Une pancarte avec écrit « Désolé pour l'Ukraine », la publication d’un post sur les réseaux sociaux dénonçant la guerre, la création d’une radio contestataire… Pour ces actions, c’est direction la prison en Russie. Portraits d’artistes, journalistes, commerçants, militants russes qui sont emprisonné·es pour avoir dit non à la guerre.
Enfin libres !
Le 1er août, dans le cadre d'un accord d'échange négocié entre la Russie et le Bélarus d'une part, et l'Allemagne, la Norvège, la Pologne, la Slovénie et les États-Unis, d'autre part, les autorités de Moscou et de Minsk ont gracié et libéré 16 personnes.
Parmi eux, des militants et des défenseurs des droits humains russes, Oleg Orlov, Aleksandra (Sasha) Skotchilenko, Lilia Chanysheva, Ksenia Fadeeva, Vladimir Kara-Murza, Andrei Pivovarov et Ilya Yashin, ainsi que les journalistes Evan Gershkovich et Alsu Kurmasheva.
Toutes ces personnes ont été emprisonnées à l'issue de procès iniques. Elles étaient accusées d'avoir critiqué les autorités, milité contre la guerre ou exercé des activités journalistiques. Elles n’auraient jamais dû se retrouver derrière les barreaux.
Aujourd'hui nous partageons le soulagement et la joie que suscite la libération de ces défenseur·es des droits humains, militant·es et journalistes, dont Alexandra, qui pourront bientôt serrer leurs proches dans leurs bras.
Alors que des dizaines et des dizaines de défenseurs, d'activistes et de journalistes russes sont incarcérés dans des geôles russes, le combat continue pour mettre fin au système répressif russe et demander aux autorités de libérer sans condition toutes les autres personnes détenues arbitrairement pour des motifs politiques !
C'est un premier soulagement, le 26 juillet 2024, Dmitry Skurikhin a été libéré de prison après avoir purgé sa peine de 18 mois. Il avait été condamné après avoir relayé sur ses réseaux sociaux des photos de lui devant sa devanture de magasin peinte avec des messages dénonçant l'invasion de l'Ukraine par la Russie.
Dmitry fait partie des milliers de personnes qui ont été sanctionnées en vertu des lois de censure de l’opinion anti-guerre introduites quelques semaines seulement après l'invasion totale de l'Ukraine par la Russie en 2022.
Ces dernières semaines, l’implacable répression du Kremlin a de nouveau montré son visage. Le 16 février 2024, Alexeï Navalny, premier opposant de Vladimir Poutine mourait en détention dans la colonie pénitentiaire la plus reculée de Russie. Des manifestant·es étaient arrêté·es à la suite de ses funérailles. Le 28 février, le dissident russe Oleg Orlov, co-président de l’ONG Memorial, était envoyé en prison. En plus des opposants politiques et dissidents historiques, le Kremlin traque des artistes, militants, journalistes et de simples citoyens qui s’opposent à la guerre. Depuis l’invasion russe de l’Ukraine, en février 2022, la répression s'est intensifiée.
1. La loi qui pénalise les « fausses informations sur l’armée russe »
Le 4 mars 2022, le parlement russe a adopté un texte de loi qui criminalise davantage le partage de « fausses informations » portant sur les activités des forces armées russes. Il s’agit de l’article 207.3 du Code pénal. « La diffusion d'informations sciemment fausses sur les forces armées » est considérée comme un crime. Selon les circonstances, la sanction maximale en vertu de cette loi peut atteindre 15 ans d’emprisonnement. Le paragraphe 2 de l’article, qui est invoqué dans la plupart des cas signalés, prévoit des peines de cinq à dix ans de prison ou une amende comprise entre 3 et 5 millions de roubles.
2. L’article qui condamne le fait de « discréditer les forces armées russes »
L'article 280.3 du Code pénal amène des sanctions en cas de « discrédit » répété des forces armées russes. La simple utilisation du mot « guerre » - par opposition à « opération militaire spéciale » - pour décrire l'invasion de l'Ukraine est considéré comme un « discrédit ». La peine maximale prévue est de sept ans d'emprisonnement.
En 2023, le nombre et la durée des peines de prison pour des publications anti-guerre sur les réseaux sociaux ont augmenté. En 2024, une nouvelle loi a été introduite permettant la confiscation des biens des personnes inculpées en vertu des lois de censure de l’opinion anti-guerre. Nous appelons à l’abrogation de ces lois !
Nous racontons les histoires des artistes, journalistes, militants ou simples citoyens de la Russie d’aujourd’hui qui ont osé critiqué la guerre et contrecarrer le discours officiel du Kremlin. Étouffés, emprisonnés et même empoisonnés pour certains, ils restent debout, dignes, déterminés. Nous racontons les histoires de Dmitry, Maria, Alexeï, Alexandra, Vladimir, emprisonné·es mais dont le courage est tel que le pouvoir russe ne parviendra pas à les réduire au silence.
Dmitry, le commerçant qui a écrit sur une pancarte « Désolé pour l'Ukraine »
Dmitry Skurikhin pose devant son magasin où il tient entre ses mains une pancarte avec écrit « Désolé pour l'Ukraine », le 24 février 2023 / © Courtesy Photo
Dmitry Skurikhin tient un commerce dans un petit village de la région de Leningrad, au nord-ouest de la Russie. Âgé de 48 ans, il est le père de cinq enfants. C’est un militant actif, il a souvent exprimé ses opinions anti-guerre depuis la première invasion de l’Ukraine par la Russie, en 2014. Lorsque l’armée russe envahit l’Ukraine en février 2022, Dmitry ne reste pas silencieux. En août 2022, il accroche une banderole devant son magasin avec le message suivant « Société russe, réveille-toi ! Arrêtez l'opération militaire spéciale insensée, mensongère, infâme, fratricide et honteuse. » Il publie une photo sur ses réseaux sociaux. Un mois plus tard, la police ouvre une procédure pénale contre lui, l’accusant d’avoir « discrédité de manière répétée les forces armées russes » et perquisitionne ses locaux. Malgré tout, il réalise une nouvelle action et inscrit des messages anti-guerre et les noms des villes ukrainiennes attaquées par l'armée russe sur la devanture de son magasin.
La vie confirmera que je suis du bon côté.
Dmitry Skurikhin
Le 24 février 2023, un an jour pour jour après l’invasion russe de l’Ukraine, Dmitry publie une photo de lui agenouillé devant son magasin avec une pancarte à la main : « Désolé pour l'Ukraine ». Il est arrêté. Des inconnus débarquent en pleine nuit et peignent la devanture de son magasin pour effacer les messages. La sentence tombe en août : il est condamné à 18 mois de prison. La raison invoquée ? Avoir « jeté le discrédit sur les forces armées russes », en vertu de l’article 280.3 du Code pénal, l’une des lois adoptées à la hâte une semaine seulement après l’invasion russe de l’Ukraine.
Agissez pour la libération de Dmitry et pour l'abrogation de ces lois !
Les habitants et les clients de son magasins décrivent Dmitry comme «l’homme le plus courageux de la région de Léningrad.»
Maria, la journaliste qui a publié des informations sur un bombardement à Marioupol
Maria Ponomarenko au tribunal de Saint-Pétersbourg en avril 2022 / © Sota
Maria Ponomarenko est journaliste. Elle travaillait pour le média en ligne RusNews. Le 17 mars 2022, elle publie sur son compte Telegram un post sur le bombardement du théâtre de Marioupol. Le post en question : une vidéo du théâtre réalisée avant l’attaque avec un commentaire dénonçant la mort de civils suite aux bombardements russes.
Pour cette publication sur les réseaux sociaux, ce sera la prison ferme. Le tribunal de Barnaoul, dans la région de l’Altaï en Sibérie, condamne Maria Ponomarenko à six ans de prison. Elle est reconnue coupable d’avoir diffusé de « fausses informations sur les forces armées russes. » Même logique répressive : un chef d’inculpation rendu possible par les lois promulguées après l’invasion russe de l’Ukraine. Aujourd'hui, en Russie, 43 journalistes font l’objet de poursuites pénales pour s’être opposé·es à la guerre.
Agissez pour la libération de Maria et pour l'abrogation de ces lois !
En plus de sa peine d’emprisonnement, Maria a l’interdiction d’exercer une activité journalistique pendant cinq ans à compter de sa libération. L’état psychologique de la journaliste s’est dégradé en détention car elle y a subi de mauvais traitements.
Alexeï, le député qui a parlé des enfants victimes de la guerre
Alexeï Gorinov, à l'intérieur d' une cellule lors de l'audience de son procès, tient une pancarte avec écrit « Avez-vous toujours besoin de cette guerre ? », palais de justice de Moscou, le 8 juillet 2022 / © Kirill Kudryavtsev via AFP
Alexeï Gorinov est député municipal de l'opposition à Moscou. Militant pro-démocratie, il a notamment contribué à protéger les droits des manifestants détenus dans les commissariats de police. Lors d’une réunion du conseil municipal, le 15 mars 2022, Alexeï prend la parole en qualifiant l’invasion de l’Ukraine par la Russie d’agression et de guerre. Il affirme que des enfants meurent chaque jour en Ukraine. Pour ses propos, il est arrêté pour « diffusion de fausses informations ». Il est condamné à sept ans de prison.
Agissez pour la libération d'Alexeï et pour l'abrogation de ces lois !
En prison, l’état de santé d’Alexeï se détériore. Il souffre de troubles respiratoires et est privé de ses médicaments. 240 professionnels de la santé se sont mobilisés en exigeant des autorités russes qu’Alexeï Gorinov puisse accéder à des soins de santé. Après ces alertes, on a ignoré où se trouvait Alexeï pendant un certain temps, jusqu'à ce que l'on retrouve sa trace dans un hôpital pénitentiaire. Alexeï fait désormais l'objet d'une deuxième enquête l'accusant de « justification du terrorisme .»
Alexandra, l’artiste qui a collé des messages antiguerre dans un supermarché
Alexandra Skochilenko, le 16 novembre 2023, jour de l'audience où elle a été condamnée à sept ans de prison / ©Alexandra Astakhova - Mediazona
Alexandra Skotchilenko est une artiste russe de 33 ans. Face à l’invasion russe de l’Ukraine, elle ne peut se taire. Le 31 mars 2022, elle mène une action dans un supermarché de Saint-Pétersbourg en remplaçant les étiquettes des prix des produits par des messages antiguerre sur lesquels on peut lire : « L’armée russe a bombardé une école d’art à Marioupol où environ 400 personnes se cachaient pour se protéger des bombardements ». Quelques jours plus tard, elle est arrêtée, chez elle. Direction la prison où elle est accusée d’avoir « diffusé sciemment de fausses informations sur les forces armées russes », un nouvel article du Code pénal russe, lui aussi adopté en un temps record après l’invasion de l’Ukraine.
Alexandra Skotchilenko a été finalement libérée le 1er août suite à un échange de prisonniers.
Vladimir, le chauffagiste qui a créé une station de radio pour contourner la censure
Vladimir Rumyantsev lors de son procès, 22 décembre 2022 / © Radio Free Europe
Vladimir Rumyantsev exerce la profession de chauffagiste dans la ville de Vologda, au nord de la Russie. Il a créé un petit studio de radio dans son appartement. Après l’invasion russe de l’Ukraine, il a utilisé sa station de radio pour relayer les émissions de médias et blogueurs interdits. Un moyen de contourner la censure pour informer sur les violations du droit international commises par l’armée russe. Les autorités localisent la source du signal de radio. Il est arrêté le 14 juillet 2022, accusé d'avoir « diffusé sciemment de fausses informations sur les forces armées russes. » Vladimir est reconnu coupable et condamné à trois ans de prison. Ses comptes bancaires ont été bloqués, ses économies gelées. Une fois sorti de prison, il ne pourra subvenir à ses besoins.
Agissez pour la libération de Vladimir et pour l'abrogation de ces lois !
Je souhaite que vous ne perdiez pas courage. Concentrez-vous sur la façon dont nos actions seront perçues dans quelques années.
Vladimir Rumyantsev
Les histoires de Vladimir, Alexandra, Alexeï, Maria et Dmitry, sont loin d’être des cas isolés. En Russie, les personnes prises pour cible pour avoir affiché leur opinion contre la guerre se comptent en milliers. Nous sommes à leurs côtés, pour soutenir leur courage et leur combat, que le Kremlin ne pourra étouffer. Nous appelons les autorités à abroger les lois arbitraires qui ciblent les voix antiguerre et libérer les personnes injustement emprisonnées.
Stop à la répression des voix antiguerre !
Aujourd’hui en Russie, toute personne qui s’oppose pacifiquement à la guerre s’expose à de lourdes peines de prison. Soutenons leur voix et manifestons-nous pour l’abrogation des lois de censure qui criminalisent les voix antiguerre !