En février 2019, Florence Parly, la ministre des Armées a annoncé la livraison par la France de six embarcations rapides au profit des garde-côtes libyens pour faire face au « problème de l’immigration clandestine ». Une livraison problématique en termes de droits humains.
En achetant six bateaux pour le compte des garde-côtes libyens , non seulement la France participe au cycle de violations des droits humains commises en Libye contre les réfugiés et les migrants, mais elle contrevient à ses engagements internationaux que sont le Traité sur le commerce des armes et la Position commune 2008/944/PESC de l’Union européenne (UE).
Retour vers l’enfer libyen
Depuis fin 2016, les États membres de l'UE ont accéléré la mise en place de mesures visant à fermer la route migratoire qui traverse la Libye et la Méditerranée, y compris en accroissant la capacité des garde-côtes libyens à intercepter les migrants et les réfugiés et à les renvoyer en Libye.
Ainsi, l'Italie et des États européens ont fourni à la garde côtière libyenne des équipements, dont au moins quatre vedettes (des bateaux à moteur), des formations et d'autres formes de soutien. Une fois interceptés par les garde-côtes libyens, les réfugiés et les migrants sont transférés vers des centres de détention gérés par le service de lutte contre l’immigration illégale (DCIM). Là, ils sont détenus de manière arbitraire, pour une durée indéfinie, et sont soumis à de graves violations des droits humains.
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La France complice
Dans ce contexte, la France, en annonçant la livraison de navires considérés comme du matériel de guerre, devient officiellement complice des atteintes commises en Libye à l’encontre des réfugiés et migrants.
Le ministère des Armées a précisé publiquement, le 21 février 2019, qu’il était question de fournir des embarcations rapides à coque semi-rigide produites par l’entreprise française Sillinger. Selon les informations publiques disponibles, il s’agirait d’embarcations de 12 mètres de long qui seraient fournies sans armement ni support pour armement.
La législation française considère comme des navires de guerre, ceux « spécialement conçus ou modifiés pour l'usage militaire, quel que soit leur état d'entretien ou de service, et qu'ils comportent ou non des systèmes de lancement d'armes ou un blindage ».
Les embarcations fournies par la France à la Libye étant considérées comme du matériel de guerre, elles sont soumises au régime d’autorisation des exportations de matériels de guerre. Même s’il s’agit comme dans le cas présent d’une cession gratuite.
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Et le Traité sur le commerce des armes ?
Autrement dit, la commission interministérielle pour l'étude des exportations de matériels de guerre (CIEEMG), qui a pour rôle de donner un avis sur les licences d’exportations et de transferts de matériel de guerre avant autorisation du Premier ministre, a dû réaliser une évaluation du risque à l’exportation de ces six embarcations.
Cette évaluation doit se fonder sur le Traité sur le commerce des armes (TCA) ainsi que sur la Position commune 2008/944/PESC du Conseil de l’Union européenne du 8 décembre 2008, qui définit des règles communes régissant le contrôle des exportations de technologie et de matériel militaires.
Cette évaluation consiste à déterminer dans quelle mesure il existe un risque majeur ou manifeste que les embarcations puissent contribuer à commettre ou à faciliter des violations graves des droits humains.
Mais en raison de l’absence de transparence de ce processus, qui conduit le Premier ministre à délivrer ou non des licences d’exportations, il n’est pas possible de vérifier si cette évaluation a eu lieu, de quelle manière et si les engagements internationaux pris par la France ont bien été respectés. À cet égard, Amnesty France et les autres ONG qui ont saisi le juge administratif sur la légalité de ce transfert de bateaux considèrent notamment que la France viole l’embargo onusien et européen sur les armes à destination de la Libye.
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Au-delà de l’opacité : la confusion
L’absence de transparence de la France ne concerne pas uniquement le processus d’évaluation dont nous parlions plus haut, qui conduit à autoriser ou non des transferts de matériels de guerre. Cela concerne également la nature des transferts autorisés et leur portée.
Le rapport au Parlement sur les exportations d’armement de la France, réalisé chaque année par le ministère des Armées, ne donne aucune information sur les types de matériel ayant fait l’objet d’une licence d’exportation, les quantités considérées, le type d’utilisateur et d’utilisation finales.
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Le cas libyen est éclairant. Dans l’édition 2014 du rapport au Parlement couvrant l’année 2013, il est indiqué que trois autorisations d’exportation de matériels de guerre (AEMG) ont été délivrées à destination de la Libye pour un montant de plus de 2,7 millions d’euros dans la catégorie des navires de guerre. Le même rapport indique également que la France à livré pour un montant total de 11 millions d’euros de matériel de guerre à la Libye en 2013 sans autre indication.
Selon l’entreprise Sillinger elle-même, celle-ci a signé comme elle l’a annoncé en janvier 2013 un contrat pour la fourniture à la marine libyenne et aux garde-côtes libyens de cinquante embarcations semi-rigide à usage militaire, dont des embarcations de la gamme 1200 RIB UM.
Les informations fournies par le rapport au Parlement pourraient donc concerner l’entreprise Sillinger. Mais rien ne permet de l’affirmer d’autant que l’édition 2014 du rapport au Parlement n’indique pour l’année 2013 aucune prise de commande de la Libye. En revanche pour l’année 2012, la Libye enregistre 8,5 millions d’euros de prise de commande. À la seule lecture du rapport, il est donc impossible de savoir que la France a livré des embarcations Sillinger
En tout état des cause, Sillinger a bien livré à la Libye des embarcations dans la mesure où des sources publiques rapportent qu’en mai 2013, la France a déjà livré trente embarcations sur les cinquante prévues.
Pour finir, le rapport au Parlement ne fournit aucune information explicitant en quoi les livraisons à destination de la Libye seraient légales malgré l’embargo des Nations unies sur les armes et celui de l’Union européenne (2011).
Le manque de transparence du ministère des Armées ne nous permet pas de nous assurer que la France respecte ses engagement internationaux. Quand les parlementaires exerceront-ils enfin un contrôle sur les exportations d'armes autorisés par le Premier ministre ?
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