous déclare t-elle.
En l’absence de perspectives de justice en Iran, la communauté internationale a le devoir de soutenir les personnes victimes de violences sexuelles pour qu’elles obtiennent justice. Nous exhortons les États à ouvrir sur leur propre territoire, en vertu du principe de compétence universelle, des enquêtes sur les auteurs présumés de ces crimes en Iran, dans l’objectif d’émettre des mandats d’arrêt internationaux.
Inscrivez-vous à notre newsletter pour rester informé·e sur les droits humains.