Les gouvernements doivent être tenus responsables des décès de personnes travaillant dans le secteur de la santé et exerçant des métiers essentiels qu’ils n’ont pas protégées contre la pandémie de Covid-19.
Nous avons enquêté sur la situation des professionnels de santé du monde entier pendant la crise du Covid-19. Selon notre analyse, plus de 3 000 personnes à travers le monde travaillant dans le secteur de la santé ont été emportées par ce virus.
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Alors que la pandémie ne cesse de s’accélérer dans le monde entier, nous appelons les gouvernements à prendre au sérieux la vie des personnes qui travaillent dans le secteur de la santé et exercent des métiers essentiels.
Réprimés pour avoir exprimé leurs préoccupations
Après avoir exprimé leurs préoccupations face aux mesures prises contre la pandémie de Covid-19, certains de ces professionnels de la santé ont fait l’objet de représailles : arrestations, détentions, menaces ou licenciement. Autant de situations alarmantes. En Égypte, par exemple, neuf personnes travaillant dans le secteur de la santé ont été détenues de façon arbitraire, entre mars et juin, pour des accusations de « diffusion de fausses nouvelles » et de « terrorisme ». Toutes les personnes détenues avaient exprimé leurs craintes en matière de sécurité ou critiqué la gestion de la pandémie par leur gouvernement. Autre situation probante aux États-Unis. Tainika Somerville, une aide-soignante diplômée, a été licenciée après avoir diffusé une vidéo sur Facebook dans laquelle elle lisait une pétition réclamant plus d’équipement de protection.
Il est particulièrement perturbant de constater que certains gouvernements punissent les travailleurs et travailleuses qui disent craindre que leurs conditions de travail ne mettent leur vie en danger. Si la politique du gouvernement est inefficace, le personnel de santé, en première ligne de la pandémie, est le premier à le savoir. Les autorités ne peuvent pas prétendre donner la priorité à la santé publique en réduisant ces personnes au silence.
Robin Barclay, agent de nettoyage à Glasgow, Ecosse, 2020 © AFP/Getty Images
Des milliers de vies perdues
Il n’existe actuellement aucun suivi mondial systématique du nombre de morts liées au virus parmi les personnels de santé et des autres secteurs essentiels. D’après nos recherches, les pays affichant le plus grand nombre de morts parmi les personnels de santé sont notamment les États-Unis (507), la Russie (545), le Royaume-Uni (540, dont 262 agents des services sociaux), le Brésil (351), le Mexique (248), l’Italie (188), l’Égypte (111), l’Iran (91), l’Équateur (82) et l’Espagne (63).
Le chiffre global est probablement largement sous-estimé, car tous les cas ne sont pas recensés, et il est difficile de faire des comparaisons entre pays en raison de méthodes de comptages variables. Par exemple, la France a recueilli les données d’une partie seulement de ses hôpitaux et centres de soins, tandis qu’en Égypte et en Russie, le nombre de morts parmi les personnels de santé fourni par les associations de santé a été contesté par les gouvernements.
Hommage au Dr Li Wenliang, premier médecin à donner l'alerte sur le Covid-19 dont il est lui-même décédé © MARK RALSTON/AFP via Getty Images
Pénuries d’équipements de protection vitaux
Les personnes travaillant dans le secteur de la santé ont signalé de graves pénuries d’équipement de protection individuelle (EPI) dans près de 63 pays et territoires. Une femme médecin exerçant à Mexico nous a indiqué que les médecins consacraient environ 12 % de leur salaire mensuel à l’achat de leur propre équipement de protection. En plus de cette pénurie mondiale, des restrictions commerciales ont aggravé le problème. En juin 2020, 56 pays et deux blocs commerciaux (l’Union européenne et l’Union économique eurasiatique) avaient mis en place des mesures visant à restreindre ou interdire l’exportation de toutes les formes d’EPI.
Une vendeuse dans un kiosque à journaux, Milan, Italie 2020 © AFP/Getty Images
Face à la colère du personnel de santé, l’État répond par la violence
Dans au moins 31 pays, le personnel de santé et des autres secteurs essentiels se sont mis en grève, ont menacé de faire grève ou ont manifesté à cause de leurs conditions de travail dangereuses. Dans de nombreux pays, ce type d’actions a donné lieu à des représailles de la part des autorités.
En Malaisie, par exemple, la police a dispersé un piquet de grève pacifique dans une entreprise de services d’entretien des hôpitaux. La police a arrêté, placé en détention et inculpé cinq personnes travaillant dans le secteur de la santé qui manifestaient, pour « rassemblement non autorisé », en violation de leurs droits à la liberté d’association et de réunion. En Russie, Yulia Volkova et Tatyana Reva, deux femmes médecins, font l’objet de représailles pour avoir déploré le manque d’EPI. Yulia volkova risque une amende de 100 000 roubles, tandis que Tatyana Reva risque d’être licenciée. Les personnes travaillant dans le secteur de la santé peuvent aider les gouvernements à mieux lutter contre la pandémie et à garantir la sécurité de chacun, mais elles ne peuvent pas le faire si elles sont en prison ou si elles ont peur de faire entendre leur voix.
Une soignante réconforte la femme d'un infirmier mort du Covid-19, Madrid, Espagne © Pierre-Philippe Marcou /AFP via Getty Images
Rémunération inéquitable et absence d’avantages sociaux
Outre leurs conditions de travail dangereuses, certaines personnes travaillant dans le secteur de la santé ne sont pas rémunérées équitablement, voire pas du tout dans certains cas. Au Soudan du Sud, par exemple, des médecins employés par le gouvernement n’ont pas reçu leur salaire depuis février et ne bénéficient ni d’aides sociales ni de couverture médicale. Au Guatemala, au moins 46 agents d’entretien n’ont pas été payés pendant deux mois et demi, alors qu’ils travaillaient dans un hôpital accueillant des patients atteints de Covid-19. Dans certains pays, le personnel de santé et des autres secteurs essentiels ne bénéficie d’aucun avantage social supplémentaire pendant la pandémie de Covid-19.
Les États doivent veiller à ce que le personnel de santé et des autres secteurs essentiels ait accès à des indemnités et à d’autres aides en cas de contamination au virus. Ce personnel doit aussi faire partie des groupes prioritaires pour les tests de détection du coronavirus.
Une femme remplie un panier de légume dans une Amap (Association pour le maintien d'une agriculture paysanne) © Loïc Venance/AFP via Getty Images
Stigmatisation et violence à l’encontre du personnel de santé
Nous avons recensé plusieurs cas de personnes travaillant dans le secteur de la santé et exerçant des métiers essentiels victimes de préjugés et de violences en raison de leur travail. Par exemple, au Mexique, une infirmière aurait été aspergée de chlore alors qu’elle marchait dans la rue. Aux Philippines, un agent d’entretien d’un hôpital se serait fait agresser par des personnes qui lui auraient versé de l’eau de javel sur le visage. Au Pakistan, nous avons constaté plusieurs cas de violence contre des professionnels de santé depuis avril 2020. Des hôpitaux ont été vandalisés, des médecins ont été agressés, et un membre de la force antiterroriste a même tiré sur l’un d’entre eux.
Ces affaires révèlent un climat de désinformation et de stigmatisation et soulignent à quel point il est important que les gouvernements diffusent des informations exactes et accessibles sur la propagation du virus.
Tatiana Rcaiby, pharmacienne à Byblos au Liban, 2020 © AFP/Getty Images
Nos recommandations
La pandémie de Covid-19 est un problème mondial qui nécessite une coopération mondiale.
En vue de mieux protéger les droits humains et les vies humaines en cas de nouvelle épidémie de grande ampleur à l’avenir, tous les États touchés par la pandémie du Covid-19 doivent :
considérer le Covid-19 comme une maladie du travail ;
réaliser des études publiques indépendantes sur les mesures prises et leur état de préparation ;
évaluer si les droits des personnels de santé et d'autres secteurs essentiels (conditions de travail, liberté d'expression) ont été suffisamment protégés ;
indemniser les personnels de santé et des métiers essentiels qui ont été contaminés par le virus dans le cadre de leurs activités professionnelles ;
enquêter sur les cas de représailles contre des professionnels qui ont exprimé leurs préoccupations en matière de santé et de sécurité, et rendre justice aux victimes de traitements injustes.
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