Depuis quinze ans, les autorités russes utilisent des lois de plus en plus restrictives et des stratégies policières brutales pour réduire au silence toute dissidence. La stratégie : saper le droit de manifester.
Le jeudi 24 février, l'armée russe a attaqué l’Ukraine.
Au cours des quatre premiers jours de l'invasion, la police russe a utilisé la force pour disperser les manifestations contre la guerre qui ont eu lieu dans plusieurs villes en Russie. Selon l'ONG de défense des droits humains OVD-Info, plus de 5 900 manifestants pacifiques ont été arrêtés dans au moins 67 villes et villages de Russie.
Pour les Russes, manifester est de plus en plus risqué. Dans notre rapport intitulé Russia : no place for protest, nous démontrons que la répression des manifestations pacifiques s’est accélérée ces dernières années.
Il existe aujourd’hui en Russie toute une série de restrictions juridiques portant sur le moment, le lieu, les modalités, les objectifs et les personnes qui peuvent oui ou non descendre dans la rue pour manifester.
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Un arsenal législatif musclé
C’est en 2004 que la Russie a commencé à déployer un arsenal législatif contre le droit de manifester avec la Loi fédérale sur les rassemblements. Depuis 2014, cet arsenal s’est durci. Une série d’amendements lancée par la législation fédérale a vu le jour et leur application est de plus en plus sélective et restrictive.
Les autorités locales (la Russie est un État fédéral) ont suivi le mouvement et adopté de nouvelles restrictions du droit de manifester. Ces modifications ont enhardi la police et le système pénal : les policiers se sont mis à utiliser des stratégies de plus en plus brutales pour faire taire les manifestants pacifiques, et les tribunaux infligent à ces derniers des peines sévères.
Aller plus loin : tour d'horizon du droit de manifester dans le monde
La réglementation au niveau fédéral prévoit que les rassemblements ne peuvent pas avoir lieu à proximité d’un tribunal, d’une prison, d’une résidence présidentielle ou de services d’urgence.
Quant à la législation au niveau régional, elle impose des restrictions encore plus drastiques : dans l’oblast de Kirov, par exemple, la législation locale interdit tout rassemblement à proximité d’établissements culturels, éducatifs, médicaux ou de loisirs, de centres commerciaux, de terrains de jeu et même de stations des transports publics.
Autrement dit, les rassemblements sont quasiment interdits partout en ville.
Des restrictions kafkaïennes
Les personnes qui manifestent en Russie s’exposent à de lourdes amendes, à des détentions administratives et à des poursuites pénales.
En Russie, les manifestants sont considérés comme des délinquants. Ceux qui sont arrêtés sont soumis à des procès iniques, des parodies de procès, qui durent parfois cinq minutes seulement.
Cela a pris seize ans aux autorités et il leur a fallu treize bricolages parlementaires de la législation pour vider le droit de manifester et le droit de réunion pacifique de toute véritable signification.
Au fil des années, le Code des infractions administratives et le Code pénal se sont considérablement allongés : des dispositions restreignant les droits à la liberté d’expression et de réunion pacifique ont été ajoutés et des sanctions d’une grande sévérité pour diverses "infractions" ont été infligées.
Depuis 2011, le nombre d’'infractions juridiquement définies par la Loi sur les rassemblements est passé de trois à dix-sept. Le montant des amendes a explosé, passant de 2 000 roubles (54 €) en 2012 à 300 000 roubles (3 409 €) en 2021, alors que le salaire de base mensuel en Russie est de 140 €. Une peine de détention administrative a également été prévue pour éventuellement sanctionner douze de ces dix-sept infractions.
Les autorités russes rognent depuis des années le droit à la liberté de manifester avec une détermination et une inventivité incroyables. Aucune autre question n’a suscité un tel déploiement d’énergie à tous les échelons du pouvoir. Les manifestations pacifiques dans la rue sont maintenant considérées comme des infractions par les agents de l’État, et comme un acte d’héroïsme par les Russes qui pensent encore avoir le droit de manifester.
Oleg Kozlovsky, chercheur sur la Russie à Amnesty International
Depuis décembre 2020, il est interdit aux personnes étrangères, aux organisations étrangères et internationales, ainsi qu’aux ressortissants russes et ONG qualifiés d’« agents étrangers » par les autorités de financer des rassemblements publics.
Les restrictions illégales, les exigences et les sanctions sévères que les manifestants russes affrontent ne peuvent être qualifiées que de "kafkaïennes" compte tenu de leur absurdité.
Violences policières contre les manifestants
Dans notre rapport, nous présentons également des informations détaillées sur les pratiques des policiers russes qui ont recours à une force excessive : arts martiaux contre des manifestants, coups de matraque impitoyablement assénés et, depuis cette année, utilisation d’arme à décharges électriques.
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En janvier 2021, Margarita Yudina, une manifestante pacifique, participait à un rassemblement à Saint-Petersbourg en soutien à Alexeï Navalny. Elle a été gravement blessée, après avoir reçu dans l’estomac des coups de pied assénés par un policier anti-émeute. Elle s’est retrouvée en soins intensifs. Au lieu d’enquêter, les autorités ont présenté des excuses et ont essayé d'empêcher cette femme de déposer plainte. Le cas de cette manifestante n’est pas un cas isolé.
En s’abstenant d’ouvrir des enquêtes, les autorités russes indiquent à la police que tout excès est toléré, que la violence est encouragée et que l’impunité totale est garantie.
Une réforme de la législation concernant le droit de manifester s’impose. En septembre 2021, des élections législatives vont avoir lieu en Russie. Les autorités doivent s’emparer de cette opportunité pour changer de ligne de conduite et s’engager à promouvoir et protéger les droits humains, y compris le droit de manifester. Ce droit fondamental doit être garanti et non sapé.
4 CHOSES URGENTES À FAIRE POUR ALEXEÏ NAVALNY
Continuons d'agir pour maintenir la pression sur les autorités russes et demander la libération immédiate et sans condition de Alexeï Navalny.