Ngoné Wade, la sœur jumelle de Cheikh Wade, tué le 8 mars 2021 sous les balles de la police lors d'une manifestation à Dakar, lui écrit une lettre. Dans cet hommage qu'elle rend à son frère jumeau, elle interpelle les autorités sénégalaises pour que justice soit faite. Nous accompagnons et soutenons sa famille dans leur combat : Justice pour Cheikh !
Lettre de Ngoné Wade à son frère jumeau
Aujourd’hui, 4 février, nous aurions dû fêter notre 33e anniversaire ensemble, mais tu n’es hélas plus là !
Cheikh, mon frère jumeau, tu fais partie des 14 jeunes sénégalais morts en mars 2021 au cours des manifestations ayant suivi l’arrestation de l’opposant Ousmane Sonko, et ayant occasionné dans plusieurs villes du Sénégal, des scènes de pillages, de destruction et des heurts entre les manifestants et les forces de sécurité.
Le choc face à une vidéo macabre
Je me souviens comme hier de ce lundi 8 mars, de cette vidéo circulant sur les réseaux sociaux et qui en avait a choqué plus d’un.e. J’ai regardé, comme beaucoup de Sénégalais.es, la vidéo de cet homme froidement abattu par un policier. J’ai vu, choquée, la voiture de la police arriver jusqu'à ce corps inerte, comme si les policiers vérifiaient s'il était toujours en vie, avant de démarrer et de le laisser à son sort. À la vue de cette scène macabre, un profond frisson avait parcouru mon corps. J'ai eu le cœur lourd et j’ai été submergée par la tristesse. J'ai pensé : encore un jeune homme tué, une perte pour sa famille.
Ce lundi 8 mars, vers 22h, j’ai déposé comme d’habitude ton repas dans ta chambre et je suis allée me coucher. Je te pensais en train de finir une commande tardive, comme d’habitude. Comme il se faisait tard, je t’ai appelé plusieurs fois au cours de la soirée mais ton téléphone sonnait dans le vide.
Une annonce qui sonne comme un coup de tonnerre
À mon réveil le lendemain, un coup de fil de la police annonce à toute la famille la nouvelle fatale de ta mort.
J'étais loin de m'imaginer que les derniers instants de cet homme dans la vidéo étaient les tiens, Cheikh. Mon frère, mon jumeau, parti si brusquement. Non, tu ne méritais pas ce sort.
Tu as été dérobé à ta famille, brutalement, et beaucoup trop tôt. Cette nouvelle a bouleversé ma vie celle de notre famille. Qui aurait pu imaginer que tu perdrais la vie simplement pour avoir participé à une manifestation ?
Et pourtant tu en avais le droit. Manifester pacifiquement était ton droit de citoyen, toi qui avais toi -même cousu le drapeau du Sénégal avec lequel les passants ont recouvert ton corps.
Tellement de questions continuent de me hanter aujourd’hui. Pourquoi t’a-t-on tiré dessus ? Tu t’étais portant paré du drapeau qu’ils portent comme écusson sur leur uniforme
Pourquoi, alors que tu gisais au sol, baignant dans ton sang, ne t’ont-ils pas porté secours ? Je ne parviens pas à me défaire de cette image de toi, abandonné à ce sort injuste, et de l’inhumanité de ceux qui sont censés protéger la loi.
Comment peut-on tirer sur une personne, sans défense, que l’on est par ailleurs censé protéger ? Cheikh, tu étais mon frère, le fils dévoué de la famille, et tu n’es plus là. Celui qui a tiré cette balle fatale, et ceux qui ont refusé de te porter secours, sont libres quant à eux.
Aujourd’hui, notre famille n’a qu’une seule exigence : que justice soit faite sur ta mort. Notre quête de justice risque d’être longue mais nous restons unis et déterminés. Nous attendons des réponses. Nous voulons savoir qui et pourquoi ? Notre peine et notre chagrin sont immenses, et ils sont partagés par beaucoup de nos concitoyens, en particulier les parents des autres victimes, qu’elles soient tombées à Bignona, Diaobé, Ziguinchor ou encore ici à Dakar.
Soutien de famille
Depuis que tu n’es plus là, tu manques à maman. Pres d’un an après ta mort brutale, notre mère continue de s’interroger sans cesse sur le silence de la justice et nous rappelle à ne pas baisser les bras.
Tu manques aux jeunes du quartier, toi leur ami avec qui ils aimaient jouer au foot=. Il ne leur reste en souvenir qu’un portrait trônant à l’entrée de la maison.
Tu me manques, mon jumeau. Tu étais mon confident. Grâce à tes talents de couturier, c’est toi qui confectionnais mes vêtements, en particulier à l’occasion des fêtes.
Tu manques à la famille. Tu étais toujours disponible pour contribuer aux dépenses de la famille et assister dans les tâches de la maison. La famille a subi une autre perte depuis ton départ : Ndeye Astou, notre sœur cadette de 19 ans s’en est allée te rejoindre 4 mois après ton décès. Elle ne connaitra pas toute la vérité. En sa mémoire aussi, nous nous battrons pour que justice soit rendue.
La famille s’est aussi agrandie et tu ne feras malheureusement pas la connaissance de ton « tourondo », ton neveu né au mois d’octobre dernier. Comme nous, lui aussi est un jumeau et avec Mamadou, ils nous apportent beaucoup de bonheur, malgré les moments difficiles que nous traversons.
Tous debout pour toi, Cheikh
Heureusement, nous ne sommes pas seuls dans notre quête de justice. De nombreuses personnes et organisations éprises de justice nous soutiennent. Le 25 mai 2021, notre grand-frère Abdoulaye, a porté plainte pour homicide volontaire, abstention de porter secours à une personne en danger, atteinte aux libertés, abus d’autorité, actes de barbarie, et actes cruels et dégradants. Mais rien n’a bougé depuis lors. Notre sentiment d’injustice et d’inégalité devant la loi devant le silence des autorités judiciaires sénégalaises sur les circonstances de ta mort et de toutes les personnes tuées, est très fort. Même si le président de la République du Sénégal a déclaré que des enquêtes internes sont en cours, notre avocat n’a toujours pas été convoqué pour les besoins de l’instruction.
Nous n’abandonnerons pas. Nous voulons savoir pourquoi ils t’ont tiré dessus et nous assurer que cela ne se répètera plus jamais. Ensemble, avec les sympathisants, nous réitérons notre demande de justice pour toi, Cheikh, et toutes les autres victimes des évènements de mars 2021.
Par Ngoné Wad, la soeur jumelle de Cheikh Wade, tué par balle pendant une manifestation à Dakar le 8 mars 2021.
JUSTICE POUR CHEIKH ET LES 13 MANIFESTANTS TUÉS PAR LA POLICE !
Nous avons lancé une pétition à l’international, adressée aux autorités sénégalaises, pour demander que justice soit rendue aux victimes de la répression des manifestations de mars 2021. Ajoutez votre signature pour que la voix des familles des victimes soit entendue !